La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/01/2025 | FRANCE | N°21NC02216

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 21 janvier 2025, 21NC02216


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision implicite par laquelle la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig a rejeté leur demande tendant à la démolition de la canalisation publique d'assainissement située sur leur terrain, à titre principal d'enjoindre à la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig de démolir cette canalisation d'assainissement et à titre subsidiaire de condamner la com

munauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig à leur verser une somme de 70 761 eu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision implicite par laquelle la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig a rejeté leur demande tendant à la démolition de la canalisation publique d'assainissement située sur leur terrain, à titre principal d'enjoindre à la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig de démolir cette canalisation d'assainissement et à titre subsidiaire de condamner la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig à leur verser une somme de 70 761 euros en réparation des préjudices subis ainsi que la somme de 840 euros correspondant à des frais d'expertise.

Par un jugement n° 1902481 du 22 juin 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 juillet 2021, M. et Mme A..., représentés par Me Chardon, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 juin 2021 ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig a rejeté leur demande tendant à la démolition de la canalisation publique d'assainissement située sur leur terrain ;

3°) à titre principal d'enjoindre à la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig de procéder à ses frais à la démolition de la canalisation d'assainissement située en tréfond de leur propriété et à la remise en état de leur terrain ;

4°) à titre subsidiaire de condamner la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig à leur verser la somme de 70 761 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis et la somme de 840 euros correspondant aux frais d'expertise immobilière, ainsi que les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de la date d'enregistrement de leur demande ;

5°) de mettre à la charge de la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig le versement des sommes de 2 000 euros au titre de la procédure de première instance et de 3 000 euros au titre de la procédure d'appel, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la canalisation d'assainissement litigieuse est implantée irrégulièrement sur leur propriété ;

- leur droit de propriété, notamment protégé par les stipulations de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le code civil et le code rural et de la pêche maritime, a été méconnu ;

- une régularisation de l'ouvrage public n'est pas envisageable ; il n'existe aucune servitude d'utilité publique ; aucun accord n'a été conclu ; la canalisation en cause ne répond à aucun intérêt général dès lors qu'elle ne dessert qu'une seule propriété, qu'elle n'est pas entretenue et ne figure pas sur le plan du réseau d'assainissement ;

- la présence de la canalisation affecte l'ensemble de leur propriété et, en particulier, la partie en tréfonds de laquelle elle est implantée ;

- en raison de cette emprise irrégulière, ils sont fondés à demander l'indemnisation des préjudices subis à hauteur d'une somme totale de 70 761 euros, dont 21 000 euros au titre de la perte de valeur vénale de leur propriété et 49 761 euros au titre de l'inconstructibilité de leur parcelle ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que la somme de 840 euros qu'ils ont supportée au titre des frais d'expertise immobilière ne présentait aucune utilité pour la solution du litige.

Une mise en demeure a été adressée le 23 juin 2022 à la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Barteaux, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A... sont propriétaires d'une maison d'habitation, acquise le 19 janvier 1989, sur une parcelle cadastrée section 1 no 146/114, située rue des jardiniers dans la commune de Still. Le 2 septembre 2013, après avoir constaté le passage, sur une partie de leur parcelle, d'une canalisation d'assainissement mise en place par la commune, ils ont demandé au président de la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig, compétente en matière d'assainissement pour ses communes membres dont Still, l'indemnisation du préjudice causé par la présence irrégulière de cette canalisation sur leur terrain. Par deux autres courriers des 5 avril et 19 octobre 2018, M. et Mme A... ont sollicité la démolition de cette canalisation d'assainissement ou, subsidiairement, une indemnisation à hauteur de 70 761 euros. Ces demandes ont été implicitement rejetées. Ils ont ensuite demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'enjoindre à la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig de procéder à la démolition de la canalisation d'assainissement et à la remise en état des lieux ou, à titre subsidiaire, de la condamner à leur verser la somme de 70 761 euros en réparation du préjudice résultant de la présence irrégulière de cet ouvrage public et en tout état de cause de la condamner à leur verser la somme de 840 euros au titre des frais d'expertise. M. et Mme A... font appel du jugement du 22 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté l'ensemble de leur demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :

2. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l'écoulement du temps, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

S'agissant de la régularité de l'emprise :

3. Il résulte de l'instruction, en particulier du courrier du 29 mars 2017 de la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig, qu'une canalisation d'assainissement des eaux usées du réseau collectif en béton d'un diamètre de 400 millimètres, dont le fil d'eau est situé à moins d'un mètre de profondeur, traverse sur un linéaire d'environ trente-deux mètres la propriété de M. et Mme A.... Cette canalisation a été implantée sans qu'aucune procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique n'ait été engagée, sans servitude inscrite au livre foncier ou mentionnée dans le titre de propriété et sans qu'aucun accord amiable n'ait été conclu entre la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig et les requérants à ce sujet. Cet ouvrage a été, par suite, irrégulièrement implanté sur la propriété des intéressés.

S'agissant de la régularisation de l'ouvrage :

4. Aux termes de l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime : " Il est institué au profit des collectivités publiques, des établissements publics ou des concessionnaires de services publics qui entreprennent des travaux d'établissement de canalisations d'eau potable ou d'évacuation d'eaux usées ou pluviales une servitude leur conférant le droit d'établir à demeure des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. / L'établissement de cette servitude ouvre droit à indemnité. Il fait l'objet d'une enquête publique réalisée selon les modalités prévues au livre Ier du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. ". L'article R. 152-1 du même code prévoit : " Les personnes publiques définies au premier alinéa de l'article L. 152-1 et leurs concessionnaires, à qui les propriétaires intéressés n'ont pas donné les facilités nécessaires à l'établissement, au fonctionnement ou à l'entretien des canalisations souterraines d'eau potable ou d'évacuation d'eaux usées ou pluviales, peuvent obtenir l'établissement de la servitude prévue audit article, dans les conditions déterminées aux articles R. 152-2 à R. 152-15. ".

5. Ainsi qu'il a été dit au point 3 du présent arrêt, la canalisation souterraine litigieuse est irrégulièrement implantée sur la propriété des requérants. Il résulte de l'instruction, en particulier du plan du réseau d'assainissement établi par le syndicat des eaux et de l'assainissement Alsace-Moselle, que la canalisation est implantée pour moitié sous la cour extérieure de la maison de M. et Mme A.... Elle doit, dès lors, être regardée comme grevant le jardin des requérants, attenant à leur habitation au sens des dispositions précitées de l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime. Ainsi, la régularisation de l'implantation de la canalisation par l'instauration d'une servitude légale n'est pas possible. En outre, il résulte de l'instruction, notamment de l'échec de la médiation proposée par le tribunal administratif de Strasbourg, qu'aucune servitude conventionnelle n'est envisageable. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la communauté de communes a envisagé d'engager une procédure d'expropriation. Dans ces conditions, une régularisation appropriée de l'ouvrage public litigieux n'apparait pas possible.

S'agissant de la balance entre les intérêts publics et privés en présence :

6. M. et Mme A... se prévalent des inconvénients que la présence de cette canalisation occasionne à leur propriété, et notamment de l'impossibilité d'y envisager une nouvelle construction ou un nouvel aménagement. Toutefois, les intéressés ne justifient pas, par la seule expertise privée qu'ils ont produite, que cet ouvrage public, eu égard à sa localisation et à son impact limité sur une surface d'environ 90 m2 de la parcelle, ferait obstacle à tout projet de construction sur la partie résiduelle de l'unité foncière d'environ 8 ares. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que cette canalisation souterraine aurait occasionné, depuis que les requérants ont acquis leur propriété en 1989, des désagréments, notamment des inondations ou une pollution des sols. Enfin, il résulte de l'instruction, et notamment des plans des réseaux, que, contrairement à ce qu'allèguent les intéressés, la canalisation litigieuse participe à la collecte des eaux usées des rues de la République et des Jardiniers. Dans ces conditions, au regard des inconvénients très limités de la présence de cette canalisation pour la propriété de M. et Mme A..., déjà présente lorsqu'ils ont acquis leur maison, et du coût que représenteraient les travaux de déplacement de cette canalisation d'assainissement dont l'intérêt public est démontré, sa démolition entraînerait une atteinte excessive à l'intérêt général.

7. Par suite, les conclusions de la requête tendant à ce qu'il soit enjoint à la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig de procéder à la démolition de cette canalisation ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

8. En l'absence d'extinction du droit de propriété, la réparation des conséquences dommageables résultant de la décision d'édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée ne saurait donner lieu à une indemnité correspondant à la valeur vénale de la parcelle, mais uniquement à une indemnité moindre d'immobilisation, réparant le préjudice résultant de l'occupation irrégulière de cette parcelle et tenant compte de l'intérêt général qui justifie le maintien de cet ouvrage.

S'agissant des préjudices tirés de l'atteinte au droit de propriété et de la perte de valeur vénale de la propriété :

9. Il résulte de l'instruction que pour établir la perte de valeur vénale de leur propriété, évaluée à la somme de 70 761 euros, les requérants se sont fondés sur une expertise privée, qui repose sur le postulat d'un projet de division de leur propriété en deux lots, l'un comportant la maison d'habitation et la cour d'une fraction de 4,5 ares, l'autre, situé dans le prolongement de cette dernière, composé du reliquat constructible de la parcelle de 4 ares et de la partie classée en zone naturelle non constructible de 2,5 ares.

10. Toutefois, d'une part, les époux A... n'apportent aucun élément de nature à établir que cet ouvrage, qui existe depuis 1947 et préexistait ainsi à l'acquisition de leur propriété en 1989, troublerait la jouissance de leur bien. Ils n'établissent pas davantage subir des contraintes liées à la surveillance ou à l'entretien de cette canalisation.

11. D'autre part, si les requérants font valoir que la présence de la canalisation s'opposerait à tout nouveau projet de construction, en particulier sur la fraction susceptible d'être détachée de l'unité foncière actuelle et encore libre de toute construction, cette allégation n'est étayée par aucun élément probant alors que la canalisation en litige, dont le diamètre n'est que de 40 centimètres, ne concerne que la limite Est de leur parcelle sur une trentaine de mètres environ. En outre, l'évaluation de la perte de valeur vénale de l'ensemble immobilier ne repose que sur un hypothétique projet de division foncière, qui est, à lui seul insuffisant, à établir la réalité et le caractère certain du préjudice allégué.

12. Dans ces conditions, les conclusions indemnitaires de M. et Mme A... doivent être rejetées.

S'agissant des frais d'expertise privée :

13. Les requérants ne sont pas fondés à solliciter le remboursement de la somme de 840 euros correspondant à l'expertise immobilière de leur bien dès lors qu'elles ne présentent aucune utilité à la résolution du litige. Par suite, ce chef de demande ne peut qu'être rejeté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à ce qu'il soit enjoint à titre principal à la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig de procéder à la dépose de cette canalisation et subsidiairement à ce qu'elle soit condamnée à les indemniser de leurs préjudices.

Sur les frais liés à l'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. et Mme A... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., représentant unique en application des dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, et à la communauté de communes de la région de Molsheim-Mutzig.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- M. Barteaux, président assesseur,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.

Le rapporteur,

Signé : S. Barteaux

La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne à la préfète du Bas-Rhin, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

N° 21NC02216


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC02216
Date de la décision : 21/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : CHARDON

Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-21;21nc02216 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award