Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 23 février 2024 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2401726 du 26 avril 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 mai 2024, Mme A..., représentée par Me Airiau, demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement n° 2401726 du 26 avril 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 février 2024 de la préfète du Bas-Rhin ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'insuffisance de motivation en droit et en fait ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen dès lors que, contrairement à ce que la préfète du Bas-Rhin a indiqué dans son arrêté elle n'avait pas d'enfant alors que ses deux filles résident en France ;
- la décision est entachée d'une erreur de fait ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire.
La requête a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Lusset a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante géorgienne née le 19 avril 1947, indique être entrée en France le 29 avril 2023. Par un arrêté du 23 février 2024, la préfète du Bas-Rhin l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d'office et lui a interdit le retour sur le territoire durant un an. Mme A... relève appel du jugement du 26 avril 2024 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Si la légalité d'une décision s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise, il appartient au juge de tenir compte des justifications apportées devant lui dès lors qu'elles attestent de faits antérieurs à la décision critiquée même si ces éléments n'ont pas été portés à la connaissance de l'administration avant qu'elle se prononce.
3. L'arrêté en litige mentionne que Mme A... est " veuve et sans enfant " et que " les liens personnels et familiaux de l'intéressée en France ne sont pas anciens, intenses et stables ". Il ressort toutefois des pièces du dossier, et en particulier du formulaire de demande d'asile remis le 27 juin 2023 à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la fiche d'évaluation de vulnérabilité établie par l'Office français de l'immigration de l'intégration (OFII) le 15 juin 2023 que deux de ses filles résident sur le territoire français. Il est constant que ces dernières sont titulaires de cartes de résident valables respectivement jusqu'en 2028 et 2033, et ont ainsi vocation à résider durablement sur le territoire. En outre, la requérante fait valoir, et en atteste par les pièces produites, qu'elle est hébergée par l'une de ses filles, qui subvient à l'ensemble de ses besoins. Dans ces conditions, et dès lors qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que la préfète du Bas-Rhin aurait pris la même décision si elle avait été informée de ces circonstances, Mme A... est fondée à soutenir que la décision en litige est entachée d'une erreur de fait. Par suite, la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, celle fixant le pays de destination et celle portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 23 février 2024.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
6. L'exécution du présent arrêt implique seulement que le préfet du Bas-Rhin réexamine la situation de Mme A.... Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de délivrer à l'intéressée, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Airiau, avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Airiau de la somme de 1 000 euros.
D E C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2401726 du 26 avril 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg et l'arrêté du 23 février 2024 de la préfète du Bas-Rhin sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Bas-Rhin de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois à compter de cette même date.
Article 3 : L'Etat versera à Me Airiau une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Airiau renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à Me Airiau.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. LussetLe président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 24NC01437