Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B..., agissant en sa qualité de représentante légale de sa fille, Mme A... C..., a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 17 juin 2024 par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer a pris à l'encontre de A... C..., une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance, pour une durée de trois mois, ainsi que l'arrêté du 24 juin 2024 portant modification des mesures prises à l'égard de l'intéressée.
Par un jugement n° 2401358 du 10 septembre 2024, le tribunal administratif de Besançon, après avoir admis la requérante au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 novembre 2024, Mme C..., représentée par Me Dole, demande à la cour :
1°) de l'admettre, à titre provisoire, au bénéficie de l'aide juridictionnelle ;
2°) d'annuler l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Besançon du 10 septembre 2024 ;
3°) d'annuler l'arrêté du 17 juin 2024 par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer a pris à son encontre une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance pour une durée de trois mois, ainsi que l'arrêté du 24 juin 2024 portant modification des mesures prises à son encontre ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les litiges relatifs aux mesures individuelles adoptées en application des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure ne relèvent pas de la compétence du juge administratif ;
- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas respecté les délais impartis pour statuer sur la légalité des arrêtés contestés ;
- les décisions sont entachées d'incompétence dès lors que seule l'autorité judiciaire peut prendre une mesure privative de liberté à l'égard d'un mineur ;
-les arrêtés contestés sont entachés d'un vice de procédure faute de saisine préalable du parquet des mineurs ;
- les mineurs n'entrent pas dans le champ d'application des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure ;
- l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, qui ne prend pas en compte l'intérêt supérieur de l'enfant, méconnaît les stipulations des articles 3-1, 6, 29 et 40 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation dès lors qu'aucune des conditions cumulatives prévues par l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure n'était réunie ;
- l'arrêté en litige porte une atteinte disproportionnée à sa liberté d'aller et venir et à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Par un mémoire distinct, enregistré le 12 décembre 2024, Mme C... demande à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation des arrêtés des 17 et 24 juin 2024 du ministre de l'intérieur et des outre-mer, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, d'une part, des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure et, d'autre part, de l'article L. 228-7 du même code prévoyant la sanction du non-respect des mesures prévues à l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, en tant que ces dispositions s'appliquent aux personnes mineures.
Elle soutient que :
- les articles L. 228-1, L. 228-2 et L. 228-7 du code de la sécurité intérieur, dont la constitutionnalité est contestée, sont applicables au litige ;
- les dispositions de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution ; dans la décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018, le Conseil constitutionnel a émis des réserves sur cet article partiellement déclaré non conforme à la Constitution et dans sa décision n° 2021-822 du 30 juillet 2021, il ne s'est prononcé que sur les dispositions du cinquième alinéa de cet article de sorte que la question doit être considérée comme nouvelle ; l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure n'a jamais fait l'objet d'un contrôle depuis sa modification par les articles 65 et 69 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;
- l'article L. 228-7 du code de la sécurité intérieure n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;
- le changement de circonstances de fait, tenant à la forte augmentation des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et à leur application aux personnes mineures, permet de regarder la question de la constitutionnalité des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure comme nouvelle ;
- les questions relatives à la constitutionnalité des articles L. 228-1, L. 228-2 et L. 228-7 du code de la sécurité intérieure au regard du principe à valeur constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs et de la liberté individuelle garantie par les articles 2, 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne sont pas dépourvues de caractère sérieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2025, le ministre de l'intérieur, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une intervention, enregistrée le 15 janvier 2025, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France, représentés par Me Dole, demandent que la cour fasse droit aux conclusions de la requête de Mme C....
Ils soutiennent que :
- ils ont un intérêt à intervenir dans le présent litige ;
- les litiges relatifs aux mesures individuelles adoptées en application des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure ne relèvent pas de la compétence du juge administratif ;
- les décisions sont entachées d'incompétence dès lors que seule l'autorité judiciaire peut prendre une mesure privative de liberté à l'égard d'un mineur ;
- les arrêtés contestés sont entachés d'un vice de procédure faute de saisine préalable du parquet des mineurs ;
- les mineurs n'entrent pas dans le champ d'application des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure ;
- l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, qui ne prend pas en compte l'intérêt supérieur de l'enfant, méconnaît les stipulations des articles 3-1, 6, 29 et 40 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation dès lors qu'aucune des conditions cumulatives prévues par l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure n'était réunie ;
- les arrêtés méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant.
Par décision du 7 mars 2025, la présidente de la cour a autorisé l'occultation du nom des magistrats et du greffier en application des articles L. 10 alinéa 3 et R. 741-14 du code de justice administrative.
Par une décision du 24 avril 2025 le bureau d'aide juridictionnelle a rejeté la demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme C....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.,
- les conclusions de M., rapporteur public,
- et les observations de Me Dole, pour Mme C....
Une note en délibéré présentée pour le ministre de l'intérieur a été enregistrée le 3 avril 2025.
Deux notes en délibéré présentées pour Mme C... ont étés enregistrées les 29 et 30 avril 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du ministre de l'intérieur et des outre-mer adopté le 17 juin 2024, Mme C..., née le 12 octobre 2006, a fait l'objet d'une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance en application des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure pour une durée de trois mois lui interdisant de se déplacer en dehors du territoire de la commune de Bart (25), l'obligeant à se présenter une fois par jour, à 9 heures, à la brigade de gendarmerie et à confirmer et justifier de son lieu d'habitation auprès de cette brigade dans un délai de 24 heures à compter de l'entrée en vigueur de l'arrêté. Ces mesures prises à l'encontre de Mme C... ont été modifiées par un arrêté du 24 juin 2024. Mme C... fait appel du jugement du 10 septembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ".
3. Dès lors que par une décision du 24 avril 2025, le bureau d'aide juridictionnelle a rejeté la demande d'aide juridictionnelle présentée par la requérante, ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ont perdu leur objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative :
4. Aux termes de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure : " La personne soumise aux obligations prévues aux 1° à 3° du présent article peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, ou à compter de la notification de chaque renouvellement lorsqu'il n'a pas été fait préalablement usage de la faculté prévue au huitième alinéa, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine. Ces recours, dont les modalités sont fixées au chapitre III ter du titre VII du livre VII du code de justice administrative, s'exercent sans préjudice des procédures prévues au huitième alinéa du présent article ainsi qu'aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code ".
5. Les arrêtés en litige, qui ont été pris par le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur le fondement des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, constituent une mesure de police administrative ayant pour objet de prévenir la commission d'acte de terrorisme et dont le contentieux a été expressément attribué par les dispositions rappelées au point 4 à la juridiction administrative. Par suite, l'exception d'incompétence de la juridiction administrative au profit du juge judiciaire soulevée par Mme C... doit être écartée.
Sur l'intervention du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature :
6. Aux termes de l'article 2 des statuts du Syndicat des avocats de France : " Ce Syndicat a pour objet : (...) 7°) la défense des droits et la défense et des libertés dans le monde (...) ". Aux termes de l'article 3 des statuts du Syndicat de la magistrature : " Le Syndicat a pour objet : (...) 6°) à ces fins, d'engager toutes actions, y compris contentieuses, tendant à assurer le respect des droits et libertés à valeur constitutionnelle ou garantis par les conventions internationales, ou de s'y associer ".
7. Les syndicats intervenants, qui défendent respectivement les intérêts collectifs des avocats et des magistrats judiciaires, et qui sont régis par les dispositions de l'article L. 2131-1 du code du travail applicables aux syndicats professionnels, ne sauraient utilement se prévaloir des termes généraux de leurs statuts, relatifs à la défense des droits et des libertés, pour justifier d'un intérêt leur donnant qualité pour demander l'annulation d'un acte administratif qui n'affecte pas les intérêts de leurs membres. Par suite, compte tenu de leurs objets statutaires, l'intervention du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature n'est pas admise.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
8. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...) Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ".
9. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la juridiction saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
10. Pour demander à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 228-1, L. 228-2 et L. 228-7 du code de la sécurité intérieure, Mme C... soutient que les dispositions de ces articles, en tant qu'elles s'appliquent aux personnes mineures, ce qui n'avait jamais été envisagé par le législateur, portent atteinte à la liberté individuelle garantie par les articles 2, 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et méconnaissent le principe à valeur constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ainsi que le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.
En ce qui concerne l'article L. 228-7 du code de la sécurité intérieure :
11. L'article L. 228-7 du code de la sécurité intérieure détermine les peines encourues en cas de violation d'une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance en application des articles L. 228-1 et suivants du même code. Si l'arrêté en litige mentionne le contenu de cet article L. 228-7, c'est à seule fin d'informer Mme C... des sanctions encourues en cas de non-respect des prescriptions qu'il édicte. En revanche, cet arrêté n'a pas pour objet de prescrire la mise en œuvre de ces dispositions pénales, à visée répressive. Par suite, les dispositions de l'article L. 228-7 du code de la sécurité intérieure, qui sont dissociables des articles L. 228-1 et L. 228-2 de ce code, ne peuvent être regardées comme étant applicables au litige dont la cour est saisie. Il n'y a pas lieu, dès lors, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée à l'encontre de l'article L. 228-7 du code de la sécurité intérieure.
En ce qui concerne les articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure :
12. D'une part, dans la décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution, dans ses motifs et son dispositif, les dispositions de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ce qu'au demeurant la requérante reconnaît.
13. D'autre part, les dispositions applicables au litige de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, résultant de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 et complétées par la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, ont également été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif des décisions n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 et n° 2021-822 DC du 30 juillet 2021. Les autres dispositions déclarées non conformes à la Constitution par ces mêmes décisions relatives, d'une part, à la procédure devant le tribunal administratif et, d'autre part, à la prolongation des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ne sont pas applicables au litige. En outre, si les modifications apportées à l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure par les articles 65 et 69 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice n'ont pas été soumises au Conseil constitutionnel, elles sont sans incidence sur les dispositions pertinentes de cet article, dès lors que l'article 65 a pour seul objet de modifier la procédure devant le tribunal, laquelle n'est pas applicable au litige. Quant à l'article 69, il se borne à substituer à la mention de " Paris " qui suit la désignation du procureur de la République celle d'" antiterroriste ", ce changement de terminologie n'est pas applicable au litige et n'est, de surcroît, pas de nature à affecter les droits et libertés invoqués par la requérante. Si le Conseil constitutionnel ne s'est prononcé, dans la décision n° 2021-822 DC du 30 juillet 2021, que sur les dispositions modifiées de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, il ne saurait en être déduit que la question est nouvelle alors que les dispositions applicables au litige ont, ainsi qu'il vient d'être exposé, déjà été déclarées conformes à la Constitution.
14. Enfin, Mme C... fait valoir que, au cours de l'année 2024, le nombre de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance a connu une très forte augmentation et que, pour la première fois, ces mesures ont concerné des personnes mineures. Toutefois, ces circonstances, qui relèvent des modalités d'application de la loi et n'étaient pas imprévisibles, ne sauraient être regardées comme affectant la portée des dispositions des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure. Elles ne constituent ainsi pas un " changement de circonstances " au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 précité justifiant un nouvel examen par le Conseil constitutionnel de leur conformité à la Constitution.
15. Il résulte de tout ce qui précède, et alors même que le Conseil constitutionnel ne s'est pas expressément prononcé sur le grief tiré de ce que les articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure ne seraient pas applicables aux personnes mineures, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée par Mme C....
Sur le bien-fondé du jugement :
16. Aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre ". Aux termes de l'article L. 228-2 du même code : " Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : / 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ; / 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 3° Déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation. / Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. (...) ".
17. Il résulte des dispositions de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure que les mesures qu'il prévoit doivent être prises aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et sont subordonnées à deux conditions cumulatives, la première tenant à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics résultant du comportement de l'intéressé, la seconde aux relations qu'il entretient avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ou, de façon alternative, au soutien, à la diffusion ou à l'adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.
18. Pour prononcer la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance du 17 juin 2024, le ministre de l'intérieur a considéré, en se fondant sur la note des services de renseignements, qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que le comportement de Mme C... constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics. Il ressort toutefois des pièces du dossier que Mme C..., qui est suivie par les services de la protection judiciaire de la jeunesse depuis l'automne 2022 et qui a fait l'objet de plusieurs placements en centre éducatif fermé, n'est connue des services de police que pour des faits de droit commun, en l'occurrence de recel de vol, de détention de produits stupéfiants, de dégradation du bien d'autrui, d'outrage, et, pour avoir commis, à deux reprises, des faits de violence. Ainsi, s'il est établi que le 3 mars 2023, l'intéressée a agressé une jeune femme devant une école maternelle, cette altercation est survenue " sur fond de jalousie ", comme le relève l'arrêté attaqué. Si, en août 2023, Mme C... a invectivé des gendarmes, lancé des projectiles en leur direction et blessé l'un deux alors qu'ils étaient intervenus pour la faire descendre du toit où elle était montée avec d'autres mineures du centre éducatif fermé où elle avait été placée, cette circonstance n'est pas suffisante pour révéler que son comportement constituait une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre public alors que les éducateurs n'ont constaté chez elle aucune idéologie terroriste. Ces faits, pour regrettables qu'ils soient, qui s'inscrivent dans un parcours de vie difficile d'une adolescente présentant une grande fragilité psychologique, ne suffisent pas à caractériser une menace en lien avec un risque de commission d'un acte de terrorisme. Par suite, Mme C... est fondée à soutenir que le ministre de l'intérieur a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, en estimant que la première condition tenant à l'existence d'un comportement constituant une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, était satisfaite.
19. Au surplus, le ministre de l'intérieur a également fondé l'arrêté litigieux sur le motif tiré de ce que Mme C... soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes. Toutefois, s'il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que Mme C... a consulté en 2022, sur son téléphone portable, une vidéo faisant l'apologie de Mohammed Merah, cette situation a été immédiatement signalée aux services éducatifs et a donné lieu à une évaluation du risque de radicalisation, laquelle a conclu que Mme C... n'était pas inscrite dans un fonctionnement radical. Par ailleurs, cette consultation est insuffisante pour établir un quelconque soutien ou une adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes terroristes. Si le ministre de l'intérieur a mentionné que l'intéressée a " exprimé sa volonté et son devoir de tuer " et " fait part de son admiration pour les auteurs d'attentats terroristes qu'elle désignait comme ses frères ", ces éléments ne sont pas suffisamment corroborés par la note des services de renseignements, qui est peu circonstanciée, et alors qu'une note de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse du 19 juillet 2024 indique que depuis la prise en charge de la requérante par les services de la protection judiciaire et de la jeunesse, fin 2022, aucun élément démontrant son adhésion à une idéologie terroriste n'a été observé chez elle. Dans ces conditions, Mme C... est également fondée à soutenir que le ministre de l'intérieur a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en estimant que la seconde condition prévue par l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure était satisfaite.
20. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement, ni d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande de première instance tendant à l'annulation des arrêtés des 17 et 24 juin 2024 du ministre de l'intérieur et des outre-mer. Par suite, elle est fondée à demander l'annulation de l'article 3 de ce jugement ainsi que l'annulation de ces arrêtés.
Sur les frais liés au litige :
21. Mme C... n'a pas été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, ses conclusions tendant au versement à son avocat d'une somme en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée en appel par Mme C....
Article 2 : Les interventions du Syndicat de la magistrature et du Syndicat des avocats de France ne sont pas admises.
Article 3 : L'article 3 du jugement n° 2401358 du 10 septembre 2024 du tribunal administratif de Besançon et les arrêtés des 17 et 24 juin 2024 sont annulés.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme C... sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au Syndicat de la magistrature et au Syndicat des avocats de France, et à Me Dole.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M., président,
- M., premier conseiller,
- Mme, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé
Le président,
Signé
La greffière,
Signé
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N° 24NC02739 2