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24/04/2025 | FRANCE | N°24NC00811

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 24 avril 2025, 24NC00811


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 17 novembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.



Par un jugement n° 2309037 du 7 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal admin

istratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requêt...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 17 novembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2309037 du 7 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 avril 2024, Mme A..., représentée par Me Berry, demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement du 7 février 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 17 novembre 2023 ;

3°) à titre subsidiaire, de suspendre la décision portant obligation de quitter le territoire français jusqu'à la date de lecture, en audience publique, de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de notification de celle-ci ;

4°) dans tous les cas, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour sous peine d'une astreinte fixée à 100 euros par jour de retard dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à défaut d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation dans le même délai et sous peine de la même astreinte ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision est insuffisamment motivée et la préfète n'a pas examiné sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- à titre subsidiaire, cette mesure d'éloignement doit être suspendue sur le fondement de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :

- l'annulation de cette décision s'impose comme la conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision méconnaît les stipulations des articles 3 et L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français prive de base légale la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ;

- cette décision est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Stenger, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante albanaise née le 10 mai 1992, est entrée irrégulièrement en France le 3 décembre 2022, accompagnée de sa mère et de sa sœur. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du 7 août 2023 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) statuant selon la procédure accélérée. Par un arrêté du 17 novembre 2023, pris sur le fondement des dispositions du 4°) de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Mme A... relève appel du jugement du 7 février 2024 par lequel le magistrat désigné par le président le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes tendant à titre principal, à l'annulation de cet arrêté et, à titre subsidiaire, à la suspension de l'exécution de la décision l'obligeant à quitter le territoire français.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée ".

3. La décision attaquée vise notamment les stipulations des articles 8 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables à sa situation, notamment les dispositions du 4° de l'article L. 611-1 de ce code. Elle mentionne les principaux éléments de la situation administrative et personnelle de la requérante, notamment qu'elle est de nationalité albanaise et indique qu'en raison du rejet de sa demande d'asile, par une décision du 7 août 2023 de l'OFPRA, Mme A... se trouve dans la situation dans laquelle l'autorité préfectorale peut prendre à son encontre une obligation de quitter le territoire français. Elle mentionne également que sa mère et sa sœur font également l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, qu'elle ne justifie pas d'autres liens personnels ou familiaux en France et qu'elle n'établit pas être dépourvue d'attaches familiales en Albanie, ni être exposée dans ce pays à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision contestée comporte ainsi, de manière suffisamment précise, les considérations de droit et de fait qui la fondent et est, par suite, suffisamment motivée. Par ailleurs, est sans incidence la circonstance que la décision litigieuse ne fasse pas état de la demande de titre de séjour pour soin déposée le 9 novembre 2023 par la sœur de la requérante, qui était majeure à la date de la décision attaquée. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen personnel doivent être écartés.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. Mme A... se prévaut uniquement de l'état de santé de sa sœur majeure qui justifie, selon elle, que lui soit attribué un titre de séjour. Elle soutient qu'en raison de l'absence d'autonomie de sa sœur, sa présence en France ainsi que celle de sa mère lui sont indispensables. Toutefois, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne leur garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie privée et familiale. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., entrée en France le 3 décembre 2022, ne séjournait en France que depuis moins d'un an. Contrairement à ce qu'elle indique, sa mère et sa sœur font également l'une et l'autre l'objet de mesures d'éloignement. En tout état de cause, elle ne justifie par aucun document que l'état de santé de sa sœur, à supposer même qu'il lui permette l'obtention d'un titre de séjour, nécessite sa présence à ses côtés. Par ailleurs, Mme A..., qui ne justifie pas d'autres liens personnels ou familiaux en France, n'établit pas davantage être dépourvue d'attaches familiales en Albanie, pays dans lequel elle a vécu jusqu'à l'âge de 30 ans. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, compte-tenu notamment des conditions de séjour de la requérante en France, la préfète du Bas-Rhin, en adoptant la décision attaquée, n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressée une atteinte disproportionnée par rapport au but en vue duquel ladite décision a été prise. Par suite, la décision attaquée n'a pas méconnu les normes ci-dessus reproduites et n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme A....

En ce qui concerne la légalité de la décision portant fixation du pays de destination :

6. En premier lieu, compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut être accueilli.

7. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

8. Mme A... fait valoir qu'en cas de retour en Albanie, elle sera de nouveau exposée aux violences de son père. Cependant, l'intéressée n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité et l'actualité des craintes dont elle se prévaut, alors que sa demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations et des dispositions en cause ne peuvent qu'être écartés.

En ce qui concerne la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

9. En premier lieu, eu égard à ce qui a été précédemment développé, le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français devrait être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.

10. En dernier lieu, Mme A... reprend en appel, sans les assortir d'éléments nouveaux, ni critiquer utilement les motifs de rejet qui lui ont été opposés en première instance, les moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur d'appréciation. Il y a ainsi lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus, à bon droit, par le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur les conclusions à fin de suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement :

11. Aux termes de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont le droit au maintien sur le territoire a pris fin en application des b ou d du 1° de l'article L. 542-2 et qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions prévues à la présente section, demander au tribunal administratif la suspension de l'exécution de cette décision jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci ".

12. Au soutien de ses conclusions tendant à la suspension de la mesure d'éloignement prise à son encontre, la requérante fait valoir qu'en cas de retour en Albanie, elle craint d'être à nouveau exposée aux violences de son père, sans pouvoir obtenir la protection des autorités de son pays. Cependant, par les documents versés aux débats, consistant en son récit devant l'OFPRA, un rapport d'Amnesty international 2022/2023 sur la situation des droits humains dans son pays d'origine et un document relatif à l'examen de l'Albanie devant le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes auprès des Nations Unies, la requérante ne peut être regardée comme présentant des éléments sérieux au sens des dispositions précitées de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile de nature à justifier son maintien sur le territoire français pendant l'examen de son recours par la Cour nationale du droit d'asile. Par suite, ses conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Berry et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 20 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Agnel, président,

- Mme Stenger, première conseillère,

- Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 avril 2025.

La rapporteure,

Signé : L. StengerLe président,

Signé : M. Agnel

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 24NC00811 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC00811
Date de la décision : 24/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Laurence STENGER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : BERRY

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-24;24nc00811 ?
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