Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2023 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2308949 du 21 mars 2024, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 avril 2024, M. B..., représenté par Me Blanvillain, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 21 mars 2024 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2023 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'auteur des décisions est incompétent ;
- les décisions sont entachées d'insuffisance de motivation ;
- elles sont entachées d'un défaut d'examen de sa situation personnelle et professionnelle ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet ne renverse pas la présomption d'authenticité de ses actes d'état civil et a ainsi entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant refus de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il remplit toutes les conditions pour se voir délivrer un tel titre de séjour ;
- il ne représente aucune menace pour l'ordre public ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation : sa durée est disproportionnée.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 24 mai 2024 et 3 juin 2024, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Roussaux, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B..., ressortissant malien, a déclaré être entré sur le territoire français au mois de mars 2018. Il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance par une ordonnance de placement provisoire du procureur de la République près le tribunal judiciaire de A... du 3 avril 2018, puis par un jugement en assistance éducative du tribunal pour enfants de A... en date du 23 avril 2018. Le 22 août 2019, il a sollicité son admission au séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 21 novembre 2023, le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement du 21 mars 2024 du tribunal administratif de Strasbourg qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté préfectoral du 21 novembre 2023.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° les documents justifiant de son état civil ; / 2° les documents justifiant de sa nationalité ; (...) ". L'article L. 811-2 du même code prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Ce dernier article dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ".
3. Ces dispositions posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Cependant, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents. En outre, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.
5. En l'espèce, M. B... a produit, pour justifier de son identité, une copie certifiée conforme à l'original d'un extrait d'acte de naissance n° 18 du 19 janvier 2018, un extrait de jugement supplétif d'acte de naissance n° 301, établi le 19 janvier 2018, et, à hauteur d'appel, une carte consulaire et un passeport malien délivré le 10 mai 2024.
6. Pour remettre en cause le caractère probant de ces documents, le préfet de la Moselle s'est fondé sur les conclusions d'un rapport d'expertise technique établi le 13 mai 2022 par l'expert en fraude documentaire de la direction zonale de la police aux frontières. S'il ressort de ce rapport que la copie certifiée conforme à l'original de l'extrait d'acte de naissance et l'extrait d'un jugement supplétif de l'acte de naissance sont imprimés sur du papier de mauvaise qualité, le mode d'impression utilisé pour leur édition ne permet pas d'établir la fraude Par ailleurs, il ressort des dispositions de la loi n° 06-040 du 11 août 2006 portant institution du numéro d'identification nationale des personnes physiques et morales en République du Mali que le numéro d'identification nationale est attribué à la naissance et doit être inscrit en marge de l'acte de naissance de la personne. Il ne ressort pas de ces dispositions, ni même de celles du décret n° 06 442 /P-RM du 18 octobre 2006 fixant les modalités d'application de la loi portant institution du numéro d'identification nationale des personnes physiques et morales que ce numéro serait automatiquement attribué aux personnes nées avant la promulgation de la loi du 11 août 2006 comme c'est le cas de M. B... mais au contraire que ce numéro est attribué par le service national chargé de la statistique après que les intéressés aient déposé un dossier pour l'obtention de ce numéro. Dans ces conditions, la circonstance que le cadre réservé à l'inscription du numéro d'identification nationale figurant sur l'extrait d'acte de naissance ne soit pas renseigné n'est pas de nature à établir que ce document serait irrégulier ou falsifié. Si les rubriques 17 à 21 de la copie certifiée à l'original de l'acte de naissance ont été complétées, cet élément n'est pas davantage de nature à remettre en cause l'état civil du requérant. Enfin, l'intéressé a produit une ampliation délivrée le 26 janvier 2024 du jugement du tribunal d'instance de Diema n° 301 du 19 janvier 2018 corroborant l'extrait des minutes du jugement initialement produit à l'appui de sa demande. Par suite, et alors qu'au demeurant le requérant a produit son passeport et sa carte consulaire ainsi qu'une attestation du consulat du Mali à Paris du 3 mai 2024 qui atteste de son identité, M. B... est fondé à soutenir qu'il justifie être né le 7 juillet 2002 et avoir fait l'objet d'un placement avant l'âge de seize ans par une ordonnance de placement provisoire du 3 avril 2018.
7. En second lieu, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a suivi avec sérieux une formation et a obtenu son certificat d'aptitude professionnelle (CAP) de " monteur installations sanitaires " en 2021, son CAP " spécialité monteur en installations thermiques " en 2022 et qu'il est, depuis le 20 septembre 2021, en apprentissage au sein de la société Lorraine Gaz Services. Il produit également une attestation du centre départemental de l'enfance de A... du 18 juillet 2019 qui souligne son investissement dans son parcours scolaire et professionnel et sa très bonne insertion. Il était, par ailleurs, scolarisé en bac professionnel " monteur en installation du génie climatique et sanitaire " au moment de la décision litigieuse. Enfin, les seuls contacts qu'il a avec sa famille restée dans son pays d'origine, dans le but de solliciter les pièces administratives dont il avait besoin pour ses démarches en France, n'est pas, par elle-même de nature à faire obstacle à la délivrance du titre de séjour sollicité. Dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir que le préfet de la Moselle a commis une erreur d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que la décision lui refusant l'attribution d'un titre de séjour est illégale et doit être annulée.
En ce qui concerne les autres décisions attaquées :
10. L'illégalité de la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour emporte, par voie de conséquence, l'illégalité de la mesure d'éloignement, de la décision fixant le pays de renvoi et de celle portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 21 novembre 2013.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Eu égard au motif d'annulation retenu, et en l'absence de changement dans les circonstances de droit et de fait depuis l'édiction de l'arrêté du 21 novembre 2023, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que l'autorité administrative délivre à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Dès lors, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Moselle de délivrer un tel titre à l'intéressé dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais de l'instance :
13. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Blanvillain.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2308949 du 21 mars 2024 du tribunal administratif de Strasbourg et l'arrêté du préfet de la Moselle du 21 novembre 2023 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Me Blanvillain une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Blanvillain renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Blanvillain.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLe président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 24NC01076