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13/05/2025 | FRANCE | N°23NC02321

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 13 mai 2025, 23NC02321


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2022 par lequel le préfet du Doubs a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office à l'expiration de ce délai de départ volontaire.



Par un jugement n° 2300369 du 23 mai 2023, le tribunal administr

atif de Besançon a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2022 par lequel le préfet du Doubs a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office à l'expiration de ce délai de départ volontaire.

Par un jugement n° 2300369 du 23 mai 2023, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces enregistrées les 18 juillet et 19 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon ;

2°) d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente de la remise effective de ce titre, la délivrance d'un récépissé avec droit au travail dans un délai de huit jours et, à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours suivant cette notification, à renouveler dans l'attente du réexamen de son droit au séjour et sous astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision est entachée d'une erreur de droit tirée de la violation de son droit d'être entendue ;

- la décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la préfet n'a pas examiné sa nouvelle demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant malade ;

- le préfet n'a pas examiné sa demande subsidiaire d'admission au séjour à titre exceptionnelle à la suite du changement de situation juridique et a insuffisamment motivé sa décision sur ce point ;

- la décision est entachée d'une erreur de droit tirée du défaut d'examen de son admissibilité au séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 425-9 et L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et méconnaît ces articles dès lors que le préfet n'a pas saisi le collège des médecins de l'OFII ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant refus de séjour.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 septembre 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête de Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Peton a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante marocaine née le 1er novembre 1993, est entrée en France accompagnée de son époux le 16 avril 2017 sous couvert d'un visa de court séjour. Leurs deux enfants sont nés sur le territoire français le 21 avril 2017 et le 14 avril 2018. Le 4 août 2022, Mme B... a présenté une demande de titre de séjour en qualité de conjoint d'étranger malade et son époux a présenté une demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade. Le 7 septembre 2022, M. B... est décédé des suites de sa maladie. Mme B... en a informé la préfecture par l'intermédiaire de son conseil le 14 novembre 2022 et a alors indiqué son intention de maintenir sa demande de titre de séjour sur des fondements juridiques différents en précisant que cette demande serait " vraisemblablement " fondée sur sa qualité de parent d'enfants malades et d'étrangère malade. Par un arrêté du 22 décembre 2022, le préfet du Doubs a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme B... relève appel du jugement du 23 mai 2023, par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

3. Lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, à l'occasion du dépôt de sa demande, est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux.

4. Il ressort des pièces du dossier que le conseil de Mme B... a, par un message électronique du 14 novembre 2022, informé la préfecture du décès de M. B... et précisé qu'elle souhaitait maintenir sa demande " mais sur un motif juridique différent (...) vraisemblablement en qualité de parent d'enfants malades et d'étrangère malade ". Un tel courrier doit être regardé comme manifestant seulement une intention de déposer une nouvelle demande d'admission au séjour sur un nouveau fondement. Toutefois, il n'a pas été donné suite à cette intention. En conséquence, Mme B... ne saurait soutenir qu'elle n'a pas été entendue sur son projet de demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfants malades. Par ailleurs, la demande initiale de Mme B... présentée le 4 août 2022, complétée par le courrier électronique du 14 novembre 2022, était une demande écrite assortie de pièces justificatives et elle doit dès lors être regardée comme ayant eu la possibilité de présenter ses observations de manière utile et effective.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. (...) ".

6. Ces dispositions ne sont applicables ni s'agissant d'une demande de titre de séjour, dès lors que la procédure contradictoire qu'elles prévoient ne trouve pas à s'appliquer lorsqu'il est statué sur une demande, ni s'agissant des autres décisions litigieuses, dans la mesure où il ressort des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français.

7. En troisième lieu, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile constituent des dispositions spéciales régissant le traitement par l'administration des demandes de titres de séjour, en particulier les demandes incomplètes, que le préfet peut refuser d'enregistrer. Par suite, la procédure prévue à l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration n'est pas applicable à ces demandes. Dès lors, Mme B... ne peut utilement s'en prévaloir à l'encontre de la décision de refus de titre de séjour. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que cette décision n'a pas été prise en raison du caractère incomplet de la demande présentée par l'intéressée.

8. En quatrième lieu, il ne saurait être reproché au préfet du Doubs de ne pas avoir examiné la situation de Mme B... en qualité de parent d'enfants malades dès lors que la demande de titre de séjour dont il était saisi ne portait pas sur ce fondement, d'une part et que Mme B... n'établit pas avoir présenté une nouvelle demande en cette qualité, d'autre part.

9. En cinquième lieu, le moyen tiré de ce que le préfet du Doubs n'a pas procédé à l'examen de la demande subsidiaire d'admission au séjour à titre exceptionnel doit être écarté dès lors qu'il ressort de la décision en litige que ce dernier a refusé de faire usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation à titre exceptionnel. Au demeurant la décision contestée, qui énonce les considérations de droit mais également les circonstances de fait sur lesquelles elle se fonde, et indique la présence en France de la requérante depuis 2017, la naissance de ses enfants en France ainsi que le décès de son mari est suffisamment motivée s'agissant des causes ayant conduit le préfet à refuser de faire usage de ce pouvoir discrétionnaire au bénéfice de la requérante.

10. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), dans des conditions définies par décret en Conseil d'État. (...) ". Aux termes de l'article L. 425-10 du même code : " Les parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions prévues à l'article L. 425-9, ou l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, se voient délivrer, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, une autorisation provisoire de séjour d'une durée maximale de six mois. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. (...) ".

11. Il ressort des pièces du dossier que le 14 novembre 2022, Mme B... a informé la préfecture, par l'intermédiaire de son conseil, du décès de son mari. Elle indiquait alors maintenir sa demande d'admission au séjour mais sur un motif juridique différent " vraisemblablement (...) en qualité de parent d'enfants malades et d'étrangère malade ". La formulation de ce courrier électronique, contrairement à ce que soutient la requérante, ne saurait constituer une demande de titre de séjour sur le fondement des articles L. 425-9 et L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. De plus, entre la réception du message et l'arrêté du 22 décembre 2022, s'est écoulée une période d'un mois et demi durant laquelle Mme B... n'a ni déposé de demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant malade, ni fourni de pièce permettant aux services de la préfecture de prendre connaissance de l'état de santé de ses enfants. Dans ces conditions, le préfet du Doubs n'a pas commis d'erreur de droit en n'examinant pas l'admission au séjour de Mme B... sur ce fondement. Dès lors, il n'a pas non plus commis d'erreur de droit en ne saisissant pas pour avis le collège des médecins de l'OFII.

12. En septième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. Mme B... réside irrégulièrement en France depuis l'année 2017. Elle n'établit pas être dépourvue de toute attache dans son pays d'origine où résident ses parents et où elle a vécu jusqu'à l'âge de 24 ans. Par ailleurs, elle est désormais seule en France avec ses enfants, n'établit pas y avoir noué des liens privés et familiaux intenses et stables et la décision contestée ne fait pas obstacle à ce que la cellule familiale puisse se reconstituer en dehors du territoire français. Dans ces conditions, la décision de refus de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ".

15. Alors que Mme B... n'a apporté, à l'appui de sa demande de titre de séjour, aucun élément concernant l'état de santé de ses enfants, le moyen tiré de ce que la décision porterait atteinte à l'état de vulnérabilité de ses enfants et méconnait les stipulations précitées doit être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Bertin.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 22 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Durup de Baleine, président,

- M. Barlerin, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 mai 2025.

La rapporteure,

Signé : N. PetonLe président,

Signé : A. Durup de Baleine

Le greffier,

Signé : A. Betti

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

A. Betti

2

N° 23NC02321


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02321
Date de la décision : 13/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DURUP DE BALEINE
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 15/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-13;23nc02321 ?
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