Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Chopin a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 30 septembre 2020 par laquelle l'Institut national de l'origine et de la qualité lui a retiré le bénéfice de l'appellation " Champagne " pour l'ensemble des lots pressés en 2020 sur le pressoir Wilmess 8 000 kg et lui a notifié des mesures de mise en conformité.
Par un jugement n° 2002555 du 21 juillet 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 septembre 2022 et le 3 octobre 2024, la SAS Chopin, représentée par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2002555 du 21 juillet 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) d'annuler la décision du 30 septembre 2020 par laquelle l'Institut national de l'origine et de la qualité lui a retiré le bénéfice de l'appellation " Champagne " pour l'ensemble des lots pressés en 2020 sur le pressoir Wilmess 8 000 kg et lui a notifié des mesures de mise en conformité ;
3°) de mettre à la charge de l'Institut national de l'origine et de la qualité une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier car il ne comporte pas les signatures des magistrats et du greffier et est insuffisamment motivé ;
- la décision attaquée est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- le directeur de l'INAO était incompétent pour approuver le plan d'inspection et la grille des manquements, comme pour déterminer une classification de ces manquements ;
- la décision méconnaît les principes de nécessité et d'individualisation des peines résultant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors qu'il définit des sanctions automatiques ;
- le manquement reproché ne pouvait être qualifié de " majeur " dès lors qu'il n'avait aucun impact sur la qualité du produit ;
- le directeur de l'INAO a méconnu l'étendue de sa compétence ;
- la sanction infligée est disproportionnée.
Par des mémoires en défense enregistrés les 3 octobre et 5 novembre 2024, l'Institut national de l'origine et de la qualité, représenté par le cabinet François Pinet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la SAS Chopin la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lusset, rapporteur,
- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Chopin, qui produisait des vins de Champagne, a fait l'objet, le 25 août 2020, d'un contrôle de l'association d'inspection des appellations champagne (AIDAC) qui a révélé plusieurs manquements. Un rapport d'inspection et des fiches de manquement ont été communiqués à la SAS Chopin qui, en réponse, a produit des observations, le 1er septembre 2020. Le 14 septembre suivant, l'Institut national de l'origine et de la qualité a informé la SAS Chopin des sanctions encourues et l'a invitée à présenter ses observations, ce que la société a fait par un courrier du 18 septembre 2020. Enfin, le 30 septembre 2020, l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) a notifié à la SAS Chopin sa décision de lui retirer le bénéfice de l'appellation d'origine protégée (AOP) Champagne pour l'ensemble des lots pressés en 2020 sur le pressoir Wilmess 8 000 kg, sanction assortie d'une demande de mise en conformité pour la vendange 2021. La société Chopin demande à la cour d'annuler le jugement du 21 juillet 2022 du tribunal administratif de Châlons en Champagne qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 30 septembre 2020.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement est signée par les magistrats et le greffier d'audience. Par suite, le moyen tiré du défaut de signature du jugement manque en fait et doit être écarté.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui n'était tenu de répondre qu'aux moyens, et non aux simples arguments de la société, a pris en considération l'ensemble des éléments soumis à son appréciation et a répondu par un jugement qui est suffisamment motivé à l'ensemble des moyens soulevés dans la demande, notamment à celui tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement est insuffisamment motivé doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la légalité externe :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui :/ (...) 2° Infligent une sanction ". Pour l'application de ces dispositions, l'administration doit indiquer soit dans sa décision elle-même, soit par référence à un document joint ou précédemment adressé à l'intéressé, les considérations de fait sur lesquelles elle se fonde.
5. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 14 septembre 2020, la société Chopin a été, d'une part, informée qu'à la suite du contrôle effectué le 25 août 2020, l'AIDAC a constaté dans un rapport, dont une copie lui a été communiquée, un manquement susceptible de donner lieu à une sanction et, d'autre part, invitée à fournir ses observations, ce qu'elle a d'ailleurs fait le 18 septembre suivant. Ce courrier comportait en annexe un tableau de synthèse rappelant les faits à l'origine du manquement relevé, sa classification au regard des manquements prévus par le plan d'inspection de l'appellation d'origine " Champagne ", ainsi que les sanctions encourues. Si la décision en litige se borne à viser les dispositions applicables du code rural et de la pêche maritime, notamment l'article L. 642-33, ainsi que le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Champagne ", elle doit être regardée, eu égard à cette référence au courrier du 14 septembre 2020, comme étant suffisamment motivée, même si elle ne répond pas à l'ensemble de l'argumentation que la requérante avait présenté dans le cadre de ses observations. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
S'agissant de l'exception d'illégalité et d'inconstitutionnalité du plan d'inspection de l'appellation d'origine contrôlée " Champagne " :
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 642-2 du code rural et de la pêche maritime : " Au cahier des charges d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique concernant un produit vitivinicole, un produit vinicole aromatisé ou une boisson spiritueuse est associé soit un plan de contrôle, soit un plan d'inspection. (...). Un plan de contrôle ou d'inspection peut être constitué : - de dispositions de contrôle communes à plusieurs cahiers des charges ou à plusieurs organismes de contrôle ; - de dispositions de contrôle spécifiques. Un plan de contrôle comprend la liste des mesures sanctionnant les manquements aux conditions fixées pour bénéficier d'un signe d'identification de la qualité et de l'origine ". Aux termes de l'article L. 642-5 du même code : " L'Institut national de l'origine et de la qualité, dénommé " institut national de l'origine et de la qualité ", est un établissement public administratif de l'Etat chargé de la mise en œuvre des dispositions législatives et réglementaires relatives aux signes d'identification de la qualité et de l'origine énumérés au 1° de l'article L. 640-2. A ce titre, l'Institut, notamment : (...) 11° Approuve les plans de contrôle ou d'inspection. ". L'article L. 642-31 de ce code prévoit : " Les organismes d'inspection ont pour mission d'effectuer les opérations de contrôle des produits pour lesquels l'article L. 642-2 prévoit que sont associés à leur cahier des charges un plan d'inspection. ". L'article L. 642-11 du même code dispose : " L'Institut national de l'origine et de la qualité est dirigé par un directeur nommé dans les conditions fixées par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 640-3. / Le directeur exerce notamment les compétences dévolues à l'institut par les 2°, 4°, 5° et 11° de l'article L. 642-5. Il rend les avis sollicités de l'institut pour la protection des aires de production délimitées. (...) ". Enfin, l'article L. 642-32 de ce code : " L'organisme d'inspection élabore, pour chaque cahier des charges, en concertation avec l'organisme de défense et de gestion intéressé, les dispositions spécifiques du plan d'inspection prévu à l'article L. 642-2. Le directeur de l'institut, après avis de l'organisme de défense et de gestion, établit la liste des mesures sanctionnant les manquements au cahier des charges ".
7. Il résulte des dispositions précitées que le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité était compétent pour approuver, par une décision du 3 mai 2016, le plan d'inspection et la grille de traitement des manquements au cahier des charges de l'appellation d'origine " Champagne ". En outre, et comme l'a relevé le tribunal, aucune disposition législative ou réglementaire ne faisait obstacle à ce que le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité opère une classification en trois catégories (" mineur ", " majeur ", " grave ") des manquements susceptibles d'être sanctionnés.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Le principe d'individualisation des peines qui découle de cet article, s'il ne saurait interdire de fixer des règles assurant une répression effective des infractions, implique qu'une sanction administrative ayant le caractère d'une punition ne puisse être appliquée que si l'autorité compétente la prononce expressément en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.
9. Le plan d'inspection de l'appellation d'origine " Champagne " prévoit qu'une grille de traitement des manquements détermine les principales suites à prononcer en fonction des manquements constatés, ces derniers étant classés en trois catégories selon leur degré de gravité. Si la société requérante soutient que cette grille de traitement des manquements conduit à l'application de sanctions automatiques, contraire aux principes de nécessité et d'individualisation des peines qui découlent de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, il ne résulte d'aucune des énonciations du plan d'inspection que le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité serait tenu par les mentions de cette grille ou ne pourrait pas, avant de prononcer une sanction, tenir compte, notamment, des circonstances particulières ayant conduit au manquement relevé ou des conséquences que sa décision serait susceptible d'entraîner. Par ailleurs, la grille de traitement des manquements, annexée au plan d'inspection de l'appellation d'origine " Champagne ", prévoit des sanctions adaptées à la nature et à la gravité du manquement ainsi qu'à l'incidence que ce dernier est susceptible d'avoir sur le produit. Il implique également de prendre en compte des mesures d'actions correctives qui peuvent être mises en place par l'opérateur. Enfin, il résulte tant des dispositions du plan d'inspection de l'appellation d'origine " Champagne " que des dispositions prévues à la section 4 du chapitre II du titre IV du livre VI du code rural et de la pêche maritime, que les sanctions prévues par la grille de traitement des manquements interviennent nécessairement après le respect d'une procédure contradictoire permettant à l'opérateur de présenter ses observations et d'exercer un appel auprès du directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité. Dès lors, les dispositions du plan d'inspection de l'appellation d'origine " Champagne " et de la grille de traitement des manquements qui y est annexée permettent une discussion sur la matérialité des faits ainsi que sur leur imputabilité et laissent l'autorité compétente libre de prendre en considération les circonstances propres à chaque espèce pour prononcer une sanction. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'exception, que le plan d'inspection de l'appellation d'origine " Champagne " et la grille de traitement des manquements méconnaissent l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, dont découlent les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation.
S'agissant des autres moyens :
10. Le traitement des manquements annexé au plan d'inspection de l'appellation d'origine " Champagne " prévoit que sont qualifiés de manquements majeurs, les manquements ayant un impact sur la qualité du produit. Ce même document prévoit que le non-respect par l'opérateur des dispositions particulières de transport de la vendange constitue un manquement majeur pouvant entraîner le retrait du bénéfice de l'appellation pour la part de la récolte concernée. Le c) du VII " Récolte, transport et maturité du raisin " du cahier des charges de l'appellation d'origine " Champagne " prévoit enfin que les paniers, caisses et cagettes utilisés pour le transport des raisins du lieu de la cueillette jusqu'à l'installation de pressurage comportent au fond et sur tous les côtés des orifices permettant l'écoulement rapide et complet du jus dans l'attente du pressurage.
11. En premier lieu, il est constant que la société Chopin a fait usage, lors de la récolte 2020, de " pallet box " non conformes aux dispositions précitées du cahier des charges de l'appellation d'origine " Champagne ". L'AIDAC a en effet relevé que ces caisses, qui n'étaient pas perforées au fond et sur tous les côtés, ne permettaient pas l'écoulement rapide et complet du jus dans l'attente du pressurage. La requérante ne conteste pas que l'usage de caisses perforées, comme l'exige le cahier des charges de l'appellation d'origine " Champagne ", est nécessaire pour éviter que le jus des raisins entre en contact avec la peau de ceux-ci. Si les raisins ne restaient pas plus de quatre minutes dans les " pallet box ", comme le soutient la requérante, sans l'établir, cette circonstance est par elle-même sans incidence sur la réalité du manquement au regard des prescriptions du cahier des charges. Ainsi que le fait valoir l'INAO sans être utilement contredit, la qualité du vin de Champagne tient à sa pureté et à une maîtrise parfaite de la fermentation, ce qui exige, pour garantir la qualité finale du produit, que le jus s'écoule très rapidement et complètement, ce qui n'est pas le cas avec l'utilisation, même pendant quelques minutes, de caisses non perforées. En outre, si la société Chopin justifie l'utilisation des " pallet box " du fait de l'épidémie de covid-19, elle n'expose pas les raisons pour lesquelles elle aurait été contrainte d'utiliser ces caisses non-conformes, et ce alors qu'un guide de préconisations sanitaires pour les vendanges en Champagne a été édicté par le syndicat général des vignerons de la Champagne à l'intention des opérateurs, lequel préconisait des mesures spécifiques permettant de mieux concilier respect du cahier des charges et protection de la santé du personnel. Dans ces conditions, en qualifiant le manquement relevé de " majeur ", le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité n'a pas entaché sa décision d'erreur d'appréciation.
12. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 11, la sanction prononcée à l'encontre de la société requérante, qui est limitée au retrait de l'appellation d'origine des seuls lots pressés en 2020 sur le pressoir Wilmess 8 000 kg, dont la qualité est susceptible d'avoir été altérée par le manquement constaté, ne présente pas de caractère disproportionné.
13. En troisième lieu, si la société requérante soutient que le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité a méconnu l'étendue de sa propre compétence en faisant une application automatique de la grille de traitement des manquements, il ressort des pièces du dossier que celui-ci a pris sa décision, après que la société Chopin eut produit ses observations, et en estimant que l'intéressée s'était bornée à justifier cette pratique en invoquant des motifs sanitaires liés à l'épidémie de covid-19 et sans établir avoir changé ses pratiques. Dès lors, le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité s'est livré à une appréciation concrète et personnalisée des faits. Le moyen tiré de ce qu'il aurait méconnu l'étendue de sa compétence et, par suite, entaché sa décision d'une erreur de droit doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Chopin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 30 septembre 2020.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Institut national de l'origine et de la qualité, qui n'est pas partie perdante, la somme demandée par la société Chopin au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Chopin la somme demandée par l'Institut national de l'origine et de la qualité, au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SAS Chopin est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'Institut national de l'origine et de la qualité sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Chopin et à l'Institut national de l'origine et de la qualité.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. Lusset
Le président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : N. Basso La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
N° 22NC02389 2