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22/04/2025 | FRANCE | N°23NC03392

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 22 avril 2025, 23NC03392


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son assignation à

résidence.



Par un jugement n° 2306704 du 19 octobre 2023, la magistrate désignée...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son assignation à résidence.

Par un jugement n° 2306704 du 19 octobre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2023, et des pièces complémentaires enregistrées le 18 décembre 2023, M. A..., représenté par Me Airiau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler les arrêtés du 19 septembre 2023 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification du présent arrêt ;

4°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision l'obligeant à quitter le territoire est entachée d'un défaut d'examen de sa situation individuelle ;

- cette décision méconnait les dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnait également les dispositions de l'article L. 424-11 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le refus d'accorder un délai de départ volontaire est illégal dès lors qu'il fait preuve d'un effort d'intégration dans la société française et que ce refus porte une atteinte grave à ses intérêts et sa vie privée ;

- la décision fixant le pays de destination doit être annulée en conséquence de l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire ;

- la décision prononçant une assignation à résidence doit être annulée en conséquence de l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire sans délai ;

- la décision prononçant l'interdiction de retour sur le territoire français doit être annulée en conséquence de l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire ;

- cette décision méconnait les dispositions de l'article L.612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 janvier 2025, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 décembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Barlerin a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., né le 28 mai 1974 en Albanie, de nationalité albanaise, est entré en France en 2017 et y a sollicité l'asile, demande qui a été rejetée le 26 décembre 2017 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 7 septembre 2018. Il a ensuite fait l'objet, le 19 novembre 2018, d'une obligation de quitter le territoire mais s'y est maintenu et a sollicité un titre de séjour. Il a fait l'objet d'une deuxième obligation de quitter le territoire le 1er août 2022. Le 19 septembre 2023, la préfète du Bas-Rhin a pris à son encontre, d'une part, un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et lui interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, et, d'autre part, un arrêté ordonnant son assignation à résidence. M. A... relève appel du jugement du 19 octobre 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Le requérant ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale en cours d'instance, sa demande d'admission provisoire à cette aide est devenue sans objet.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :

2. En premier lieu, il ne ressort ni des termes de la décision attaquée ni des pièces du dossier que la préfète du Bas-Rhin n'aurait pas procédé à l'examen de la situation particulière de l'intéressé avant de prendre à son encontre l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré d'un défaut d'examen de sa situation doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Sauf s'il est exempté de cette obligation, des visas exigés par les conventions internationales et par l'article 6, paragraphe 1, points a et b, du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ; / 2° Sous réserve des conventions internationales, et de l'article 6, paragraphe 1, point c, du code frontières Schengen, du justificatif d'hébergement prévu à l'article L. 313-1, s'il est requis, et des autres documents prévus par décret en Conseil d'Etat relatifs à l'objet et aux conditions de son séjour et à ses moyens d'existence, à la prise en charge par un opérateur d'assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y compris d'aide sociale, résultant de soins qu'il pourrait engager en France, ainsi qu'aux garanties de son rapatriement ; / 3° Des documents nécessaires à l'exercice d'une activité professionnelle s'il se propose d'en exercer une ". L'article L. 611-1 du même code dispose que : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ". L'article L. 611-2 du même code précise que : " L'étranger en provenance directe du territoire d'un des États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 peut se voir appliquer les 1° et 2° de l'article L. 611-1 lorsqu'il ne peut justifier être entré ou s'être maintenu sur le territoire métropolitain en se conformant aux stipulations des paragraphes 1 et 2 de l'article 19, du paragraphe 1 de l'article 20 et des paragraphes 1 et 2 de l'article 21 de cette même convention ". Le paragraphe 1 de l'article 20 de cette convention prévoit que les étrangers non soumis à l'obligation de visa peuvent circuler librement sur les territoires des Etats parties pendant une durée maximale de trois mois au cours d'une période de six mois à compter de la date de première entrée, pour autant qu'ils remplissent les conditions d'entrée visées à l'article 5, paragraphe 1, points a), c), d) et e). Le c) du paragraphe 1 de l'article 5 précise que, pour un séjour n'excédant pas trois mois, l'entrée sur le territoire des parties contractantes peut être accordée à l'étranger justifiant de l'objet et des conditions du séjour envisagé et disposant des moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays de provenance ou le transit vers un Etat tiers dans lequel son admission est garantie, ou étant en mesure d'acquérir légalement ces moyens.

4. Il résulte de ces dispositions que la seule détention d'un passeport biométrique n'est pas suffisante pour se prévaloir d'une entrée régulière en France. En l'espèce, M. A... n'établit pas que, lors de son entrée en France, il justifiait d'une assurance prenant en charge les dépenses médicales et hospitalières, y compris d'aide sociale, et de garanties relatives à son hébergement et à son rapatriement. Par ailleurs, en tout état de cause et contrairement à ses affirmations, M. A... n'établit pas avoir fourni à l'administration, préalablement à l'édiction de la mesure d'éloignement litigieuse, les éléments permettant la régularisation de son séjour ou d'établir son entrée régulière sur le territoire français. Il s'ensuit qu'il n'est pas fondé à soutenir que la préfète du Bas-Rhin aurait commis une erreur de droit ou une erreur de fait dans l'application de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 424-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour pluriannuelle portant la mention "membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire", identique à la carte prévue à l'article L. 424-9 délivrée à l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire, est délivrée à : / (...) / 4° Ses parents si l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié. ". Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an (...) ".

6. Un ressortissant étranger ne peut faire l'objet d'une mesure ordonnant sa reconduite à la frontière ou prescrivant à son égard une obligation de quitter le territoire français en application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour. Toutefois, en l'espèce, M. A... ne démontre pas qu'il contribuait, à la date de la décision attaquée, à l'entretien et à l'éducation de ses filles, l'une d'elle, dont il a au demeurant déclaré ne pas avoir la garde, bénéficiant de la protection subsidiaire. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir qu'il remplissait les conditions posées par les dispositions de l'article L. 424-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que la préfète du Bas-Rhin ne pouvait légalement lui faire obligation de quitter le territoire français du fait qu'il pouvait prétendre à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour doit être écarté.

En ce qui concerne la décision refusant un délai de départ volontaire :

7. M. A... n'apporte, au soutien de son moyen unique tiré de ses efforts d'intégration dans la société française, aucun élément de nature à établir de manière suffisamment probante ladite intégration, alors qu'il a fait l'objet en 2018 et 2022 de deux premières décisions portant obligation de quitter le territoire français, qu'il n'a pas respectées. Dans ces conditions, et en tout état de cause, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour en France ainsi qu'à l'absence de garanties de représentation suffisantes présentées par l'intéressé, qui se maintient irrégulièrement sur le territoire français depuis 2018, il n'est pas fondé à soutenir qu'en lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire, la préfète du Bas-Rhin aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision attaquée sur sa situation personnelle.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination et la décision prononçant une assignation à résidence :

8. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination ainsi que celle prononçant une assignation à résidence sont illégales en raison de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire.

10. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

11. En application des dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité préfectorale peut, dans le respect des principes constitutionnels et conventionnels et des principes généraux du droit, assortir une obligation de quitter le territoire d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'intéressé, en se fondant pour en justifier tant le principe que la durée, sur la durée de sa présence en France, sur la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, sur la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et sur la menace à l'ordre public que représenterait sa présence en France.

12. En l'espèce, la décision interdisant à M. A... un retour sur le territoire français pendant une durée de 24 mois reprend les étapes de la présence de M. A... sur le territoire français, les différentes décisions d'éloignement prises à son encontre, et précise, concernant ses deux filles, qu'il a déclaré ne pas en avoir la garde. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la préfète du Bas-Rhin n'aurait pas examiné sa situation au regard de la durée de sa présence en France et de la situation de ses filles doit être écarté.

13. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

14. Le présent arrêt n'impliquant aucune mesure d'exécution, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. A....

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire de M. A....

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Steven Airiau et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 18 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Durup de Baleine, président,

- M. Barlerin, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 avril 2025.

Le rapporteur,

Signé : A. Barlerin

Le président,

Signé : A. Durup de Baleine

Le greffier,

Signé : A. Betti

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

A. Betti

2

N° 23NC03392


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03392
Date de la décision : 22/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DURUP DE BALEINE
Rapporteur ?: M. Axel BARLERIN
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET
Avocat(s) : AIRIAU

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-22;23nc03392 ?
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