La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/05/2025 | FRANCE | N°23NC03421

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 07 mai 2025, 23NC03421


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... E..., Mme D... E... et leur fille mineure C... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les décisions des 22 juillet et 22 août 2022 par lesquelles le directeur académique des services de l'éducation nationale du Bas-Rhin et la commission de l'académie de Strasbourg, respectivement, ont rejeté leur demande d'autorisation d'instruction en famille de C... au titre de l'année scolaire 2022-2023.



Par un jugement n° 2207260 du

20 septembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.



Pr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... E..., Mme D... E... et leur fille mineure C... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les décisions des 22 juillet et 22 août 2022 par lesquelles le directeur académique des services de l'éducation nationale du Bas-Rhin et la commission de l'académie de Strasbourg, respectivement, ont rejeté leur demande d'autorisation d'instruction en famille de C... au titre de l'année scolaire 2022-2023.

Par un jugement n° 2207260 du 20 septembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 23NC03421 le 21 novembre 2023, M. B... A... E..., Mme D... E... et leur fille mineure C... représentés par Me Patout demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 septembre 2023 ;

2°) d'annuler les décisions des 22 juillet et 22 août 2022 par lesquelles le directeur académique des services de l'éducation nationale du Bas-Rhin et la commission académique de l'académie de Strasbourg, respectivement, ont rejeté leur demande d'autorisation d'instruction en famille de C... au titre de l'année scolaire 2022-2023 ;

3°) d'enjoindre au recteur de l'académie de Strasbourg d'autoriser rétroactivement l'instruction en famille de C... au titre de l'année scolaire 2022/2023 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 8 000 euros à chacun des requérants au titre de l'articles L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la référence au socle commun des connaissances, des compétences et de culture par la loi implique qu'il n'est pas une obligation dans le cadre de l'instruction en famille ;

- le recteur de l'académie de Strasbourg ne respecte pas l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le droit à l'instruction ; il méconnait l'article 13 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 et de les articles 7 ,10 et 14.3 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 26 de la déclaration universelle des droits de l'homme et de l'article 29 et 16 de la convention internationale des droits de l'enfant ; elles ne respectent pas le droit des parents d'assurer l'éducation de leurs enfants selon leurs convictions ;

- l'instruction en famille est un droit qui a été reconnu par la jurisprudence et qui ressort des débats parlementaires dans le cadre du vote de la loi ;

- les décisions sont contraires à l'article 9 du code civil et au droit au respect de la vie privée et familiale ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- les décisions du recteur sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation et ne sont pas suffisamment motivées ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande, le jugement est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

Le recteur de l'académie de Strasbourg a présenté un mémoire en défense enregistré le 27 mars 2025 qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la déclaration universelle des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies ;

- le code civil ;

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guidi, présidente,

- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A... E... ont sollicité l'autorisation d'instruire en famille leur fille C..., née le 25 juin 2019 au titre de l'année scolaire 2022-2023. Le directeur académique des services de l'éducation nationale du Bas-Rhin a rejeté leur demande par une décision du 22 juillet 2022 et la commission de l'académie de Strasbourg a rejeté leur recours contre cette décision le 22 août 2022. M. et Mme A... E... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Strasbourg rejetant leur recours en annulation contre cette décision.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Il résulte des motifs mêmes du jugement que le tribunal administratif de Strasbourg a expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par M. et Mme A... E.... En particulier, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, n'a omis de répondre à aucun moyen. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur la régularité des contrôles pédagogiques :

4. Aux termes de l'article L. 131-5 du code de l'éducation : " Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire définie à l'article L. 131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé ou bien, à condition d'y avoir été autorisées par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, lui donner l'instruction en famille. (...) La présente obligation s'applique à compter de la rentrée scolaire de l'année civile où l'enfant atteint l'âge de trois ans. / L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant : (...) 4° L'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d'instruire l'enfant à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans ce cas, la demande d'autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l'engagement d'assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l'instruction en famille. (...) ".

5. D'une part, l'article L. 131-1 du code de l'éducation prévoit que l'instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l'âge de trois ans et jusqu'à l'âge de seize ans. L'article L. 131-2 du même code dispose que cette instruction est donnée dans les établissements d'enseignement public ou privé. Par dérogation, cette instruction peut, dans certains cas limitativement énumérés à l'article L. 131-5 et sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant, être dispensée en famille par les parents ou par toute personne de leur choix sur autorisation délivrée par l'autorité de l'État compétente en matière d'éducation. En ce qui concerne plus particulièrement les dispositions du 4° de l'article L. 131-5 du code de l'éducation qui prévoient la délivrance par l'administration, à titre dérogatoire, d'une autorisation pour dispenser l'instruction dans la famille en raison de " l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif ", ces dispositions, telles qu'elles ont été interprétées par la décision n° 2021-823 DC du Conseil constitutionnel du 13 août 2021, impliquent que l'autorité administrative, saisie d'une telle demande, contrôle que cette demande expose de manière étayée la situation propre à cet enfant motivant, dans son intérêt, le projet d'instruction dans la famille et qu'il est justifié, d'une part, que le projet éducatif comporte les éléments essentiels de l'enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d'apprentissage de cet enfant, d'autre part, de la capacité des personnes chargées de l'instruction de l'enfant à lui permettre d'acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d'enseignement de la scolarité obligatoire.

6. En premier lieu, la décision contestée, qui indique que le projet pédagogique présenté par la famille n'établit pas l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet d'instruction en famille, est motivée dans des termes suffisamment précis pour permettre à M. et Mme A... E... d'en critiquer utilement les motifs. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

7. En deuxième lieu, pour opposer un refus à la demande d'instruction en famille de G... et Mme A... E... pour leur fille C..., la commission de l'académie de Strasbourg a relevé que le projet pédagogique présenté par la famille n'établissait pas l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant ce projet. Eu égard aux motifs de la demande d'instruction en famille présentée par les intéressés, fondée sur leur volonté de permettre à l'enfant de bénéficier des mêmes libertés et de la même richesse d'apprentissage que ses frères et sa sœur en cohérence avec leur projet éducatif, et que les apprentissages seront variés et adaptés à son rythme, le motif du refus opposé par la commission de l'académie de Strasbourg n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation quant à l'absence de situation propre motivant le projet éducatif pour C.... En conséquence, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif de Strasbourg aurait commis une erreur d'appréciation portée sur la légalité de la décision en litige doit être écarté.

8. En troisième lieu, la décision contestée a pour seul objet et pour seul effet d'imposer l'inscription de C... dans un établissement scolaire, privé ou public au choix de M. et Mme A... E.... Ainsi, par elle-même, cette décision ne méconnaît ni le droit à l'instruction de leur enfant, ni le droit de ses parents à l'instruire conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques, tels que ces droits sont garantis par les stipulations de l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni leur liberté de manifester leur religion ou leur conviction, reconnue par l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Pour la même raison, la décision contestée ne constitue pas davantage une immixtion arbitraire ou illégale dans la vie privée et familiale de l'enfant au sens de l'article 16 de la convention internationale des droits de l'enfant, ou une atteinte à son droit au respect de sa vie privée au sens de l'article 9 du code civil et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, M. et Mme A... E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a écarté ces moyens.

9. En quatrième lieu, ne peuvent qu'être écartés le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations des articles 7, 10 et 14.3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dès lors que la décision contestée ne met pas en œuvre le droit de l'Union et n'entre ainsi pas dans le champ d'application de ladite Charte tel que défini par son article 51, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 3 de l'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui fixent des obligations à la charge des seuls Etats et sont dépourvues d'effet direct, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies, laquelle ne figure pas au nombre des traités et accords qui ont été régulièrement ratifiés ou approuvés dans les conditions fixées par l'article 55 de la Constitution, et le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 2 de l'article 29 de la convention internationale des droits de l'enfant, relatives à la liberté de créer et de diriger des établissements d'enseignement, et dont il ne saurait être tiré un droit à une éducation hors des règles fixées par le code de l'éducation. Par suite, M. et Mme A... E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a écarté ces moyens.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... E... ne sont pas fondés à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 septembre 2023 ni celle des décisions attaquées. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.

Sur les frais d'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme A... E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... E..., à Mme D... A... E... et à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Copie en sera transmise, pour information, au recteur de l'académie de Strasbourg.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- M. Michel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mai 2025.

La rapporteure,

Signé : L. GuidiLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

I. Legrand

2

N° 23NC03421


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03421
Date de la décision : 07/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Laurie GUIDI
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : PATOUT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-07;23nc03421 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award