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20/03/2025 | FRANCE | N°21NC00045

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 20 mars 2025, 21NC00045


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 16 juillet 2019 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 7 février 2019 refusant d'autoriser son licenciement et a autorisé son licenciement pour inaptitude.



Par un jugement n° 1907381 du 6 novembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :
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Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 7 janvier 2021 et le 9 fé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 16 juillet 2019 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 7 février 2019 refusant d'autoriser son licenciement et a autorisé son licenciement pour inaptitude.

Par un jugement n° 1907381 du 6 novembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 7 janvier 2021 et le 9 février 2024, M. C... B..., représenté par Me Bouaziz, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 novembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision du 16 juillet 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le licenciement pour inaptitude prononcé à son encontre n'est pas en lien avec ses mandats ; il produit des attestations circonstanciées qui établissent qu'il a rencontré des difficultés pour exercer son mandat et qu'il a subi des pressions et essuyé des refus de la part de son employeur pour l'utilisation de ses heures de délégation ;

- c'est à tort que l'administration et les premiers juges ont considéré que son changement de poste était justifié au motif d'une insuffisance professionnelle alors qu'il s'agissait en réalité d'une sanction ; ce changement de poste correspond en réalité à un déclassement puisqu'il est passé d'un poste de pilote de ligne de production de l'îlot quatre qu'il occupait depuis dix ans à celui d'opérateur de production ; les témoignages qu'il produit attestent ses compétences ainsi que cela ressort également du compte-rendu de l'entretien d'évaluation du 22 janvier 2014 ; ses compétences professionnelles n'étaient pas remises en cause lorsque la décision de changement de ses conditions de travail a été prise ; le seul reproche qui lui était alors fait était un usage abusif de son téléphone portable ;

- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de ce que l'employeur ne peut pas modifier le contrat et les conditions de travail sans l'accord du salarié titulaire d'un mandat de représentant du personnel ;

- le ministre du travail et les premiers juges ont omis d'analyser le problème de l'augmentation de salaire tardive par rapport à ses huit collègues qui présentent une ancienneté à peu près identique à la sienne, pourtant relevé par l'inspecteur du travail qui a conduit l'enquête ; il est le seul à ne pas avoir bénéficié d'une augmentation salariale entre 2010 et 2013 ; il s'agit d'une attitude discriminatoire de la part de son employeur ;

- c'est à tort que la ministre du travail considère qu'en raison de son arrêt de travail de septembre 2015 à juillet 2018 il n'a plus exercé ses mandats de délégué du personnel et de membre du comité d'entreprise alors que précisément la dégradation de son état de santé était elle-même en lien direct, comme l'avait relevé l'inspecteur du travail, avec les obstacles mis par son employeur à l'exercice de ses mandats ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés respectivement le 5 mars 2021 et le 12 juillet 2022, la société GGB France, représentée par Me Perilli, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Monsieur B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Laurence Stenger, première conseillère,

- et les conclusions de Mme Cyrielle Mosser rapporteure publique,

Considérant ce qui suit :

1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) GGB France a sollicité, le 6 décembre 2018, l'autorisation de licencier pour inaptitude M. C... B..., salarié protégé en ses qualités de délégué du personnel titulaire et membre suppléant du comité d'entreprise, respectivement du 30 septembre 2015 au 5 juin 2018 et du 30 septembre 2008 au 5 juin 2018. Toutefois, par une décision du 7 février 2019, l'inspectrice du travail, après avoir considéré que l'inaptitude était établie et que l'employeur avait satisfait à son obligation de reclassement, a refusé d'autoriser le licenciement de M. B... au motif que la demande formée par la société GGB France présentait un lien avec l'exercice de ses mandats. A la suite du recours hiérarchique introduit par l'EURL GGB France contre cette décision, la ministre du travail a, par une décision du 16 juillet 2019, annulé la décision précitée de l'inspectrice du travail et autorisé l'employeur à procéder au licenciement pour inaptitude de M. B.... Ce dernier relève appel du jugement du 6 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 juillet 2019.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Il ressort des pièces du dossier que les premiers juges, qui n'avaient pas à répondre à tous les arguments du requérant, ont répondu de manière suffisamment motivée à l'ensemble des moyens contenus dans les écritures produites par l'intéressé y compris le moyen tiré de ce que l'employeur ne pouvait pas modifier le contrat et les conditions de travail sans l'accord du salarié titulaire d'un mandat de représentant du personnel. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de la ministre du travail du 16 juillet 2019 :

4. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'administration de rechercher si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé sans rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives, est à cet égard au nombre des éléments de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.

5. Pour autoriser le licenciement de M. B..., qu'il a regardé comme étant dépourvu de lien avec le mandat et les fonctions représentatives du salarié, la ministre du travail a considéré, d'une part, qu'il n'apparaissait pas que l'employeur ait empêché le salarié de prendre ses heures de délégation, alors qu'il n'était pas établi que M. B... ait exercé son mandat de délégué du personnel suppléant de manière particulièrement active. Elle a, d'autre part, estimé que l'employeur démontrait que le changement d'affectation du requérant était justifié par le fait qu'il ne donnait pas entièrement satisfaction sur son poste de travail.

6. M. B... soutient d'abord que son employeur a mis des obstacles à l'exercice de ses fonctions représentatives dès lors qu'entre 2011 et 2014, il a subi des pressions et des menaces de la part de ses supérieurs hiérarchiques à chaque fois qu'il demandait à utiliser ses heures de délégation en tant que délégué du personnel suppléant. Il précise que ses demandes restaient systématiquement sans réponse jusqu'au dernier jour afin qu'il ne puisse pas les prendre ni les déplacer. Toutefois, comme l'ont estimé les premiers juges, en l'absence de tout autre élément probant, les attestations produites par M. B..., sont, en tant que telles, insuffisamment circonstanciées pour établir la réalité des refus et des pressions qu'il aurait subis de la part de son employeur, entre 2011 et 2014, dans l'utilisation de ses heures de délégation. A cet égard, il n'est pas utilement contesté que, comme le fait valoir la société GGB France, le requérant a utilisé ses heures de délégations à hauteur de 33 heures en 2011, 35 heures 30 en 2012, 57 heures en 2013 et 22 heures en 2014 et qu'il a assisté aux réunions du comité d'entreprise.

7. Ensuite, le requérant soutient que son changement d'affectation du poste de pilote de ligne de l'îlot quatre, qu'il occupait depuis dix ans, à celui d'opérateur de production qui lui a été imposé par son employeur en 2014, correspond en réalité à un déclassement et à une rétrogradation qui constituent une sanction prise à son égard à raison de l'exercice de ses fonctions représentatives, particulièrement l'utilisation de ses heures de délégation. Il ajoute que ce changement de poste n'est pas justifié dès lors que le seul reproche qui lui a été fait au titre des années 2013 et 2014 est un usage abusif de son téléphone portable. A ce titre, il se prévaut du courrier du 5 janvier 2015 qu'il a adressé à son employeur afin de dénoncer une discrimination syndicale à son égard. Toutefois, comme l'ont relevé les premiers juges, il ressort expressément de l'entretien d'amélioration, renseigné au titre de l'année 2013, que M. B... devait améliorer les données qu'il renseignait sur les feuilles de production, ce manquement ayant pour conséquence une perte de productivité et un impact sur la pertinence des actions engagées en cas d'arrêt des machines. Par ailleurs, dans l'entretien de performance établi au titre de l'année 2013, deux objectifs intitulés " sécurité " et " personnel " étaient évalués comme " satisfaisant partiellement aux attentes " tandis que le responsable hiérarchique indiquait qu'il attendait du requérant " une amélioration du comportement en général " avant de souligner son usage abusif du téléphone portable et le fait qu'il pouvait " faire beaucoup plus ". En outre, dans l'entretien d'amélioration rédigé au titre de 2014, était de nouveau soulignée une " utilisation abusive du téléphone portable " ayant un impact sur la performance de production ainsi que sur la qualité. Enfin, la société GGB France fait valoir dans ses écritures l'existence d'une altercation survenue le 10 septembre 2015, à l'occasion de laquelle le requérant a proféré des insultes à l'encontre de M. D., son supérieur hiérarchique, qui lui avait fait des remarques sur l'utilisation abusive de son téléphone portable ainsi que sur ses temps de pause. Ces faits, non contestés par le requérant, sont attestés par la production d'un courriel du 11 septembre 2015 par lequel M. A..., manager, alertait son employeur de " l'exaspération " de M. D. concernant le comportement de M. B.... Par conséquent, il ressort de ces documents que, comme l'ont considéré la ministre du travail et les premiers juges, M. B... ne donnait pas entièrement satisfaction sur son poste de pilote de ligne de l'îlot quatre. En outre, la société GGB France justifie, par les pièces qu'elle produit, que la qualification de pilote de ligne de production était remplacée par celle d'ouvrier de production, à la date du changement d'affectation de M. B....

8. Par ailleurs, le requérant ne saurait utilement soutenir que son changement d'affectation constituait une rétrogradation modifiant son contrat et ses conditions de travail, nécessitant son accord préalable en sa qualité de salarié protégé, dès lors que pour les raisons indiquées au point précédent, ce changement d'affectation ne correspondait pas à une modification de son contrat de travail. Surtout, comme l'ont relevé la ministre du travail et les premiers juges, le changement d'affectation en litige est intervenu en raison de ses lacunes professionnelles et parce qu'il ne donnait pas entièrement satisfaction sur son poste de pilote de ligne de l'îlot quatre. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives. Par suite, ce moyen doit être écarté comme inopérant.

9. Enfin, M. B... soutient qu'il a subi des discriminations syndicales au motif qu'il est le seul à ne pas avoir bénéficié d'une augmentation de salaire entre 2010 et 2013 contrairement à huit de ses collègues qui présentaient une ancienneté similaire à la sienne. Cependant, la société GGB France justifie en défense que l'intéressé a bénéficié, le 1er janvier 2013, d'un changement de coefficient de la classification de la convention collective nationale des entreprises de la métallurgie, en élevant à 215 le coefficient de 190 qu'il avait obtenu le 1er novembre 2008, alors qu'il avait été élu pour la première fois représentant du personnel suppléant en avril 2011. Dans ces conditions, la circonstance que M. B... ait été le seul salarié à ne pas bénéficier d'augmentation entre 2010 et le 1er janvier 2013 ne saurait, en tant que telle, caractériser une discrimination de la société GGB à son égard.

10. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que la ministre du travail a considéré que la demande d'autorisation de licenciement pour inaptitude de M. B... que lui avait présentée la société GGB France n'avait pas de lien avec l'exercice de ses mandats.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 juillet 2019 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 7 février 2019 refusant d'autoriser son licenciement et a autorisé son licenciement.

Sur les conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens ou la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens. D'autre part, et dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'EURL GGB France sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société GGB France tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à l'EURL GGB France et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Délibéré après l'audience publique du 27 février 2025, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mars 2025.

La rapporteure,

Signé : L. Stenger Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 21NC00045 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00045
Date de la décision : 20/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Laurence STENGER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : SCP PETIT

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-20;21nc00045 ?
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