Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 6 octobre 2021 par laquelle la ministre des armées a refusé de lui accorder le bénéfice de la prescription biennale sur des créances portant sur des trop-perçus de 385,76 euros, 14 862,02 euros, 111,67 euros et 764,25 euros, de prononcer la décharge desdites créances et de condamner l'administration à l'indemniser du préjudice causé par le remboursement des trop-perçus.
Par un jugement n° 2102288 du 20 janvier 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 24 mars 2023, 14 juin 2023 et 21 mars 2025, ainsi qu'un dernier mémoire, non communiqué, enregistré le 18 avril 2025, M. B..., représentée par la SCP Auberson-Desingly, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) de condamner l'Etat à lui restituer les sommes en litige ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les exceptions de non-lieu à statuer et d'autorité de la chose jugée opposées par le ministre des armées quant à la somme de 14 862,02 euros ne sont pas fondées ;
- les sommes dont l'administration a réclamé la répétition étaient prescrites en vertu des dispositions de l'article 37-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la prescription quinquennale était acquise ;
- l'administration a commis une négligence fautive en lui versant la prime QAL68 pendant un an et demi ;
- les actions entreprises entre février et mai 2021 caractérisent une sanction déguisée ;
- son préjudice s'élève à 10 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2025, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins de restitution de la somme de 14 862,02 euros, la cour administrative d'appel de Bordeaux ayant, par son arrêt du 28 novembre 2024, ordonné le remboursement de la moitié de cette somme, soit 7 431,02 euros ;
- les conclusions tendant à la restitution des sommes de 385,76 euros, 111,67 euros et 764,25 euros sont irrecevables ;
- les conclusions tendant à la condamnation de la somme de 10 0000 euros au titre des dommages et intérêts sont irrecevables ;
- l'intéressé a été informé de l'erreur dès le 2 février 2016, de sorte que cette erreur n'a entraîné aucun préjudice.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la défense ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barlerin,
- et les conclusions de Mme Bourguet, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... est capitaine de l'armée de terre depuis le 1er août 2017, affecté à Tours depuis le 5 juin 2022. Il a perçu plusieurs primes au titre d'une période courant du 1er août 2013 au 31 mai 2017. Le Centre expert des ressources humaines et de la solde, division " traitement des anomalies ", lui a adressé, par quatre décisions en date des 5 octobre 2016, 30 mai 2017, 18 avril 2018 et 18 février 2019, des demandes de restitution de sommes indûment versées portant sur, respectivement, 385,76 euros, 14 862,02 euros, 111,67 euros et764, 25 euros. M. B..., par un courrier du 17 décembre 2020, a demandé à être déchargé du paiement de ces sommes au motif qu'elles étaient prescrites. Le directeur de l'établissement national de la solde, par décision du 18 février 2021, a refusé d'y faire droit et l'a informé, d'une part, que les sommes de 385,76 euros, 111,67 euros et 764,25 euros seraient recouvrées sur sa solde du mois de mai 2021 et, d'autre part, que concernant la somme de 14 862,02 euros, un titre de perception serait émis ultérieurement. M. B... a formé un recours administratif préalable obligatoire devant la commission de recours des militaires le 1er avril 2021et la ministre des armées a pris, à la suite, une décision rejetant sa demande le 6 octobre 2021. M. B... a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 6 octobre 2021, à la décharge des sommes à payer ainsi qu'à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des différents préjudices qu'il estimait avoir subis. Il relève appel du jugement du 20 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation et de décharge des sommes répétées par l'administration :
S'agissant de l'exception de non-lieu à statuer opposée par le ministre des armées quant à la somme de 14 862,02 euros :
2. Il ressort des pièces du dossier qu'en vue du recouvrement du trop-versé d'un montant de 14 862,02 euros un titre de perception a été émis le 23 mars 2021, contre lequel M. B... a formé opposition. Par un arrêt du 28 novembre 2024, la cour administrative d'appel de Bordeaux, saisie de la requête dirigée par M. B... contre un jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 3 novembre 2022, a rejeté les conclusions principales de cette requête tendant à l'annulation de ce titre de perception mais, faisant partiellement droit aux conclusions subsidiaires de l'intéressé tendant à la réparation du préjudice subi du fait de la faute commise par l'administration en lui versant des rémunérations auxquelles il n'avait pas droit, a ramené le montant de cette dette de 14 862,02 à 7 431 euros. Toutefois, cet arrêt, saisi d'une opposition à un titre de perception, action dont l'objet est distinct de celui de l'action portée par M. B... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne puis devant la cour administrative d'appel de Nancy, dirigée contre la décision du 6 octobre 2021 refusant à M. B... le bénéfice de la prescription prévue au premier alinéa de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, n'est pas de nature à priver d'objet les conclusions de la requête de M. B... devant la cour administrative d'appel de Nancy. Il suit de là que le ministre des armées n'est pas fondé à prétendre qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la légalité de cette décision quant à la somme de 14 862,02 euros.
S'agissant du bénéfice de la prescription biennale :
3. Aux termes de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive. / (...) ". Aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes de l'article 2241 du même code : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion (...) ". Et aux termes de l'article 2242 du même code : " L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'une somme indûment versée par une personne publique à l'un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée. Sauf dispositions spéciales, les règles fixées par l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 sont applicables à l'ensemble des sommes indûment versées par des personnes publiques à leurs agents à titre de rémunération, y compris les avances et, faute d'avoir été précomptées sur la rémunération, les contributions ou cotisations sociales. Toutefois, si ces dispositions créent un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant la naissance du fait générateur de la créance, constitué par la mise en paiement de la somme indue, dans lequel l'ordonnateur peut émettre un titre exécutoire, elles n'instituent pas un délai de prescription du recouvrement de ces créances. En l'absence de dispositions spéciales, le délai de prescription de l'action en recouvrement est le délai quinquennal de droit commun de l'article 2224 du code civil, alors applicable en l'espèce.
5. En l'absence de toute autre disposition applicable, les causes d'interruption et de suspension de la prescription biennale instituée par les dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 sont régies par les principes dont s'inspirent les dispositions du titre XX du livre III du code civil. Il en résulte que tant la lettre par laquelle l'administration informe un agent public de son intention de répéter une somme versée indûment qu'un ordre de reversement ou un titre exécutoire interrompent la prescription à la date de leur notification. La preuve de celle-ci incombe à l'administration.
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a reçu notification, le 8 novembre 2016, du courrier du 10 octobre 2016 lui réclamant un indu de 385,76 euros pour des sommes perçues du 1er mai 2015 au 31 janvier 2016. Ce courrier, émanant du Centre expert des ressources humaines et de la solde, auquel sont jointes les bases de liquidation, manifeste sans ambigüité l'intention de l'administration de répéter la somme en question. D'une part, à la date du 8 novembre 2016, le délai de deux ans n'était pas écoulé et M. B... n'est dès lors pas fondé à soutenir que le délai biennal de répétition de l'indu prévu par l'article 37-1 précité lui était acquis. D'autre part, et en tout état de cause, en procédant à la retenue de cette somme sur la solde de mai 2021, l'administration n'a pas laissé s'écouler le délai de 5 ans prévu par le code civil, le délai de prescription de l'action en recouvrement de l'article 2224 du code civil, interrompu par cette notification du 8 novembre 2016, n'étant dès lors pas écoulé.
7. En deuxième lieu, il ressort également des pièces du dossier que M. B... a reçu notification, le 18 juin 2018, du courrier du 18 avril 2018 lui réclamant un indu de 111,67 euros pour des sommes perçues du 1er janvier au 30 juin 2017. Ce courrier, émanant du Centre expert des ressources humaines et de la solde, auquel sont jointes les bases de liquidation, manifeste sans ambigüité l'intention de l'administration de répéter la somme en question. D'une part, à la date du 18 juin 2018, le délai de deux ans n'était pas écoulé et M. B... n'est dès lors pas fondé à soutenir que le délai biennal de répétition de l'indu prévu par l'article 37-1 précité lui était acquis. D'autre part, et en tout état de cause, en procédant à la retenue de cette somme sur la solde de mai 2021, l'administration n'a pas laissé s'écouler le délai de 5 ans prévu par le code civil, le délai de prescription de l'action en recouvrement de l'article 2224 du code civil n'étant dès lors pas écoulé.
8. En troisième lieu, il ressort encore des pièces du dossier que M. B... a reçu notification, le 20 mars 2019, du courrier du 18 février 2019 lui réclamant un indu de 764,25 euros pour des sommes perçues du 1er janvier au 31 décembre 2018. Ce courrier, émanant du Centre expert des ressources humaines et de la solde, auquel sont jointes les bases de liquidation, manifeste sans ambigüité l'intention de l'administration de répéter la somme en question. D'une part, à la date du 20 mars 2019, le délai de deux ans n'était pas écoulé et M. B... n'est dès lors pas fondé à soutenir que le délai de répétition de l'indu prévu par l'article 37-1 précité lui était acquis. D'autre part, et en tout état de cause, en procédant à la retenue de cette somme sur la solde de mai 2021, l'administration n'a pas laissé s'écouler le délai de 5 ans prévu par le code civil, le délai de prescription de l'action en recouvrement de l'article 2224 du code civil n'étant dès lors pas écoulé.
9. En quatrième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a reçu notification, le 19 juillet 2017, du courrier du 30 mai 2017, lui réclamant un indu de 14 862,02 euros pour des sommes versées au titre d'une période allant du 1er août 2013 au 31 mai 2017. Ce courrier, émanant du Centre expert des ressources humaines et de la solde, auquel sont jointes les bases de liquidation, manifeste sans ambigüité l'intention de l'administration de répéter la somme en question. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que l'administration a versé à M. B..., sur sa rémunération du mois de décembre 2015, la somme de 9 494,60 euros, en régularisation des sommes qu'elle estimait, à tort, lui devoir depuis le mois d'août 2013 au titre de la prime de qualification dite QAL68, et qu'elle lui a ensuite versé cette prime en 2016 et 2017. Or, le délai de prescription instauré par l'article 37-1 ne court qu'à compter du paiement aux intéressés des sommes indues, soit, en l'espèce, au plus tôt à compter de décembre 2015 pour cette créance de 14 862, 02 euros. Dès lors, à la date du 19 juillet 2017, le délai de deux ans n'était pas écoulé et M. B... n'est dès lors pas fondé à soutenir que le délai de répétition de l'indu prévu par l'article 37-1 précité lui était acquis. D'autre part, et en tout état de cause, en émettant finalement un titre de perception le 23 mars 2021, dont le montant a été acquitté le 21 juin suivant, l'administration n'a pas laissé s'écouler le délai de 5 ans prévu par le code civil, le délai de prescription de l'action en recouvrement de l'article 2224 du code civil, interrompu le 19 juillet 2017, n'étant dès lors pas écoulé.
10. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 octobre 2021 de la ministre des armées et à la décharge des sommes en litige.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
11. M. B... soutient que l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité dès lors que lorsqu'elle s'est rendue compte qu'il ne devait pas bénéficier de la prime de qualification, dite QAL68, soit dès le 2 février 2016, elle aurait dû cesser les versements afférents au lieu de les poursuivre chaque mois jusqu'en juillet 2017, mois de la notification du courrier du 30 mai 2017 l'informant d'un trop-perçu de 14 862,02 euros. Il soutient également que les actions entreprises par les services du ministère entre février et mai 2021 afin de recouvrer les sommes en litige constitueraient une sanction déguisée et que l'ensemble de ces circonstances lui a causé un préjudice financier.
12. En premier lieu, il résulte de l'instruction que par un arrêt définitif du 28 novembre 2024, la cour administrative d'appel de Bordeaux, saisie par M. B... de conclusions tendant, notamment, à titre principal, à l'annulation du titre de perception émis le 23 mars 2021 en vue du recouvrement de la somme de 14 862,02 euros en litige et, subsidiairement, à la condamnation de l'Etat à lui verser la même somme en réparation du préjudice subi en raison du versement indu de la prime de qualification dite QAL68 pendant une année et demie, a partiellement fait droit à ces conclusions subsidiaires en ramenant le montant du reversement à la moitié de la somme réclamée, soit 7 431 euros, tous intérêts compris. Il en résulte que, dans la limite de la somme de 7 431,02 euros, les conclusions indemnitaires de M. B..., tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer en réparation la somme de 10 000 euros, sont sans objet.
13. En second lieu et quant au surplus des conclusions indemnitaires de M. B..., il est constant que l'administration a continué à verser à M. B... la prime de qualification, dite QAL68, de décembre 2015 à juin 2017, soit pendant une période de 19 mois. Cette circonstance constitue, en l'absence de toute faute ou déclaration trompeuse de M. B..., une négligence constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, qui a causé un préjudice dont le requérant est fondé à demander réparation. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que les actions entreprises par les services du ministère pour recouvrer les sommes en litige traduiraient une quelconque sanction déguisée. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction que le préjudice occasionné à M. B... par la faute ainsi commise excèderait la somme de 7 431,02 euros que la cour administrative d'appel de Bordeaux lui a accordée à ce titre. Il en résulte que le surplus de ses conclusions indemnitaires ne peut être accueilli.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué du 20 janvier 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté les conclusions de sa demande autres que celles sur lesquelles il n'y a plus lieu de statuer.
Sur les frais de l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas pour l'essentiel la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : A concurrence de la somme de 7 431,02 euros, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par M. B....
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 22 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. BarlerinLe président,
Signé : A. Durup de Baleine
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N° 23NC00933