Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision implicite du 27 mai 2019 portant rejet de sa demande préalable et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 121 377,94 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la carence de l'Etat à exiger de son ancien employeur la souscription d'une assurance afin de sécuriser les retraites supplémentaires.
Par un jugement n° 1902108 du 27 mai 2021, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 juillet 2021 et 17 février 2022, M. A..., représenté par la SELARL Isard Avocat Conseil, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy 27 mai 2021 ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet du 27 mai 2019 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 121 377,94 euros en réparation de ses préjudices avec intérêt au taux légal à compter du 27 mars 2019 et capitalisation de ces intérêts ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en application de l'article 8 de la directive 80/987/CEE du 20 octobre 1980, il incombait à l'Etat d'assurer une garantie des droits acquis par les salariés au titre de la retraite supplémentaire, y compris après leur départ, par tout moyen, en cas d'insolvabilité de l'employeur ;
- la transposition de l'article 8 de cette directive par l'ordonnance n° 2015-839 du 9 juillet 2015 est incomplète et ineffective, en l'absence d'institution par l'Etat d'un système permettant de garantir que l'employeur respectait son obligation de souscrire à une assurance afin de sécuriser les retraites supplémentaires ;
- cette abstention de l'Etat est constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- la carence de l'Etat à exiger de son employeur en application de l'article 8 de la directive 80/987/CEE qu'il souscrive une assurance est la cause de ses préjudices ;
- il a subi un préjudice de 111 377,94 euros au titre de la perte de pension de retraite supplémentaire, au titre de la perte de pension de retraite supplémentaire, à laquelle il avait droit depuis le 1er janvier 2018 ;
- il justifie de l'existence et du quantum de ce préjudice ;
- il a subi un préjudice moral à hauteur de 10 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 novembre 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que le requérant ne produit pas d'éléments de nature à démontrer l'existence et le montant de son préjudice.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 ;
- la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 ;
- l'ordonnance n° 2015-839 du 9 juillet 2015 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michel, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- et les observations de Me Mine, avocat de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., retraité de la société Lorraine Tubes SAS, bénéficiait à compter de son départ à la retraite d'une rente à prestations définies, financée par son employeur dont la gestion administrative avait été confiée à la caisse mutuelle d'assurance vie par une convention signée le 18 novembre 2008. Le 29 mars 2018, l'intéressé a été informé du fait qu'à compter du 1er janvier 2018, il ne percevrait plus cette retraite supplémentaire en raison de la mise en liquidation de la société Lorraine Tubes SAS et du défaut de provisionnement suffisant par cette dernière. A la suite du rejet implicite de sa demande indemnitaire préalable formée auprès du ministre des solidarités et de la santé, M. A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler cette décision de rejet et de condamner l'Etat à l'indemniser du préjudice résultant de la perte de pension de retraite supplémentaire et du préjudice moral qu'il estimait avoir subis. En présentant devant ce tribunal tant des conclusions à fin d'annulation du rejet de sa demande indemnitaire préalable que des conclusions indemnitaires, M. A... doit être regardé comme ayant donné à sa demande un caractère de plein contentieux tendant exclusivement à la condamnation de l'Etat à l'indemniser de ses préjudices. Par un jugement du 27 mai 2021, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. En premier lieu, en présentant devant la cour tant des conclusions à fin d'annulation du rejet implicite de sa demande indemnitaire préalable que des conclusions indemnitaires, le requérant doit être regardé comme ayant donné à sa requête un caractère de plein contentieux tendant exclusivement à la condamnation de l'Etat à l'indemniser de ses préjudices.
3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 8 de la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, dont le délai de transposition expirait le 22 octobre 1983 et dont les dispositions ont été ultérieurement reprises à l'article 8 de la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur : " Les Etats membres s'assurent que les mesures nécessaires sont prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés et des personnes ayant déjà quitté l'entreprise ou l'établissement de l'employeur à la date de la survenance de l'insolvabilité de celui-ci, en ce qui concerne leurs droits acquis, ou leurs droits en cours d'acquisition, à des prestations de vieillesse, y compris les prestations de survivants, au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale ".
4. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt Robins du 25 janvier 2007 (C-278/05), que ces dispositions doivent être interprétées en ce sens que si le financement des droits acquis à des prestations de vieillesse au titre des régimes qu'elles mentionnent ne doit pas nécessairement, en cas d'insolvabilité de l'employeur et d'insuffisance des ressources du régime considéré, être assuré par l'Etat lui-même ni être intégral, l'Etat doit toutefois prendre les mesures nécessaires, par exemple par la mise à la charge des employeurs d'une obligation d'assurance ou par la mise en place d'une institution de garantie, pour que chaque salarié, dans un tel cas, bénéficie au titre de ce régime de prestations de vieillesse correspondant au moins à la moitié de la valeur de ses droits acquis.
5. D'autre part, aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 9 juillet 2015 relative à la sécurisation des rentes versées dans le cadre des régimes de retraite mentionnés à l'article L. 137-11 du code de la sécurité sociale : " Les droits à retraite liquidés au titre des régimes de retraite mentionnés à l'article L. 137-11 du code de la sécurité sociale sont sécurisés à hauteur d'au moins 50 % dans les conditions mentionnées à l'article 2. Toutefois, la garantie des droits mentionnée à l'alinéa précédent peut être limitée, pour chaque bénéficiaire et par année, à une fois et demi le plafond mentionné à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article 2 de cette ordonnance : " Les engagements représentatifs des droits mentionnés à l'article 1er sont garantis par les entreprises par au moins l'un des dispositifs suivants : 1° Un ou plusieurs contrats souscrits auprès d'un ou plusieurs organismes régis par le titre III du livre IX du code de la sécurité sociale, le livre II du code de la mutualité ou le code des assurances ; 2° Une ou plusieurs fiducies souscrites dans le cadre d'un contrat régi par le titre XIV du livre III du code civil ; 3° Une ou plusieurs sûretés réelles ou personnelles régies par le livre IV du code civil ". Et, aux termes de l'article 6 de la même ordonnance : " I. - L'entreprise adresse chaque année à l'organisme mentionné aux articles L. 213-1 et L. 752-2 du code de la sécurité sociale dont il relève, dans les trois mois suivant la clôture de l'exercice comptable, un état faisant apparaître le montant des engagements et celui des garanties afférentes mentionnés à l'article 2. L'exactitude de ces montants est certifiée par les commissaires aux comptes. / Le défaut de production de cet état dans le délai prescrit entraîne l'application, selon la procédure prévue en vertu de l'article L. 244-3 du même code, de la pénalité applicable en cas de production tardive des déclarations obligatoires relatives aux cotisations et contributions sociales. / II. - En cas de non-respect des dispositions des articles 1er à 4 de la présente ordonnance, l'employeur est soumis à une pénalité annuelle correspondant à 30 % de la différence entre, d'une part, les engagements représentatifs des droits à retraite liquidés devant être garantis conformément aux articles 1er et 4 et, d'autre part, les engagements effectivement garantis par l'entreprise dans les conditions mentionnées à l'article 2. / III .- Les articles L. 137-3 et L. 137-4 du code de la sécurité sociale sont applicables à cette pénalité. / IV .- Le produit de la pénalité est affecté au fonds mentionné à l'article L. 135-3 du code de la sécurité sociale ".
6. Il ressort des dispositions précitées des articles 1er et 2 de l'ordonnance du 9 juillet 2015 qu'elles font obligation aux entreprises de recourir à un système d'assurances ou de souscrire une ou plusieurs fiducies ou encore de constituer des sûretés réelles ou personnelles afin de garantir à chaque salarié le bénéficie d'au moins la moitié de la valeur des droits acquis au titre du régime de prestations de vieillesse mentionné à l'article L. 137-11 du code de la sécurité sociale.
7. Par ailleurs, d'une part, les dispositions précitées du I de l'article 6 de cette ordonnance prévoient l'obligation pour les entreprises d'adresser à l'organisme de sécurité sociale dont elles relèvent un état du montant des engagements et de celui des garanties afférentes dont l'exactitude est certifiée par les commissaires aux comptes, dont le défaut de production est soumis à pénalité.
8. D'autre part, les dispositions précitées du II de l'article 6 de l'ordonnance du 9 juillet 2015 instituent une pénalité annuelle à la charge de l'employeur en cas de non-respect par ce dernier de son obligation prescrite à l'article 2 de garantie des droits acquis par le salarié de l'entreprise au titre d'un régime de prestations vieillesse.
9. Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, le législateur, par ces mesures, a procédé à la transposition complète des dispositions de l'article 8 de la directive 80/987/CEE du 20 octobre 1980, reprises à l'article 8 de la directive 2008/94/CE en créant les conditions d'une protection effective des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de leur employeur, conformément aux objectifs de ces dispositions européennes.
10. En troisième et dernier lieu, le requérant ne démontre pas que l'Etat aurait commis une faute dans l'exercice de ses prérogatives de contrôle de la société Lorraine Tubes SAS depuis l'entrée en vigueur au 1er janvier 2016 des dispositions précitées de l'ordonnance du 9 juillet 2015, alors qu'il résulte de l'instruction que la société a fait l'objet dès le 21 juillet 2017 d'une procédure de redressement judiciaire ensuite convertie en procédure de liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Briey du 29 décembre 2017.
11. Il s'ensuit que la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée sur le fondement invoqué aux points précédents. Par voie de conséquence, les conclusions du requérant tendant à la réparation de ses préjudices qui ont pu résulter de l'insolvabilité de la société Lorraine Tubes SAS qui n'avait pas recouru dès le 1er janvier 2016, date de l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 9 juillet 2015, à l'un des trois mécanismes prévus à l'article 2 de cette ordonnance afin de sécuriser les retraites supplémentaires de ses salariés, doivent être rejetées.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- M. Michel, premier conseiller,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. MichelLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
I. Legrand
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N° 21NC02117