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01/04/2025 | FRANCE | N°21NC01798

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 01 avril 2025, 21NC01798


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Baus France a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 561 792 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2017, ainsi que de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice subi pour les années 2013 à 2017 du fait des illégalités commises par les services de l'Etat.



Par un jugement n° 1802765 du 15 avril 2021, le tribunal administratif de Strasbo

urg a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Baus France a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 561 792 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2017, ainsi que de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice subi pour les années 2013 à 2017 du fait des illégalités commises par les services de l'Etat.

Par un jugement n° 1802765 du 15 avril 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 juin 2021, la société Baus France, représentée par Me Gallet, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 15 avril 2021 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 561 792 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2017, ainsi que de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice subi pour les années 2013 à 2017 du fait des illégalités commises par les services de l'Etat ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la directive 2007/46/CE a été transposée tardivement en droit interne ;

- la transposition en droit interne de la procédure de réception individuelle des véhicules à moteur par l'arrêté du 4 mai 2009 modifié par l'arrêté du 28 avril 2015 est irrégulière en ce qu'elle comporte des exigences supplémentaires à celles prévues par la directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 septembre 2007 ;

- la DREAL Grand Est a excédé son champ de compétences et imposé des exigences excessives au regard des dispositions applicables dans le traitement des demandes de réception qu'elle a déposées ;

- la DREAL Grand Est a commis une faute en traitant ses demandes de réception dans des délais excessifs ;

- la DREAL Grand Est a également commis une faute compte tenu du traitement discriminatoire dont ses demandes de réception ont fait l'objet ;

- alors que le juge administratif a retenu, par des décisions de 2014 et 2017, des fautes de la DREAL Grand Est de nature à engager sa responsabilité, cette dernière a réitéré les pratiques illégales sanctionnées par le juge à l'occasion d'autres procédures de réception ;

- la DREAL Grand Est a commis une illégalité fautive en apposant sur plusieurs procès-verbaux de réception une mention non prévue par les textes de nature à dissuader des acquéreurs potentiels ;

- l'ensemble des pratiques protectionnistes et discriminatoires adoptées à son encontre par la DREAL Grand Est révèle un détournement de pouvoir ;

- elle a également subi, du fait d'une différence de traitement par les services de l'Etat, une rupture d'égalité devant les charges publiques ;

- elle a subi un préjudice qui s'élève à 570 000 euros au titre de l'augmentation des charges d'exploitation, à 73 847 euros au titre du recrutement spécifique d'un salarié, à 5 500 euros au titre des frais de dossiers, à 17 295 euros au titre des surfacturations de redevances de réception, à 125 150 euros au titre des pénalités de retard, à 1 545 000 euros au titre de la perte d'exploitation, à 125 000 euros au titre des frais de trésorerie et à 100 000 euros au titre de l'atteinte à son image et à sa réputation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 septembre 2007 établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, de leurs remorques et des systèmes, des composants et des entités techniques destinés à ces véhicules ;

- le règlement (CE) n° 661/2009 du Parlement européen et du Conseil ;

- le code de la route ;

- le décret n° 2009-235 du 27 février 2009 relatif à l'organisation et aux missions des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement ;

- le décret n° 2009-497 du 30 avril 2009 relatif aux réceptions et homologations des véhicules ;

- le décret n° 2014-1273 du 30 octobre 2014 ;

- l'arrêté ministériel du 4 mai 2009 modifié, relatif à la réception des véhicules à moteur ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lusset,

- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Baus France importe et commercialise en France, depuis 2008, des ambulances modifiées en Pologne. Pour être mis à la vente, en application des dispositions des articles R. 321-6 et R. 321-15 du code de la route, ces véhicules doivent faire l'objet d'une procédure de réception par laquelle les services compétents de l'Etat certifient qu'ils satisfont aux dispositions administratives et aux exigences techniques applicables. La réception des véhicules à moteur, dont font partie les ambulances, est régie par la directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 septembre 2007. Si plusieurs modalités de réceptions y sont prévues, dont la procédure de référence est la réception " CE de type " harmonisée à l'échelon communautaire, la société requérante a opté pour la procédure de réception individuelle, qui est valable pour un seul véhicule et seulement à l'échelon national. La directive 2007/46/CE prévoit par ailleurs que dans l'attente d'une harmonisation communautaire des dispositions applicables aux réceptions individuelles, les Etats membres continuent à les octroyer conformément à leur réglementation nationale, sur la base toutefois des exigences techniques harmonisées de la directive et notamment de son annexe XI. Dans le cadre de la réception de ses ambulances entre 2013 et 2017 par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) Grand Est, issue de la fusion, depuis le 1er janvier 2016, des DREAL d'Alsace, de Lorraine et de Champagne-Ardenne, la société Baus France met en cause les services de l'Etat à raison des obstacles qu'elle estime avoir rencontrés, en raison, d'une part, de la transposition incorrecte du droit communautaire et, d'autre part, des fautes commises par ces services dans le traitement de ses demandes. La société Baus France relève appel du jugement du 15 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis à hauteur de 2 561 792 euros.

Sur la responsabilité de l'Etat du fait de la transposition incorrecte du droit communautaire :

2. Aux termes de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres ". Cette stipulation impose aux Etats de prendre toutes les mesures nécessaires et appropriées pour assurer sur leur territoire le respect de la liberté fondamentale que constitue la libre circulation des marchandises. Aux termes de l'article 36 du même traité : " Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes (...). Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ".

3. Aux termes de l'article 24 de la directive 2007/46/CE du 5 septembre 2007 : " 1. Les Etats membres peuvent dispenser un véhicule donné, qu'il soit unique ou non, de l'application d'une ou de plusieurs dispositions de la présente directive ou d'un ou de plusieurs des actes réglementaires mentionnés à l'annexe IV ou à l'annexe XI à condition qu'ils imposent le respect d'autres exigences. (...). / Par " autres exigences " on entend des dispositions administratives et des exigences techniques visant à garantir un niveau de sécurité routière et de protection de l'environnement équivalent, dans toute la mesure du possible, au niveau prévu par les dispositions de l'annexe IV ou de l'annexe XI, selon le cas. (...) / 5. Les Etats membres accordent une réception individuelle si le véhicule est conforme à la description jointe à la demande et satisfait aux exigences techniques applicables et ils délivrent sans retard injustifié une fiche de réception individuelle. (...) / 6. La validité de la réception individuelle est limitée au territoire de l'Etat membre qui l'a accordée. (...) ". Aux termes de l'article 48 de la même directive : " Les Etats membres adoptent et publient, avant le 29 avril 2009, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux modifications de fond apportées par la présente directive. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions. Ils appliquent ces dispositions à compter du 29 avril 2009. ".

4. Par ailleurs, l'arrêté ministériel du 4 mai 2009 pris pour la transposition de la directive 2007/46/CE définit en son article 1er la réception individuelle comme " l'acte par lequel un Etat membre certifie qu'un véhicule donné, qu'il soit unique ou non, satisfait aux dispositions administratives et aux exigences techniques applicables ". L'article 21 du même arrêté dispose que : " Les dispositions applicables pour la réception individuelle des véhicules neufs, autres que ceux visés à l'appendice 2 de l'annexe IV de la directive 2007/46/CE modifiée, sont celles définies à l'annexe 3 bis du présent arrêté et prévues dans les arrêtés d'applications correspondants. (...) / La fiche de réception individuelle est établie selon le modèle figurant en annexe 5 du présent arrêté. (...) ". Ce même article 21, dans sa version résultant de l'arrêté du 30 mars 2016, dispose : " Pour chacun des domaines réglementaires, le niveau d'exigence prescrit par cette annexe 3 bis peut être remplacé par celui prescrit par l'annexe IV, ou annexe XI pour les véhicules à usage spécial, de la directive 2007/46/CE susvisée et complété par des arrêtés du ministre en charge des transports, spécifiques à l'usage du véhicule ".

5. En premier lieu, la société Baus France soutient que la procédure de réception individuelle telle qu'elle résulte de sa transposition en droit interne méconnaît les dispositions communautaires, du fait qu'elle renvoie à des règlements communautaires et à des règlements CEE-ONU, applicables aux seules réceptions " CE de type " et non aux réceptions individuelles. Toutefois, les règlements de la Commission économique pour l'Europe des Nations-unies (CEE-ONU) ont été introduits par le règlement CE n °661-2009 dans la directive 2007/46/CE établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, en remplacement de la majorité des directives européennes. Cette directive prévoit que lorsque la Communauté européenne a décidé d'appliquer à titre obligatoire un règlement CEE-ONU aux fins de réception d'un véhicule, la directive particulière ou le règlement particulier remplacé par le règlement CEE-ONU est abrogé. L'annexe XI de la directive 2007/46/CE a ainsi intégré ces modifications et renvoie à des exigences techniques, issues notamment de règlements CEE-ONU, qui sont applicables à un système, composant ou une entité technique d'un véhicule. L'annexe 3 bis " Prescriptions applicables pour les réceptions individuelles " de l'arrêté du 4 mai 2009, en application des dispositions précitées l'article 24 de la directive 2007/46/CE, reprend, pour certaines rubriques, ces mêmes exigences techniques harmonisées soit directement, soit indirectement par le renvoi par les arrêtés techniques aux normes communautaires visées à l'annexe XI. En outre, l'article 21 de l'arrêté du 4 mai 2009, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 30 mars 2016, prévoit pour chaque domaine technique que le niveau d'exigence prescrit par cette annexe 3 bis peut être remplacé par celui prescrit par l'annexe XI, renvoyant de ce fait aux actes règlementaires de cette annexe, dont les règlements CEE-ONU. Par suite, la société n'établit pas que, lorsque les dispositions de l'arrêté du 4 mai 2009 modifié se réfèrent directement ou indirectement à un règlement CEE-ONU, l'Etat français imposerait une exigence supplémentaire par rapport à ce que prévoit la directive en cause. Dès lors, et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la société Baus France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'annexe 3 bis prend en compte la conformité à des prescriptions issues de règlements CEE-ONU et d'autres règlements communautaires, lesquels au demeurant s'imposent directement aux autorités nationales. Par ailleurs, en se bornant à lister les points de l'annexe 3 bis qui font référence à des exigences communautaires, la requérante ne démontre pas que les dispositions du droit national seraient incompatibles avec les objectifs définis par la directive 2007/46/CE.

6. En deuxième lieu, la société Baus France soutient que la procédure de réception individuelle prévue par l'annexe 3 bis à l'arrêté du 4 mai 2009 serait plus exigeante que ce que prévoit la directive 2007/46/CE. Elle fait notamment valoir que l'article 24 de la directive prévoit pour la réception individuelle l'utilisation de toute information pertinente alors que la réglementation française, à travers cette annexe 3 bis, impose notamment le passage par un laboratoire agréé UTAC en ce qui concerne des essais pour certains points de contrôle, comme, par exemples, les niveaux sonores, les émissions, les dispositifs de direction, le freinage de voitures particulières, le système hydrogène, les résistances des sièges ou encore les ancrages de sécurité et les ceintures de sécurité. Toutefois, et alors que l'arrêté du 4 mai 2009, modifié par l'arrêté du 28 avril 2015, puis par l'arrêté du 30 mars 2016, n'exclut pas la prise en compte de tests ou d'éléments pertinents pour justifier du respect des dispositions techniques applicables, la société requérante ne démontre pas dans quelle mesure le renvoi à certaines normes nationales ou bien à certains points de contrôles obligatoirement effectués par l'UTAC caractérisaient une mauvaise transposition de la directive par l'Etat français. Elle n'établit pas davantage que les dispositions de l'arrêté du 4 mai 2009 modifié conduiraient à un double contrôle, y compris lorsque le véhicule a déjà été réceptionné, en méconnaissance de la directive 2007/46/CE.

7. En troisième lieu, il est constant que la directive 2007/46/CE a été transposée en droit interne par un décret n° 2009-497 du 30 avril 2009. Dans ces conditions, une éventuelle transposition tardive de cette directive n'est pas susceptible de générer un quelconque préjudice à la société requérante puisque cette transposition est intervenue avant la période des années 2013 à 2017 au cours de laquelle la société Baus France estime avoir subi ses préjudices. En outre, alors que l'annexe XI de la directive 2007/46/CE a été modifiée à plusieurs reprises, notamment par le règlement (UE) n° 1171/2014 du 31 octobre 2014, la société requérante ne peut utilement soutenir qu'en intégrant ces modifications en droit interne par l'arrêté du 28 avril 2015, l'Etat français aurait transposé la directive 2007/46/CE de façon tardive.

8. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 2 du décret du 30 octobre 2014 relatif aux exceptions à l'application du principe " silence vaut acceptation " sur le fondement des dispositions du 4° du I de l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ainsi qu'aux exceptions au délai de deux mois de naissance des décisions implicites sur le fondement du II de cet article (ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie) : " Pour les demandes mentionnées à l'article 1er du présent décret, l'annexe du présent décret fixe, lorsqu'il est différent du délai de deux mois, le délai à l'expiration duquel, en application des articles L. 231-5 et L. 231-6 du code des relations entre le public et l'administration, la décision de rejet est acquise ". Dans l'annexe de ce décret, il est précisé que la réception individuelle des véhicules, sur le fondement des articles R. 321-6 et R. 321-15 du code de la route, est soumise à un délai de quatre mois.

9. Contrairement à ce que soutient la société Baus France, les dispositions précitées ne prévoient nullement un délai d'instruction pour la réception individuelle de quatre mois, mais uniquement le délai à l'expiration duquel une décision implicite de rejet est acquise. Ainsi, elle n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions seraient incompatibles avec les objectifs de l'article 24 de la directive n° 2007/46 qui prévoit que la réception intervient sans retard injustifié.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Baus France n'est pas fondée à soutenir que l'Etat français aurait commis une faute en opérant une transposition incorrecte et tardive de la directive n° 2007/46.

Sur la responsabilité pour faute des services de l'Etat dans le traitement des demandes de la société Baus France :

En ce qui concerne les pratiques discriminatoires de la DREAL :

11. En premier lieu, la seule circonstance que le site internet du ministère chargé des transports a affiché en 2015 une liste des aménageurs d'ambulances certifiés dans laquelle ne figurait pas la société requérante n'est pas suffisante pour établir qu'elle a fait l'objet d'une discrimination.

12. En deuxième lieu, si la société Baus France soutient que des agents de la DREAL Grand Est auraient tenté de dissuader des acquéreurs potentiels, en l'occurrence deux centres hospitaliers, de choisir ses véhicules, et ce pour des raisons de non-conformité, elle n'assortit cette allégation d'aucun commencement de preuve.

13. En troisième lieu, la requérante soutient que la DREAL Grand Est a refusé la réception d'un véhicule destiné à un service d'urgences médicalisé au motif de sa couleur jaune, et qu'un tel motif caractérise une discrimination à son égard alors que les ambulances strasbourgeoise sont jaunes. Toutefois, il résulte en tout état de cause de l'instruction que la réception lui a finalement été délivrée lorsqu'elle a fourni les pièces demandées, notamment afin de bénéficier d'une dérogation du ministère de la santé. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la société Baus France aurait fait l'objet d'un traitement discriminatoire.

14. En quatrième lieu, si la société requérante fait valoir que le nombre de réceptions qui lui ont été délivrées annuellement par la DREAL entre 2007 et 2017 a sensiblement varié, une telle circonstance ne suffit pas, par elle-même, à établir un traitement discriminatoire de ses demandes par l'administration.

15. En dernier lieu, aucune pièce du dossier ne démontre l'existence de manœuvres délibérées des autorités nationales visant à favoriser des entreprises concurrentes de la société Baus France, ni que celles-ci auraient intentionnellement voulu freiner l'importation d'ambulances en provenance de Pologne.

En ce qui concerne la réticence abusive de la DREAL dans le traitement des dossiers :

16. En premier lieu, il ressort d'un courriel du 4 août 2015 que les services de la DREAL Alsace ont sollicité de la société Baus France la production de fiches de communication dans le cadre de la procédure de réception individuelle de ses véhicules. Toutefois, s'il est exact que ces fiches ne sont normalement exigées, selon le point 34 de l'article 3 de la directive 2007/46/CE, que pour la réception " CE par type ", les règlements ONU-CEE, notamment les annexes 1a et 1b au règlement ONU-CEE n° 16, prévoient également pour certains points de contrôle la production de fiches de communication. La société requérante ne justifie pas que lorsque la DREAL sollicite une fiche de communication, elle réclamerait des renseignements qui ne seraient pas spécifiquement exigés par ces règlements ONU-CEE. Il s'ensuit que le manquement invoqué n'est pas établi.

17. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que par un courriel du 27 mai 2016, les services de la DREAL ont demandé à la société Baus France la transmission de documents papiers, alors que ces documents étaient déjà en sa possession sous format numérique. Il ressort également de ce courrier que l'administration a expressément subordonné la complétude du dossier déposé par la société à la transmission, en format papier, des justificatifs des dossiers de réception individuelle, ce alors que le point 39 de l'article 3 de la directive 2007/46/CE prévoit que le dossier de réception peut être communiqué sous forme de fichier numérique. Par suite, le manquement invoqué par la société requérante doit être regardé comme établi.

18. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que par un courriel du 4 août 2015, les services de la DREAL Alsace ont exigé, dans seize dossiers, le certificat de conformité (COC) à la réception CE du véhicule de base alors que l'article 22 de l'arrêté du 4 mai 2009 prévoit qu'il ne peut être exigé que " pour l'immatriculation des véhicules dont le type a fait l'objet d'une réception CE par type ou d'une réception CE par type de petites séries ", et que la directive européenne ne le prévoit également que pour ce cas de figure. Dans ces conditions, la société Baus France est fondée à soutenir que les services de l'Etat ne pouvaient légalement lui demander de fournir les éléments précités.

19. En quatrième lieu, il n'est pas contesté que les délais d'instruction moyens des demandes de réception des véhicules de la société requérante se sont élevés à 34 jours en 2016 et à 28 jours en 2017 alors que le délai moyen d'instruction par la DREAL Grand Est d'une demande de réception d'un véhicule à titre isolé, qui s'entend du délai écoulé entre le dépôt du dossier de demande et la délivrance du procès-verbal de réception, était de 41 jours en 2017. La circonstance que ce délai se soit amélioré en 2019 n'est pas de nature à établir que le traitement des demandes en 2016 et 2017 aurait été caractérisé par un retard injustifié au sens du 5° de l'article 24 de la directive 2007/46/CE.

20. En cinquième lieu, la société Baus France se prévaut de retards dans le traitement de 22 demandes de réception déposées en juillet 2015 et de 19 demandes déposées en septembre 2017. Toutefois, et comme le fait valoir la DREAL Grand Est, il résulte de l'instruction qu'en raison de l'incomplétude de ces demandes, l'intéressée a été invitée à deux reprises à y remédier avec un listing des pièces manquantes. En outre, en 2017, la requérante a refusé une proposition de rencontre destinée à lever les difficultés dans l'instruction de ses demandes. Par suite, la société Baus France n'établit pas que la DREAL Grand Est aurait traité les demandes en litige avec un retard fautif.

21. En sixième lieu, si la société Baus France fait valoir que le retard de traitement de ses dossiers a conduit l'un de ses clients, le 4 septembre 2016, à annuler la commande d'une ambulance, il n'est toutefois pas contesté que la requérante a saisi la DREAL Grand Est du dossier de ce véhicule seulement neuf mois après en avoir reçu commande et que, au demeurant, ce dossier n'était pas complet. Dès lors, la requérante n'établit pas que l'annulation de la commande résulterait d'un retard imputable à la DREAL Grand Est.

22. En dernier lieu, il est constant que le délai de traitement de la demande de réception d'une ambulance destinée en 2017 au service médicalisé d'urgence et de réanimation d'un centre hospitalier a duré 112 jours. Il n'est toutefois pas établi que les vérifications supplémentaires relatives aux ancrages des ceintures de sécurité effectuées par la DREAL Grand Est, qui fait valoir qu'elle a sollicité à plusieurs reprises la requérante pour obtenir un dossier complet, auraient conduit en l'espèce à un traitement de cette demande dans des délais injustifiés et, par suite, excessifs.

23. S'il résulte de ce qui vient d'être exposé que des manquements ont été commis par les services de la DREAL, ces seuls faits sont, notamment eu égard à leur nature, insuffisants pour caractériser, comme le soutient la requérante, que l'Etat a fait preuve d'une réticence abusive dans le traitement de ses demandes.

Sur les illégalités fautives commises par la DREAL Grand Est :

24. En premier lieu, par un jugement du 20 mai 2014, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 19 février 2015, le tribunal a annulé la décision du 21 juin 2013 par laquelle la DREAL d'Alsace avait rejeté la demande de réception à titre isolé d'un véhicule aménagé en ambulance au motif qu'en estimant que le procès-verbal d'homologation établi par un laboratoire communautaire agréé étranger était insuffisant l'administration avait entaché sa décision d'une erreur de droit. L'illégalité fautive entachant cette décision est de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

25. En deuxième lieu, par un jugement du 1er mars 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a également annulé les décisions de réception à titre isolé de deux véhicules en tant que les procès-verbaux de réception comportaient la mention particulière " RTI délivrée sous réserve du jugement du tribunal administratif de Strasbourg ", et en tant que le montant de la redevance due était fixé à 173,79 euros alors que le tarif légalement applicable s'élevait à 86,90 euros. Les illégalités fautives entachant ces deux décisions sont également de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

26. En troisième lieu, la société Baus France établit que la mention " filiation de propriété à vérifier ", sur les procès-verbaux de réception de certains véhicules, en particulier le procès-verbal de la réception du 13 août 2017 d'un véhicule immatriculé VF1FL01B54689203, qui n'est exigée par aucun texte et est de nature à dissuader de potentiels acquéreurs, est irrégulière. Par suite, la requérante est également fondée à soutenir que l'apposition de cette mention constitue une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne le détournement de pouvoir :

27. Il ne résulte pas de l'ensemble de ce qui précède que la DREAL Grand Est aurait adopté à l'encontre de la requérante des pratiques protectionnistes destinées à favoriser les entreprises concurrentes commercialisant des ambulances fabriquées en France. Ainsi, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :

28. La société Baus France ne démontre pas avoir été traitée différemment d'autres sociétés placées dans la même situation ni, au surplus, avoir subi un préjudice grave et spécial. Elle n'est, par suite, pas fondée à rechercher la responsabilité sans faute des services de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques.

Sur les préjudices :

29. En premier lieu, en se bornant à soutenir qu'elle aurait subi un déficit d'image, un détournement de sa clientèle et des annulations de commandes, la société Baus France n'établit pas, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, l'existence d'un lien de causalité entre ces préjudices, au demeurant non établis, qu'elle estime avoir subis et l'illégalité de la décision de la DREAL constatée par le jugement précité du 20 mai 2014.

30. En deuxième lieu, il n'est pas sérieusement contesté, comme l'a fait valoir l'administration que la somme correspondant à la surfacturation de redevance, dont l'illégalité a été retenue par le jugement précité du 1er mars 2017, a été reversée à la requérante. Si la société Baus France fait valoir que la surfacturation des procès-verbaux de réception individuelle concerne 148 autres demandes de réception d'ambulances dont elle produit la liste, ce document n'est pas suffisant pour établir que le montant de redevance appliqué à ces véhicules serait erroné. Par ailleurs, la société requérante n'établit pas que d'autres véhicules auraient été concernés par la mention illégale également sanctionnée par ce jugement. Par suite, elle n'est pas fondée à solliciter le remboursement d'une surfacturation pour d'autres véhicules que ceux concernés par le jugement du 1er mars 2017.

31. En troisième lieu, la société requérante n'établit pas que la mention " filiation de propriété à vérifier " apposée à tort sur plusieurs procès-verbaux de réception lui aurait causé un préjudice.

32. En quatrième et dernier lieu, la société Baus France n'établit aucun lien de causalité entre les fautes commises par les services de l'Etat retenues par le présent arrêt et les divers préjudices qu'elle estime avoir subis, notamment avec la perte de chiffre d'affaires, les charges liées au recrutement d'un salarié supplémentaire pour traiter les demandes de réception, l'atteinte à son image, les pénalités consécutives aux retard de livraison de ses ambulances et les coûts de financement de sa trésorerie, le détournement allégué de sa clientèle et la perte de chance d'obtenir des marchés publics.

33. Il résulte de tout ce qui précède que la société Baus France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 561 792 euros.

Sur les frais liés au litige :

34. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, la somme que la société requérante sollicite sur ce fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Baus France est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Baus France et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 11 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Barteaux, président,

- M. Lusset, premier conseiller,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er avril 2025.

Le rapporteur,

Signé : A. Lusset

Le président,

Signé : S. Barteaux

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

N° 21NC01798 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01798
Date de la décision : 01/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: M. Arnaud LUSSET
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : GALLET

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-01;21nc01798 ?
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