Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 29 mars 2021 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.
Par un jugement n° 2103769 du 22 février 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrée les 25 avril et 19 mai 2022, la société par actions simplifiée (SAS) Fligitter Production, représentée par Me Trensz, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 février 2022 et de rejeter la demande de M. D... ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les comportements agressifs et irrespectueux de M. D..., reconnus comme établis par les premiers juges, justifiaient à eux-seuls, eu égard à leur gravité, l'autorisation de licenciement en litige ; les agissements d'insubordination de l'intéressé et les propos insultants qu'il a tenu à l'encontre de la directrice des ressources humaines, Mme B..., également déléguée du personnel, confinent au harcèlement moral compte tenu de leur répétition et de leur caractère humiliant et dégradant ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la réalité des agissements sexistes de M. D... à l'égard de Mme B... n'était pas établie alors que ces faits sont parfaitement justifiés par les deux attestations produites ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la réalité des faits de consommation de stupéfiants par M. D... sur son lieu de travail n'était pas établie alors que ces faits sont justifiés par les attestations produites ; contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, il ne lui était pas possible de demander des analyses à M. D... afin de confirmer ou non la consommation de stupéfiants ;
- contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, l'inspecteur du travail n'a pas entaché la décision en litige d'erreur d'appréciation en estimant que la demande d'autorisation de licenciement de M. D... était sans lien avec ses fonctions représentatives ; ainsi, à la date de sa première convocation à un entretien préalable à éventuel licenciement, le 14 septembre 2020, M. D... n'était pas encore candidat au poste de délégué du personnel puisqu'il a présenté sa candidature le 15 septembre 2020 ; dès qu'elle a eu connaissance de sa candidature à ce poste, elle a retiré, par un courrier du 18 septembre 2020, la convocation à l'entretien préalable au licenciement ; l'entretien ayant été annulé, elle s'est contentée de lui notifier le 25 septembre 2020 un avertissement en raison de manquements sur son poste de travail, faits qui s'étaient déroulés avant que M. D... ne présente sa candidature au poste de délégué du personnel et que ce dernier n'a jamais contestés ;
- contrairement à ce qu'il soutient, M. D... n'a jamais fait l'objet d'une discrimination syndicale dans les modalités de ses conditions de travail dès lors qu'il est attesté qu'un changement de poste sur une ligne de production est fréquent pour l'ensemble des opérateurs polyvalents ; les premiers juges ne pouvaient déduire du fait qu'elle ignorait qu'elle devait obtenir l'accord de M. D... avant d'envisager de modifier ses conditions de travail, l'existence d'un lien entre la procédure disciplinaire engagée à l'encontre de ce dernier et ses mandats électifs ; elle s'est d'ailleurs conformée à la décision de refus d'autoriser le licenciement de l'intéressé, prononcée par l'inspection du travail le 5 novembre 2020, qu'elle n'a pas contestée ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juin 2022, M. C... D..., représenté par Me Peter, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Fligitter Production ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Laurence Stenger, première conseillère,
- et les conclusions de Mme Cyrielle Mosser rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Fligitter Production a sollicité, le 9 février 2021, l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. C... D..., exerçant depuis 2017 les fonctions d'opérateur polyvalent et salarié protégé en sa qualité d'élu titulaire de la délégation du personnel du comité social et économique. Par une décision du 29 mars 2021, l'inspecteur du travail a fait droit à cette demande. La société Fligitter Production relève appel du jugement du 22 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg, à la demande de M. D..., a annulé cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 29 mars 2021 :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Il doit aussi vérifier qu'il n'est pas en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec son appartenance syndicale.
3. Par ailleurs, il résulte des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail que lorsqu'un doute subsiste au terme de l'instruction diligentée par le juge de l'excès de pouvoir sur l'exactitude matérielle des faits à la base des griefs formulés par l'employeur contre le salarié protégé, ce doute profite au salarié.
4. Il ressort de la décision en litige que, pour autoriser le licenciement pour faute de M. D..., le responsable de l'unité de contrôle n° 2 de la section 3 de l'unité départementale du Haut-Rhin a considéré comme établis les trois griefs présentés par l'employeur au soutien de sa demande. Ces griefs portaient sur des comportements et agissements irrespectueux, sexistes et agressifs envers Mme B..., directrice des ressources humaines de la société, une consommation de stupéfiants sur le lieu de travail et le fait d'avoir été agressifs et d'avoir proféré des menaces à l'encontre de M. B..., " Gap Leader ". Il a en outre considéré que la demande d'autorisation de licenciement présenté par la société Fligitter Production n'était pas en lien avec le mandat exercé par M. D.... L'inspecteur du travail a estimé que ces griefs étaient suffisamment graves pour justifier une mesure de licenciement.
5. Pour considérer que M. D... avait adopté un comportement agressif et irrespectueux à l'encontre de Mme B..., l'inspecteur du travail a tenu compte, d'une part, du courrier que cette dernière avait adressé à l'inspection du travail le 1er décembre 2020 et, d'autre part, de la concordance des témoignages recueillis tant par l'employeur dans le cadre de l'enquête interne que par lui-même à l'occasion de l'enquête contradictoire menée.
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que certains des faits décrits dans la lettre précitée du 1er décembre 2020 adressée par Mme B... à l'inspection du travail, sont corroborés par plusieurs attestations de salariés, versées aux débats par la société requérante. Ainsi, il ressort des attestations de M. B... et Mme M. que Mme B... a dû recourir à l'intervention de ses collègues lors d'une altercation dans son bureau avec M. D... le 25 septembre 2020. Si, à cet égard, il n'est pas établi, comme l'a retenu à tort l'inspecteur du travail dans la décision attaquée, que M. D... aurait souhaité dérober un document interne et confidentiel à la société, il est cependant avéré que l'intéressé a eu un comportement agressif et irrespectueux à l'égard de Mme B... qui a nécessité l'intervention de collègues pour faire cesser l'altercation. Par ailleurs, il est également établi par plusieurs attestations que le 16 novembre 2020, M. D... a tenu des propos agressifs et irrespectueux à l'encontre de Mme. G. qui l'interrogeait sur sa présence dans les couloirs en période de Covid 19 en lui disant " dégage ", " pour qui tu te prends de me parler ". En outre, il est établi par plusieurs attestations et par le procès-verbal de la réunion du comité social et économique du 26 novembre 2020, que lors de cette réunion, M. D... a eu à l'égard de Mme B... une attitude moqueuse et humiliante, notamment par la remise en cause de ses fonctions, qui a fortement affecté l'intéressée. Si M. D... soutient qu'il faisait l'objet de harcèlement moral de la part de Mme B..., il ne produit aucun élément probant au soutien de ses allégations. Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu comme établi le grief tiré du comportement irrespectueux et agressif dont a fait preuve M. D... à l'égard de Mme B..., directrice des ressources humaines.
7. En deuxième lieu, le grief tiré du comportement sexiste de M. D... à l'égard de Mme B... repose uniquement sur deux attestations, établies par MM. D. et B. dans le cadre de l'enquête diligentée par la SAS Fligitter Production relative aux agissements de M. D..., selon lesquelles : " Depuis avril 2018 jusqu'à ce jour, je déclare qu'à chaque passage dans l'atelier, il était de coutume de faire des bruits de " miaulements " lorsque Mme B... passait dans l'atelier (...) " et " J'atteste que des miaulements dans l'atelier ont été faits plusieurs fois quand Mme B... était là, cela depuis l'année 2017 jusqu'à maintenant et cela semble avoir pris fin avec le départ de M. D.... J'ai été témoin du fait que M. D... faisait partie des gens qui miaulaient. Dès que Mme B... arrivait dans l'atelier, les miaulements commençaient. M. D... et les autres rigolaient pour se moquer d'elle devant tout le monde " et sur le courrier du 1er décembre 2020 de Mme B..., celle-ci ayant fait état de ce que : " Combien de fois j'ai entendu des miaulements dans l'atelier de travail lorsque je traversais et passais devant les hommes. Et je l'ai [M. D...] déjà vu rigoler de cela ". Or, comme l'ont relevé les premiers juges, ces seuls documents sont, à eux-seuls, insuffisamment précis et circonstanciés pour permettre d'établir l'exactitude du grief tiré du comportement sexiste qu'aurait eu M. D... à l'égard de Mme B..., alors qu'il est constant que l'un des rédacteurs de ces attestations, M. B..., était lui-même en conflit avec M. D....
8. En troisième lieu, le grief tiré de la consommation de stupéfiants par M. D... est fondé sur deux attestations, établies par MM. D. et B. dans le cadre de l'enquête diligentée par la SAS Fligitter Production sur les agissements de M. D..., selon lesquelles durant les années 2018 et 2019 l'intéressé aurait " régulièrement consommé des stupéfiants à fumer sur le parking, sous le chapiteau de la société durant les horaires de travail " ou " fumer des joints pendant les pauses " ce qui aurait affecter son comportement. Mais, ces seules attestations, rédigées par deux salariés dont l'un, M. B..., se trouvait en conflit avec M. D..., ne revêtent pas un caractère suffisamment probant pour établir la réalité des faits reprochés à l'intéressé alors que ce dernier produit également des attestations de ses anciens collègues indiquant qu'il n'a jamais consommé de stupéfiants sur son lieu de travail. A cet égard, si la société requérante soutient en appel que les personnes qui ont rédigées les attestations produites par M. D... ont quitté l'entreprise depuis de nombreuses années, il ressort des certificats de travail produits que sur les huit attestations en litige, six ont été rédigées par des salariés qui étaient présents au moment des faits décrits dans les deux attestations précitées de MM. D. et B. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont estimé que la réalité de ce grief n'était pas établie par les attestations produites par la société requérante qu'ils ont regardées comme insuffisamment probantes.
9. En quatrième lieu, il ne ressort pas des termes de la requête d'appel que la société Fligitter Production conteste l'erreur de fait retenue par les premiers juges concernant le dernier grief reproché à M. D..., relatif à l'altercation qu'il a eue, le 13 novembre 2020, avec M. B..., compte tenu du doute sur l'exactitude matérielle de ce fait résultant du témoignage de M. D..., confirmé par celui de Mme D., présente lors de cet incident, indiquant que M. B... aurait fait preuve d'agressivité à l'égard de M. D... tandis que l'inverse est affirmé par M. B... dans l'attestation qu'il a établie. Par conséquent, la matérialité de ce dernier grief ne peut pas être regardée comme établie.
10. En dernier lieu, les faits cités au point 6 du présent arrêt, relatifs au comportement agressif et irrespectueux de M. D... à l'encontre de Mme B..., qui sont, en l'espèce, les seuls dont la matérialité est établie, présentent un caractère fautif. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ce comportement fautif de M. D... à l'égard de Mme B... a été exacerbé par les deux procédures disciplinaires menées à son encontre le 14 septembre et le 16 octobre 2020, qui n'ont pas abouti en raison d'une part, de la candidature de l'intéressé au poste de délégué du personnel le 15 septembre 2020 et d'autre part, du refus d'autorisation de licenciement prononcé par l'inspecteur du travail le 5 novembre 2020 en raison notamment d'un vice de procédure. Il est par ailleurs constant que l'intéressé, recruté en 2017 par la société requérante, n'avait fait l'objet précédemment d'aucune sanction disciplinaire, à l'exception d'un avertissement. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, les faits d'agressivité et d'irrespect dont M. D... a fait montre à l'égard de Mme B... ne peuvent pas être regardés comme caractérisant un manquement suffisamment grave du salarié à ses obligations contractuelles. Par suite, l'inspecteur du travail, en retenant une faute de gravité suffisante, a entaché sa décision d'erreur d'appréciation en accordant à la société Fligitter Production l'autorisation de le licencier.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre motif d'annulation retenu par le tribunal administratif seulement à titre surabondant, que la société Fligitter Production n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé pour erreur d'appréciation la décision de l'inspecteur du travail du 29 mars 2021 en litige.
Sur les conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la société Fligitter Production et non compris dans les dépens. D'autre part, et dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. D... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Fligitter Production est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. D... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Fligitter Production, à M. C... D... et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience publique du 27 février 2025, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Stenger, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mars 2025.
La rapporteure,
Signé : L. Stenger Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N°22NC001005 2