Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... D... B... a demandé au tribunal administratif de A... d'annuler l'arrêté du 22 août 2023 par lequel la préfète de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2302597 du 28 septembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de A... a prononcé son admission à l'aide juridictionnelle à titre provisoire et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2023, Mme B..., représentée par Me Jeannot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 août 2023 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de Meurthe-et-Moselle de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 800 euros à son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision en litige est intervenue en méconnaissance du droit d'être entendue garanti par l'article 41, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et par un principe général du droit de l'Union européenne ;
- elle est entachée de défaut de motivation ;
- elle est entachée d'erreur de fait ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;
- elle est entachée d'erreur de droit et de vice de procédure, dès lors qu'elle avait sollicité un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que la commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle avait examiné son dossier en juillet 2023 ;
- elle est entachée d'erreur de droit, la préfète s'étant estimée liée par le rejet de sa demande d'asile par la Cour nationale du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée de défaut d'examen au regard des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée de défaut de motivation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2024, la préfète de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Brodier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante zimbabwéenne née en 1988, est entrée irrégulièrement sur le territoire français le 7 décembre 2021 selon ses déclarations, en compagnie de son fils né en 2012. Sa demande d'asile a fait l'objet de décisions de rejet, en dernier lieu, par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 23 février 2023. L'intéressée a sollicité le réexamen de sa demande d'asile le 4 mai 2023. Cette demande a été rejetée par une décision d'irrecevabilité de l'OFPRA du 12 mai 2023, confirmée par une décision de la CNDA du 13 juillet 2023. Par un arrêté du 22 août 2023, la préfète de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 28 septembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de A... a admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 août 2023. Mme B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger victime des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal qui, ayant cessé l'activité de prostitution, est engagé dans le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle mentionné à l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles, peut se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée minimale de six mois. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. / Elle est renouvelée pendant toute la durée du parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites ".
3. Aux termes de l'article R. 121-12-7 du code de l'action sociale et des familles : " La commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle est présidée par le préfet du département ou son représentant ". Aux termes de l'article R. 121-12-9 du même code : " Les situations individuelles des personnes qui présentent une demande d'engagement dans un parcours de sortie de la prostitution ou qui en demandent le renouvellement font l'objet d'une instruction par l'association agréée. Celle-ci présente les engagements de la personne concernée, les actions prévues dans le cadre du projet d'insertion sociale et professionnelle, leur durée, les résultats attendus ou réalisés et émet un avis sur sa situation. La commission rend un avis sur la mise en place et le renouvellement des parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle qui lui sont soumis ". Aux termes de l'article R. 121-12-10 du même code : " Après avis de la commission, le préfet de département autorise ou refuse d'autoriser l'engagement de la personne dans le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle ou son renouvellement. Il lui notifie sa décision, ainsi qu'à l'association en charge de l'instruction de la demande ".
4. Il ressort de la combinaison des dispositions de l'article L. 425-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles du code de l'action sociale et des familles citées plus haut que l'autorité préfectorale qui autorise l'entrée d'un ressortissant étranger dans le parcours de sortie de la prostitution peut lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
5. Il ressort des pièces du dossier que, ainsi qu'elle le soutenait devant la première juge, Mme B... avait présenté une demande d'accompagnement au titre du parcours de sortie de la prostitution, en application de l'article R. 121-12-9 du code de l'action sociale et des familles, après instruction par l'association agréée ARS Antigone. Il ressort également des pièces du dossier que la commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, chargée de rendre un avis afin d'éclairer la décision à intervenir de l'autorité préfectorale, a examiné la situation de Mme B... lors de sa séance du 4 juillet 2023. Le procès-verbal de la séance de cette commission a été dressé le 1er septembre 2023, ainsi qu'il ressort du courrier par lequel il a été communiqué notamment au préfet de Meurthe-et-Moselle. L'autorité préfectorale n'a, enfin, communiqué sa décision de refus d'entrée dans le parcours de sortie de la prostitution à Mme B... que le 14 septembre 2023.
6. La préfète de Meurthe-et-Moselle, en tant qu'autorité chargée des décisions d'entrée dans le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle, ne pouvait pas ignorer l'existence de la demande formée en ce sens par Mme B.... Dans les circonstances de l'espèce, elle ne pouvait pas, sans entacher la décision en litige d'erreur manifeste d'appréciation, lui faire obligation de quitter le territoire français avant de se prononcer sur le sort qu'elle entendait réserver à la demande d'entrée dans le parcours de sortie de prostitution. Par suite, la requérante est fondée demander l'annulation de la mesure d'éloignement prononcée à son encontre ainsi que, par voie de conséquence, des décisions fixant le délai de départ volontaire et le pays de destination.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de A... a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 août 2023.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Compte tenu du motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint à la préfète de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation de Mme B.... Il y a lieu de lui accorder un délai de deux mois pour y procéder.
Sur les frais de l'instance :
9. Mme B... ayant été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocate peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Jeannot, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à Me Jeannot de la somme de 1 500 euros au titre des frais que Mme B... aurait exposés dans la présente instance si elle n'avait pas été admise à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de A... du 28 septembre 2023 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de Mme B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 août 2023.
Article 2 : L'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 22 août 2023 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation de Mme B..., dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Jeannot la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... B..., à Me Jeannot et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 20 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Agnel, président,
Mme Stenger, première conseillère,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 avril 2025.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : M. Agnel
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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N° 23NC03769