Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du 25 avril 2024 par lequel la préfète des Vosges a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète des Vosges de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et, dans cette attente, de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail ou, à défaut, d'enjoindre à la préfète des Vosges de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et, dans cette attente, de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail et enfin de lui enjoindre également de le retirer du signalement aux fins de non admission dans le système Schengen (DIS) dont il fait l'objet, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2401598 du 26 septembre 2024, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 25 avril 2024 de la préfète des Vosges, lui a enjoint de délivrer à M. B... un titre de séjour l'autorisant à travailler dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et immédiatement une autorisation provisoire de séjour et également de saisir, sans délai, les services ayant procédé au signalement de M. B... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, en vue de la mise à jour du fichier en tenant compte de cette annulation et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à M. B....
Procédures devant la cour :
I/ Par une requête enregistrée le 2 octobre 2024, sous le n° 24NC02463, la préfète des Vosges demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2401598 du 26 septembre 2024 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Nancy.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur de droit sur la nature de leur contrôle ; alors qu'en matière d'admission exceptionnelle au séjour, les juges administratifs doivent se livrer à un contrôle restreint, il ressort du jugement attaqué que, quand bien même il est précisé que la décision est entachée " d'une erreur manifeste d'appréciation ", les premiers juges ont en réalité substitué leur appréciation à celle retenue par ses services et ont opéré un contrôle normal ;
- c'est à tort que les premiers juges, pour annuler l'arrêté du 25 avril 2024, sur le fondement de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ont considéré qu'elle avait commis une double erreur d'appréciation concernant la définition des difficultés de recrutement ;
. le certificat universitaire albanais, en construction d'isolation thermique, a été délivré le 16 juin 2007 à M. B... et il n'est démontré aucune équivalence avec les diplômes qualifiants de monteur en isolation thermique délivrés en France ; par ailleurs, M. B... ne justifie d'aucune expérience significative ;
. la simple attestation de son employeur faisant état de recherches d'ouvriers qualifiés dans ce domaine n'est pas suffisante pour démontrer les difficultés de recrutement alors même que ce domaine professionnel n'est pas considéré comme étant en tension par l'arrêté ministériel du 1er avril 2021 actualisé.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 novembre 2024, M. B..., représenté par Me Jeannot, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) en tout état de cause, à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 25 avril 2024 et à ce qu'il soit enjoint à la préfète des Vosges de lui délivrer un titre de séjour "vie privée et familiale" ou "salarié" dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir et, dans cette attente, de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail ;
3°) à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint à la préfète des Vosges, d'une part, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir et, dans cette attente, de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail et, d'autre part, de le retirer du signalement aux fins de non admission dans le système Schengen (DIS) dont il fait l'objet sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont annulé l'arrêté préfectoral litigieux du 25 avril 2024 pour méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
sur la décision portant refus de titre de séjour :
- elle est entachée d'erreur de fait, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que la préfète a examiné sa demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qui ne lui était pas demandé ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
. la préfète n'a pas examiné son droit au séjour sur le fondement de la vie privée et familiale ;
. la préfète s'est fondée à tort sur la circonstance que le métier pour lequel il disposait d'une promesse d'embauche n'est pas un métier en tension ;
- elle est entachée d'erreurs de fait dès lors qu'il dispose d'un diplôme, d'une qualification et d'une expérience professionnelle et que la préfète n'a également pas tenu compte de la présence régulière de sa sœur en France ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile s'agissant de sa vie privée et familiale et de son intégration par le travail ;
- si la cour devait annuler le jugement, il est fondé à soutenir que la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'un défaut de motivation en méconnaissance des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ; il n'a pas été satisfait à l'obligation de motivation sur le terrain des motifs humanitaires au titre de l'article L. 435-1 du code précité ;
- elle méconnaît les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle est entachée d'erreur de droit au regard de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que la préfète s'est estimée à tort en situation de compétence liée pour prendre la mesure d'éloignement ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences sur sa situation personnelle ;
sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
- elle est insuffisamment motivée, en particulier s'agissant de la nécessité de prendre une telle décision ; les quatre critères cumulatifs de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas mentionnés dans la décision litigieuse ;
- elle est entachée d'erreur de fait, d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation, compte tenu que le centre de ses intérêts matériels et moraux sont en France, de l'annulation par le tribunal administratif de Nancy de la précédente décision portant obligation de quitter le territoire français du 28 novembre 2023 et du caractère inutile de cette décision qui emporte des conséquences particulièrement disproportionnées sur sa vie privée et familiale.
Par une ordonnance du 14 novembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 29 novembre 2024 à midi.
II/ Par une requête enregistrée le 2 octobre 2024, sous le n° 24NC02464, la préfète des Vosges demande à la cour, sur le fondement des dispositions des articles R. 811-15 à R. 811-17 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution de l'article 2 du jugement n° 2401598 du 26 septembre 2024 du tribunal administratif de Nancy, en ce qu'il lui a enjoint de délivrer à M. B..., un titre de séjour l'autorisant à travailler.
Elle soutient que :
- il existe un moyen sérieux de nature à justifier l'annulation du jugement : le tribunal administratif de Nancy a manifestement méconnu les règles de droit encadrant strictement son office, en ce qu'il a substitué entièrement son appréciation à celle de ses services ;
- c'est à tort que les premiers juges, pour annuler l'arrêté du 25 avril 2024, ont considéré que celui-ci était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des motifs de la situation personnelle de M. B... ;
- les autres moyens soulevés en première instance par M. B... ne sont pas fondés.
La procédure a été communiquée à M. B... qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 18 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 18 novembre 2024 à midi.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux ;
- et les observations de Me Jeannot représentant M. B....
Une note en délibéré présentée par Me Jeannot, représentant M. B..., a été enregistrée le 12 mars 2025 dans le dossier 24NC02463.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant albanais né le 31 décembre 1989, est entré une première fois en France en 2018 et est retourné dans son pays en vue d'y solliciter un visa, lequel lui a été refusé le 25 octobre 2019. Il est entré une nouvelle fois en France à une date indéterminée et a sollicité la délivrance d'un titre de séjour le 21 juillet 2023. Un premier refus lui a été opposé le 28 novembre 2023 et qui a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Nancy du 11 avril 2024. Par un dernier arrêté du 25 avril 2024, la préfète des Vosges a refusé de nouveau de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. B... a alors demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler cet arrêté préfectoral du 25 avril 2024 et a formulé également des conclusions à fin d'injonction. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par un seul arrêt, la préfète des Vosges, d'une part, relève appel du jugement n° 2401598 du 26 septembre 2024 et, d'autre part, demande le sursis à exécution de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ne ressort pas des motifs du jugement litigieux que les premiers juges, qui ont précisé au point 3 de leur jugement que la préfète des Vosges avait entaché sa décision " d'une erreur manifeste d'appréciation ", auraient méconnu leur office en matière d'admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en procédant en réalité à un contrôle normal. Il s'ensuit que la préfète des Vosges n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier pour ce motif.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1./Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14./Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat ".
4. En présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement des dispositions précitées, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle
au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond
à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre
la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifierait
d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail, ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là-même, des " motifs exceptionnels " exigés par la loi. Il appartient,
en effet, à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment,
si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques
de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... dispose d'une promesse d'embauche du 11 avril 2023, établie par la société Isola Scala, dont le siège est à Neufchâteau, dans le département des Vosges pour un poste de calorifugeur. L'intéressé a justifié être titulaire d'un certificat professionnel reconnu par le ministère du travail et des affaires sociales albanais en qualité de constructeur d'isolation thermique, délivré le 16 juin 2007. S'il n'établit pas disposer d'une expérience dans ce secteur, le gérant de la société Isola Scala fait état des compétences professionnelles de l'intéressé dans ce domaine d'activité. En outre, ce gérant a attesté par un courrier circonstancié, et corroboré par des échanges avec le service de Pôle emploi, ne pas trouver, depuis plusieurs années, de main d'œuvre qualifiée pour le poste de calorifugeur dans le secteur géographique de Neufchâteau. Par ailleurs, si le domaine d'activité envisagé ne figure pas dans la liste des métiers en tension dans la région Grand Est, cette circonstance ne dispensait pas la préfète des Vosges d'examiner et de prendre en compte l'état du marché du travail dans le secteur géographique précité. En outre, M. B... établit entretenir des liens avec sa sœur, qui réside régulièrement dans le département des Vosges, et de son intégration au sein de la famille du gérant de la société, qui l'héberge depuis le 1er juillet 2023. Par suite, dans les circonstances très particulières de l'espèce, comme l'ont relevé les premiers juges, la préfète des Vosges a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en refusant de délivrer un titre de séjour à M. B... sur le fondement de l'article L. 435-1 précitées.
6. Il résulte de ce qui précède que la préfète des Vosges n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué du 26 septembre 2024, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté préfectoral du 25 avril 2024 et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à M. B....
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution du jugement attaqué :
7. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur l'appel de la préfète des Vosges. Par suite, les conclusions aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les frais liés à l'instance n° 24NC02463 :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24NC02464 de la préfète des Vosges aux fins de sursis à exécution du jugement n° 2401598 du 26 septembre 2024 du tribunal administratif de Nancy.
Article 2 : La requête n° 24NC02463 de la préfète des Vosges est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt sera adressée à la préfète des Vosges.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er avril 2025.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLe président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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Nos 24NC02463, 24NC02464