Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 7 février 2024 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2401667 du 10 juin 2024, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir admis Mme B... à l'aide juridictionnelle provisoire, a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 juin 2024, Mme B..., représentée par Me Kling, demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement n° 2401667 du tribunal administratif de Strasbourg du 10 juin 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 7 février 2024 ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de refus de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité entachant la décision de refus de séjour ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale en raison de l'illégalité entachant les décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français.
La requête a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Lusset a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante arménienne née en 1978, est entrée en France le 2 mai 2017, selon ses déclarations, et a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides par une décision du 25 novembre 2019, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 24 février 2020. Le 11 janvier 2023, Mme B... a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en se prévalant de son état de santé. Par un arrêté du 7 février 2024, la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme B... relève appel du jugement du 10 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. / Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée ".
3. D'une part, pour déterminer si un étranger peut bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire d'un traitement médical approprié, au sens de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il convient de s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès, et non de rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France ou en Europe.
4. D'autre part, la partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Pour refuser la délivrance du titre de séjour sollicité sur le fondement des dispositions précitées, la préfète du Bas-Rhin s'est notamment fondée sur l'avis du collège de médecins de l'OFII du 6 novembre 2023 qui a estimé que l'état de santé de Mme B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, elle peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La préfète du Bas-Rhin indique également dans sa décision que le collège des médecins de l'OFII a estimé que, au vu des éléments du dossier et à la date de l'avis, la requérante était en mesure de voyager sans risque vers son pays d'origine.
6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des attestations médicales produites par Mme B..., que la requérante présentait une insuffisance rénale chronique, d'abord suivie en Arménie, puis en France à partir de 2020, où elle a pu bénéficier d'une transplantation rénale le 22 novembre 2021. Les certificats produits par la requérante, et notamment celui rédigé le 23 février 2024 par un médecin hospitalier indiquant que l'intéressée nécessite " un suivi régulier sur le territoire français dont le défaut pouvait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité " ne suffisent toutefois pas, compte tenu des termes dans lesquels ils sont rédigés, à contredire l'appréciation du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, partant, celle portée par la préfète, quant à la disponibilité du traitement dans le pays d'origine de la requérante. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour, la préfète aurait fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Mme B... fait valoir qu'elle réside en France depuis 2017 avec son époux, qui est en mesure d'exercer une activité professionnelle, et ses deux filles, qui s'y sont intégrées puisque son aînée, née en 2003, est titulaire d'un CAP spécialité " cuisine " obtenu en 2021, et que sa cadette, née en 2005, est actuellement inscrite en première année de faculté de droit à l'université de Strasbourg, après avoir obtenu son baccalauréat en France. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée en France dans le but de demander l'asile et de se faire soigner. La requérante a vu sa demande d'asile définitivement rejetée, puis a pu être soignée en France, sans jamais bénéficier d'un titre de séjour à ce titre. Elle ne justifie par ailleurs pas d'une intégration particulière. En outre, si elle se prévaut des résultats scolaires de ses filles et de leurs efforts d'intégration, ces dernières, en poursuivant des études, n'ont pas vocation à demeurer en France et, désormais majeures, elles ont de surcroît vocation à créer leur propre cellule familiale. Il ressort également des pièces du dossier que Mme B... n'est pas dépourvue d'attaches privées et familiales dans son pays d'origine, dans lequel elle a vécu jusqu'à l'âge de 39 ans et où ses parents et ses sœurs résident toujours. Enfin, elle ne se prévaut d'aucune circonstance qui ferait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue en Arménie. Par suite, les moyens tirés de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 323-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la préfète du Bas-Rhin aurait entaché la décision attaquée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat. ".
10. Les éléments énoncés au point 8 dont se prévaut la requérante ne suffisent pas à caractériser un motif exceptionnel ou une considération humanitaire au sens des dispositions précitées. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la préfète du Bas-Rhin aurait méconnu les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
11. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français et tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ne peut qu'être écarté.
12. En second lieu, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 8.
Sur la décision fixant le pays de destination :
13. Il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé à l'encontre de la décision fixant le pays de destination et tiré, par voie d'exception, de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la préfète du Bas-Rhin du 7 février 2024. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, ainsi que celles présentées au titre des frais d'instance, doivent être également rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à Me Kling.
Copie en sera adressée préfet du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. LussetLe président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 24NC01698