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24/04/2025 | FRANCE | N°23NC02460

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 24 avril 2025, 23NC02460


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée (SAS) Eiffage Construction Alsace a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 20 octobre 2021 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de la région Grand Est lui a infligé une amende de 110 000 euros assortie d'une publication de la sanction pendant six mois pour des manquements en matière de règlementation des délais de paiement.



Par

un jugement n° 2108716 du 6 juin 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Eiffage Construction Alsace a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 20 octobre 2021 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de la région Grand Est lui a infligé une amende de 110 000 euros assortie d'une publication de la sanction pendant six mois pour des manquements en matière de règlementation des délais de paiement.

Par un jugement n° 2108716 du 6 juin 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 juillet 2023 et un mémoire enregistré le 29 novembre 2024, la SAS Eiffage Construction Alsace, représentée par Me Audran, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ou à défaut de réformer la décision attaquée.

Elle soutient que :

- l'administration a insuffisamment motivé sa décision en ce qui concerne le choix du recours à l'amende et le montant de celle-ci ;

- la sanction est disproportionnée dans son principe et dans son montant en ce qu'il s'agit de premiers manquements et qu'elle n'a jamais fait l'objet auparavant ne serait-ce que d'un avertissement, qu'elle a parfaitement collaboré durant le contrôle et avait mis en place une politique active de réduction des délais de paiement et dès lors que c'est à titre exceptionnel que l'administration a infligé des amendes supérieures à 100 000 euros en matière de réglementation sur les délais de paiement.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 octobre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive n° 2011/7/UE du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Agnel ;

- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Kerlouan, représentant la société requérante et M. A..., représentant de l'administration.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Eiffage Construction Alsace a fait l'objet d'un contrôle sur place par les services de direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de la région Grand Est ayant donné lieu le 29 avril 2021 à un procès-verbal de constatation de manquements en matière de règlementation des délais de paiement. Par une lettre du 14 juin 2021, le service a porté à la connaissance de la société qu'il envisageait de prononcer à son encontre à raison de ces infractions une amende de 125 000 euros ainsi que la publication de cette mesure sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. La société a présenté ses observations par lettre du 30 juillet 2021. Par décision du 20 octobre 2021, le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de la région Grand Est a décidé d'infliger à la société Eiffage Construction Alsace une amende de 110 000 euros ainsi que la publication de cette sanction pendant une durée de six mois. La société Eiffage Construction Alsace relève appel du jugement du 6 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette sanction.

Sur la régularité de l'amende litigieuse :

2. Aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce applicable à l'établissement de l'amende prévue à l'article L. 441-16 du même code : " IV. - Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. /Passé ce délai, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende ".

3. La décision ci-dessus visée du 20 octobre 2021 rappelle la procédure contradictoire préalable à son édiction. Elle fait référence au procès-verbal de manquement du 29 avril 2021, dont la société requérante ne conteste pas avoir eu notification, lequel comporte un tableau d'un échantillon des factures examinées, précisant pour chaque facture payée avec retard le nom du fournisseur, le montant de la facture, sa date et le détail des griefs imputés à la société requérante et relève qu'au cours de la période contrôlée, du 1er janvier au 31 décembre 2019, sur les 9 276 factures de fournisseurs étudiées 3 095 factures ont été payées avec un retard moyen de 32,4 jours par rapport aux dispositions de l'article L. 441-10 du code de commerce. Elle fait également référence au courrier du 14 juin 2019, lequel était accompagné d'une copie du procès-verbal de constatation des manquements, par lequel l'administration a informé la société requérante de ce qu'elle envisageait de lui infliger une sanction de 125 000 euros. Dans la décision contestée, après avoir répondu aux observations formulées par la société requérante, le directeur régional, admettant certains de ses arguments, a décidé de ramener l'amende à la somme de 110 000 euros, indiqué que le deuxième alinéa du V de l'article L. 470-2 du code de commerce imposait la publication de la sanction sur le site internet de l'administration, précisé que le montant de la sanction résultait d'une appréciation au cas par cas, tenant compte de la fréquence relative des manquements, d'une appréciation de la gravité de ceux-ci, de l'impact des retards sur la trésorerie des partenaires commerciaux et de la situation financière de l'entreprise contrôlée. Par suite, et alors qu'elle n'était pas tenue d'expliquer pourquoi elle infligeait une amende, alors au demeurant que le texte applicable ne prévoit pas d'autre sanction que celle-ci, plutôt que de s'en tenir à un simple avertissement, ni de justifier spécifiquement le quantum de l'amende en l'absence de modalités particulières de détermination de celui-ci prévues par le législateur, l'administration a suffisamment motivé sa décision.

Sur le montant de l'amende :

4. Aux termes de l'article L. 441-10 du code de commerce : " I.- Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues ne peut dépasser trente jours après la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. /Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours après la date d'émission de la facture ". Aux termes de l'article L. 441-16 du même code : " Est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder (...) deux millions d'euros pour une personne morale, le fait de : / a) Ne pas respecter les délais de paiement prévus au I de l'article L. 441-10 (...) / Le maximum de l'amende encourue est porté à (...) quatre millions d'euros pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ".

5. Si la société Eiffage Construction Alsace est fondée à soutenir que les dispositions des articles 2, 3 et 4 de la directive du 16 février 2011 ci-dessus visée définissent le retard de délai de paiement comme tout paiement non effectué dans le délai de paiement contractuel ou légal, dont le point de départ est toujours défini par la date de réception par le débiteur de la facture ou d'une demande de paiement équivalente, il n'en demeure pas moins que le 3 de l'article 12 de cette même directive prévoit que " Les Etats membres peuvent maintenir ou adopter des dispositions plus favorables au créancier que celles nécessaires pour se conformer à la présente directive ". En conséquence, les dispositions précitées de l'article L. 441-10 du code de commerce qui prévoient que le point de départ du délai de paiement court à compter de la date d'émission de la facture sont plus favorables au créancier et donc sont compatibles avec les objectifs clairs de la directive du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. Compte tenu de la double responsabilité prévue par le I de l'article L. 441-9 du code de commerce, qui prévoit que le vendeur a l'obligation de transmettre une facture dès la réalisation de la vente du produit ou de la prestation de service et que l'acheteur doit également la réclamer afin de respecter les obligations qui en découlent, la société Eiffage Construction Alsace n'est pas fondée à soutenir que l'appréciation de la gravité des manquements qui lui ont été imputés, afin de fixer le montant de l'amende, aurait dû se faire en se plaçant à la date de réception de la facture ou de la demande de paiement par ses fournisseurs. Par suite, en se plaçant, notamment, à la date d'émission des factures afin d'apprécier l'ampleur des manquements de la société requérante, l'administration n'a pas fait un usage disproportionné de son pouvoir de sanction.

6. Il résulte de l'instruction que sur les 9 276 factures de fournisseurs émises durant la période vérifiée, 3 095 d'entre elles ont été payées avec un retard moyen de 32,4 jours par rapport aux prescriptions de l'article L. 441-10 du code de commerce, la fréquence relative des manquements s'établissant ainsi à 33,37 % pour une valeur de 7 362 588 euros. Compte tenu de l'importance des infractions relevées en fréquence et en valeur, de la situation économique de la société requérante et du montant maximum de l'amende prévu par le législateur, en fixant à 110 000 euros le montant de l'amende, le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de la région Grand Est n'a pas fait un usage exagéré de son pouvoir de sanction. Dans ces conditions, les circonstances que la société requérante n'avait jamais commis de tels manquements, que des amendes supérieures à 100 000 euros sont très rarement prononcées par l'administration pour de telles infractions, qu'elle aurait mis en place une politique active pour respecter les délais de paiement de ses fournisseurs, qu'elle n'avait aucune pratique délibérée de paiement tardif de ses fournisseurs et que les personnes publiques sont plus favorablement traités par le législateur en la matière ne sauraient caractériser, eu égard à son montant, une disproportion de l'amende litigieuse par rapport à la nature et la gravité des infractions constatées. Contrairement à ce que soutient la société requérante, c'est à juste titre que l'administration a évalué l'avantage financier procuré par le paiement tardif de ses fournisseurs par rapport au besoin de fonds de roulement et non pas par rapport au taux de financement des avances consenties par le groupe de société auquel elle appartient. Demeure également sans incidence sur l'appréciation du caractère proportionné de l'amende litigieuse le déroulement de la procédure de contrôle et d'établissement de cette sanction. Il résulte à cet égard de l'instruction que contrairement à ce qu'elle soutient, la société requérante a été mise en mesure d'obtenir le détail des factures considérées comme ayant été payées tardivement et mise à même de présenter ses observations, ce qu'elle a pu faire utilement, ayant été invitée à apporter des précisions complémentaires, certaines de celles-ci ayant au demeurant été retenues. La circonstance que le service n'a pas retenu toutes ses contestations dans le cadre de la procédure contradictoire et que l'administration admet avoir retenu à tort dans la décision attaquée comme payées tardivement deux factures, n'est pas davantage de nature à caractériser une disproportion de l'amende litigieuse.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Eiffage Construction Alsace n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Eiffage Construction Alsace est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Eiffage Construction Alsace et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 20 mars 2025, à laquelle siégeaient :

M. Agnel, président de chambre,

Mme Stenger, première conseillère,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 avril 2025.

Le président rapporteur,

Signé : M. AgnelL'assesseure la plus ancienne,

Signé : L. Stenger

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 23NC02460 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02460
Date de la décision : 24/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : SCP GIDE LOYRETTE NOUEL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-24;23nc02460 ?
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