Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2022 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2305442 du 4 décembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 mars 2024, M. B..., représenté par Me Dollé, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 4 décembre 2023 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2022 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation, dans un délai déterminé, au besoin sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros toutes taxes comprises à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur le refus de titre de séjour :
- il justifie avoir été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans ;
- la décision attaquée méconnaît l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il remplit les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour ;
- le préfet a commis un vice de procédure en s'abstenant de solliciter l'avis de la commission du titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure sur sa situation personnelle ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- cette décision n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle n'est pas suffisamment motivée car le préfet n'a pas examiné si une circonstance exceptionnelle s'opposait au prononcé d'une telle décision ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure sur sa situation personnelle car le centre de ses intérêts matériels et moraux sont en France depuis plus de sept ans.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 mai 2024, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés et qu'il s'en remet également à ses écritures de première instance.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux,
- et les observations de Me Noirot, substituant Me Dollé, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen né le 15 septembre 1999, selon ses dires, est entré irrégulièrement en France en 2015. Etant mineur, il a été confié le 27 avril 2015 au service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Loire. Par une ordonnance de placement provisoire du 28 septembre 2015, le tribunal de grande instance de Metz l'a placé auprès du service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Moselle. A sa majorité, il a sollicité son admission au séjour. Par un arrêté du 8 juin 2022, le préfet de la Moselle a refusé de faire droit à cette demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Par un jugement du 19 septembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté pour défaut d'examen de la demande de l'intéressé et a enjoint au préfet de la Moselle de réexaminer sa situation. Par un nouvel arrêté du 21 novembre 2022, le préfet de la Moselle a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement du 4 décembre 2023 du tribunal administratif de Strasbourg qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté préfectoral du 21 novembre 2022.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ". Aux termes de l'article 375-3 du code civil : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". Aux termes de l'article 375-5 du même code : " A titre provisoire mais à charge d'appel, le juge peut, pendant l'instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d'accueil ou d'observation, soit prendre l'une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4. En cas d'urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure. Si la situation de l'enfant le permet, le procureur de la République fixe la nature et la fréquence du droit de correspondance, de visite et d'hébergement des parents, sauf à les réserver si l'intérêt de l'enfant l'exige ".
3. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'un mineur étranger ne peut être regardé comme ayant été confié au service départemental de l'aide sociale à l'enfance que s'il l'a été en vertu d'un jugement ou d'une ordonnance de l'autorité judiciaire sur le fondement des articles 375-3 ou 375-5 du code civil.
4. Si M. B... soutient qu'il aurait été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Loire au plus tard le 27 avril 2015, soit avant ses seize ans, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'attestation du 13 mars 2018 du président de ce département que l'intéressé a seulement bénéficié d'une mise à l'abri provisoire par les services départementaux. Il ressort ainsi des pièces du dossier, et comme l'ont relevé les premiers juges, que la prise en charge de M. B... n'a débuté qu'avec l'ordonnance de placement du 28 septembre 2015, soit alors que le requérant avait plus de seize ans et moins de dix-huit ans. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Moselle a commis une erreur de droit en estimant qu'il ne remplissait pas les conditions prévues par l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. En deuxième lieu, M. B... se borne à reprendre en appel dans des termes similaires à la première instance le moyen tiré de l'absence de saisine de la commission du titre de séjour, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu par suite, de l'écarter par adoption des motifs retenus, à juste titre, par le tribunal administratif aux points 4 et 5 du jugement contesté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".
7. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de "salarié" ou "travailleur temporaire", présentée sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
8. Pour refuser d'admettre au séjour M. B..., en application des dispositions précitées, le préfet de la Moselle s'est, notamment, fondé sur le motif tiré de l'absence de caractère sérieux de la formation suivie par l'intéressé. Il ressort en effet des pièces du dossier que M. B... a d'abord été scolarisé dans un lycée hôtelier pendant l'année scolaire 2017-2018 en première année de certificat d'aptitude professionnelle (CAP). Au cours de l'année suivante, il a changé de cursus et rompu son contrat d'apprentissage pour s'inscrire au centre de formation des apprentis de Montigny-lès-Metz en vue de préparer un CAP de maçon, qu'il n'a pas obtenu lors de la session de 2020. Pendant ses deux années d'études au CFA, la moyenne des notes de M. B... a varié entre 6,51 et 9,19. En outre, ses enseignants ont relevé ses nombreuses absences injustifiées et son manque d'investissement. Dans ces conditions, le préfet de la Moselle a pu, sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, refuser, pour ce seul motif, le titre de séjour prévu par les dispositions précitées de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Si M. B... est présent en France depuis l'année 2015, il est célibataire et sans enfant à charge et il ne fait état d'aucune attache en France alors qu'il n'est pas dépourvu de liens dans son pays d'origine, où il a vécu pendant la plus grande partie de son existence et où réside une partie de sa famille, et notamment sa sœur avec laquelle il est resté en contact, selon les allégations non démenties du préfet. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été destinataire le 4 octobre 2021 d'un rappel à l'ordre du préfet compte tenu de son comportement irrespectueux à l'égard des agents de la préfecture de la Moselle avec lesquels il est en contact. Il a également fait l'objet d'un rappel à la loi le 15 juillet 2020 à la suite de son interpellation en possession de stupéfiants, ce qui démontre son défaut d'insertion dans la société française. Ainsi, le préfet de la Moselle n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et n'a, par suite, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
11. Il y a lieu d'adopter les motifs retenus par les premiers juges aux points 13 et 14 du jugement contesté pour écarter les moyens, repris en appel dans des termes similaires, tirés de l'insuffisance de motivation de cette décision et de l'erreur manifeste d'appréciation que le préfet aurait commise dans l'appréciation de la gravité des conséquences de cette décision sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
12. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français (...) ".
13. En premier lieu, et alors que le requérant lui-même ne se prévaut d'aucune circonstance exceptionnelle, cette décision, qui comporte les motifs de fait et de droit qui en constituent le fondement, est suffisamment motivée.
14. En second lieu, et compte tenu de ce qui a été dit au point 10, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté préfectoral du 21 novembre 2022 du préfet de la Moselle. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, sous astreinte, ainsi que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Dollé.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLe président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 24NC00663