Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 13 novembre 2020 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Socotec Construction à procéder à son licenciement pour inaptitude. La société Socotec Construction a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 10 juin 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par Mme C... contre la décision du 13 novembre 2020 autorisant son licenciement, a annulé cette décision et a refusé le licenciement de cette dernière.
Par un jugement n°s 2100210, 2201671 du 17 janvier 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a d'une part, considéré qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la demande formée par Mme C... et d'autre part, a rejeté la demande de la société Socotec Construction.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 mars et 8 juillet 2023, la société Socotec Construction, représentée par Me Brassart, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 17 janvier 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 juin 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 10 juin 2021 ;
3°) de mettre respectivement à la charge de l'Etat et de Mme C... une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'inspecteur du travail et la ministre du travail n'avait pas à contrôler la cause de l'inaptitude de Mme C... lors de l'examen de la demande d'autorisation de licenciement qu'elle avait formée ; ce faisant, la ministre a outrepassé ses prérogatives et sa compétence et entaché d'illégalité sa décision ; cette position est d'autant plus contestable que les motifs prétendument à l'origine de l'inaptitude n'ont pas trait à l'exercice de son mandat mais à ses conditions de travail, notamment une surcharge de travail, dont la contestation relève exclusivement du juge des Prud'hommes, d'ailleurs saisi dans ce dossier ; la ministre du travail, qui n'a caractérisé aucun obstacle mis par l'employeur à l'exercice des mandats de Mme C... ayant pu avoir un lien direct avec son inaptitude, ne démontre pas, a fortiori, le lien existant entre la dégradation de son état de santé et de tels obstacles ;
- l'administration et les premiers juges ont méconnu les dispositions de l'article R. 2421-7 du code du travail en prenant en compte les mandats antérieurement détenus par Mme C... ; leur contrôle ne pouvait porter que sur les éventuels obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives en cours à la date à laquelle l'inspecteur du travail s'est prononcé ; il est erroné d'affirmer que Mme C... a bénéficié du statut de salarié protégé de manière ininterrompue depuis 2009 dès lors qu'elle n'en a plus bénéficié entre décembre 2018 et sa réélection en qualité de déléguée syndicale au conseil social et économique le 22 mai 2019 ; la ministre ne pouvait donc prendre en compte que la période comprise entre le 22 mai 2019 et le 13 novembre 2020 ;
- la ministre du travail a commis une erreur d'appréciation dès lors qu'il n'existe aucun lien direct entre la dégradation de l'état de santé de l'intéressée et de prétendus obstacles à l'exercice de ses mandats ; les témoignages de Mme C... et de Mme A... devant le conseil social et économique ne sont pas probants ; l'avis défavorable du conseil social et économique a été pris à une voix contre et dix abstentions, ce qui met en exergue la réalité de l'inaptitude ;
- sa demande était recevable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2023, Mme B... C..., représentée par Me Thomann, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la société Socotec sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête initiale de la société Socotec Construction était tardive ;
- les premiers juges ne se sont pas prononcés sur cette forclusion ;
- ses moyens ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mars 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Socotec Construction ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Laurence Stenger, première conseillère,
- les conclusions de Mme Cyrielle Mosser rapporteure publique,
- et les observations de Me Brassart, pour la société Socotec Construction.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... était assistante d'agence à la société Socotec Construction de Mulhouse. Elle était salariée protégée en sa qualité de déléguée syndicale. Elle a été déclarée inapte à son poste sans possibilité de reclassement par le médecin du travail le 9 juillet 2020. Par une demande du 16 septembre 2020, la société Socotec Construction a sollicité l'autorisation de licencier Mme C... pour inaptitude. Par une décision du 13 novembre 2020, l'inspecteur du travail a autorisé la société Socotec Construction à licencier l'intéressée en raison de son inaptitude. Toutefois, à la suite du recours hiérarchique exercé par la société Socotec Construction, par une décision du 10 juin 2021, la ministre du travail a annulé la décision du 13 novembre 2020 autorisant le licenciement de Mme C... et a refusé son licenciement. La société Socotec Construction relève appel du jugement du 17 janvier 2023 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 juin 2021.
Sur la recevabilité de la requête de première instance :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " (...) la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Mme C... soutient que la demande présentée le 14 mars 2022 par la société Socotec Construction tendant à l'annulation de la décision du 10 juin 2021 devant le tribunal administratif de Strasbourg était tardive. Toutefois, il est établi que la requête de la société requérante a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Strasbourg, le 5 août 2021, dans le cadre de l'instance n°2100210 introduite par Mme C... à l'encontre de la décision du 13 novembre 2020 édictée par l'inspecteur du travail. Or, par un courrier du 4 mars 2022, le greffe de ce tribunal a demandé à la société Socotec Construction de régulariser sa demande en produisant une nouvelle requête, ce que cette dernière a fait par le dépôt de son mémoire introductif d'instance le 14 mars 2022, enregistré sous le n°2201671. Par suite, la demande de la société Socotec Construction, introduite initialement le 5 août 2021, n'était pas tardive.
Sur la légalité de la décision attaquée :
3. Aux termes de l'article R. 2421-7 du code du travail prévoit que, saisis d'une demande d'autorisation de licencier un salarié protégé, " l'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé ".
4. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'administration de rechercher si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé sans rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives, est à cet égard au nombre des éléments de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.
5. La société Socotec Construction soutient que, contrairement à ce qu'ont relevé la ministre du travail et les premiers juges, il n'existe aucun lien entre la demande d'autorisation de licenciement de Mme C... et son mandat de déléguée syndicale. Elle affirme que la ministre du travail n'a pas démontré en quoi les conditions de travail de l'intéressée, à savoir la surcharge de travail alléguée, dont la matérialité n'est pas établie, ont constitué un obstacle mis par son employeur à l'exercice de ses mandats.
6. Il ressort des pièces du dossier, particulièrement du rapport d'enquête du 12 avril 2021, qu'informée par Mme C..., en février 2015 puis en mars 2017, des difficultés que cette dernière déclarait rencontrer pour concilier son travail avec l'exercice de son mandat syndical, la société Socotec a mis en œuvre des mesures pour gérer ses absences syndicales, en faisant appel à des assistantes alternantes en brevet de technicien supérieur (BTS) et à la société Phone Régie pour l'emploi d'assistantes. Or, l'appréciation critique de ces solutions adoptées par l'employeur, qui seraient, selon Mme C..., à l'origine d'une désorganisation de ses conditions de travail et d'une surcharge de travail, repose uniquement sur les déclarations de la salariée et ne sont corroborés par aucun élément. A cet égard, si, comme le reconnaît la société requérante, les difficultés rencontrées pour la remplacer lors des mois de juillet et août 2017, ont été susceptibles d'engendrer une surcharge de travail ponctuelle, elles ne peuvent, à elles-seules, caractériser un obstacle mis par l'employeur à l'exercice des mandats de l'intéressée. Par ailleurs, les témoignages de Mme C... et de Mme A..., faisant état d'une surcharge de travail de la salariée incompatible avec l'exercice de ses heures de délégation, ne sont pas suffisamment probants dès lors qu'ils reposent sur les propres déclarations de la salariée et que Mme A... avait quitté l'entreprise Socotec depuis 2015. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que la salariée n'a pas pu exercer l'ensemble des heures de délégation dont elle bénéficiait. A cet égard, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que c'est en raison d'une surcharge de travail que Mme C... a dû démissionner de son mandat auprès du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ensuite, les pièces médicales produites ne démontrent pas l'existence d'un lien entre la surcharge de travail alléguée par Mme C... et la dégradation de son état de santé ni que ses conditions de travail ont constitué des obstacles mis par son employeur à l'exercice de ses mandats. A cet égard, l'accident du 19 mars 2019, subi par l'intéressée sur son lieu de travail, n'a pas été reconnu comme un accident du travail par la caisse primaire d'assurance maladie. Enfin, lorsqu'en en juin 2018, Mme C... a demandé à son directeur un aménagement horaire au motif d'un stress professionnel, ce dernier en reconnaît la nécessité en lien avec la médecine du travail et l'après-midi du mercredi lui est alors accordée. Or, il est constant que Mme C... n'a exercé aucun mandat syndical entre juin 2018 et mai 2019 et qu'en juillet 2018, elle avait développé une activité d'auto-entrepreneur. Dans ces conditions, en considérant que l'inaptitude de la salariée résultait d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec les obstacles mis par la société Socotec à l'exercice de ses fonctions représentatives résultant d'une organisation dysfonctionnelle de ses conditions de travail lors de ses absences syndicales, la ministre du travail a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Socotec Construction est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 10 juin 2021.
Sur les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
9. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Socotec, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme demandée par Mme C... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... et de l'Etat la somme demandée par la société Socotec Construction sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 janvier 2023 est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Socotec Construction est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme C... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Socotec Construction, à Mme B... C... et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience publique du 20 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Agnel, président,
Mme Stenger, première conseillère,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 avril 2025.
La rapporteure,
Signé : L. Stenger Le président,
Signé : M. Agnel
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 23NC00841 2