Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Martin et Guiheneuf a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims à lui payer la somme de 73 355,95 euros TTC au titre de rémunérations complémentaires liées à ses missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage dans le cadre du marché de conception-réalisation pour la construction d'un bâtiment d'odontologie, ainsi que la somme de 1 407,88 euros TTC, au titre du solde du marché.
Par un jugement n° 1902830 du 6 avril 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a prononcé un non-lieu à statuer sur ses conclusions tendant au paiement du solde du marché et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 juin 2021 et le 11 avril 2022, la société Martin et Guiheneuf, représentée par Me Moisson, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1902830 du 6 avril 2021 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) de condamner le CHU de Reims à lui verser la somme de 28 535,00 euros HT, soit 34 242,00 euros TTC, en raison des modifications du programme de travaux, majorée des intérêts moratoires à compter de la réception du mémoire en réclamation par le maître d'ouvrage ;
3°) de condamner le CHU de Reims à lui verser la somme de 15 400,00 euros HT, soit 18 480 euros TTC, en raison du non-remplacement de son interlocuteur unique au sein de l'établissement, majorée des intérêts moratoires à compter de la réception du mémoire en réclamation par le maître d'ouvrage ;
4°) de condamner le CHU de Reims à lui verser la somme de 12 919,70 euros HT, soit 15 503,64 euros TTC, en raison de l'allongement de la durée de la phase travaux et de la mobilisation de l'équipe phase travaux pendant la période de garantie de parfait achèvement, majorée des intérêts moratoires à compter de la réception du mémoire en réclamation par le maître d'ouvrage ;
5°) de mettre à la charge du CHU de Reims la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges, s'ils ont répondu sur la faute du maître d'ouvrage et la théorie des sujétions imprévues, n'ont pas exposé les motifs les ayant conduits à estimer que les prestations supplémentaires directement commandées par le maître d'ouvrage n'étaient pas incluses dans le marché initial ;
- elle a droit au paiement de prestations supplémentaires liées à des études supplémentaires qui ont été demandées au groupement de conception réalisation, lesquelles ont nécessité une validation de sa part et ont donc entraîné des prestations hors marché ;
- le CHU de Reims a manqué à ses obligations contractuelles et commis une faute dans la conception et la mise en œuvre du marché de conception réalisation confié au groupement :
• les modifications du programme de travaux décidées par le maître d'ouvrage ont nécessairement entraîné la réalisation de prestations complémentaires sous la forme de fiches techniques modificatives (FTM) et de leur suivi ;
• elle a réalisé des prestations de coordination qui ne lui incombaient pas à la suite du non-remplacement de l'interlocuteur unique du CHU prévu au marché ;
- les travaux complémentaires qui ont été demandés ont donné lieu à une prolongation de délai de l'opération de 83 jours calendaires et à 46 jours de suivi des travaux postérieurement à la réception des travaux, soit un total de 129 jours.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 novembre 2022, le CHU de Reims, représenté par Me Charles Pareydt, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la société Martin et Guiheneuf au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Martin et Guiheneuf ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lusset, premier conseiller,
- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public,
- et les observations de Me Ionannidou, pour le CHU de Reims.
Considérant ce qui suit :
1. Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims a lancé une opération de construction d'un bâtiment d'odontologie d'une surface totale de 5 000 m² sur quatre niveaux. Ce projet a été réalisé dans le cadre d'un marché de conception-réalisation qui a été attribué à un groupement ayant pour mandataire la société Demathieu Bard Construction. Par un marché du 14 octobre 2013, le CHU a confié la mission de programmation et d'assistance technique à la maîtrise d'ouvrage à la société Martin et Guiheneuf au prix global et forfaitaire de 178 563 euros TTC, augmenté de 26 790 euros TTC par un avenant du 23 février 2017. Le marché de conception-réalisation a été attribué à hauteur de 12 648 000 euros TTC augmentés de 449 350,13 euros TTC puis de 145 596,20 euros TTC et enfin de 201 548,57 euros TTC par trois avenants successifs prenant en compte des travaux supplémentaires et prolongeant la durée du chantier initialement prévue pour vingt-sept mois. Estimant que ces modifications et l'absence d'interlocuteur direct des services hospitaliers justifiaient une augmentation de la rétribution de ses prestations, la société Martin et Guiheneuf a adressé un mémoire en réclamation au CHU de Reims le 18 juillet 2019, demande qui a été implicitement rejetée. La société a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de faire droit à sa demande de rémunération complémentaire. Elle relève appel du jugement du 6 avril 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande en ce sens.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la société Martin et Guiheneuf avait réclamé devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne le paiement de ses prestations non seulement sur le fondement de la faute de la maîtrise d'ouvrage, mais également au titre des travaux supplémentaires qu'elle a réalisés. Or, il ressort des motifs du jugement contesté que si les premiers juges ont expressément répondu à la question de la faute du maître d'ouvrage et des sujétions imprévues, ils n'ont en revanche pas statué sur la question de la rémunération des prestations supplémentaires directement commandées par le maître d'ouvrage, ne mentionnant pas notamment les motifs les ayant conduits à estimer que ces prestations n'étaient pas incluses dans le marché initial. Il s'ensuit que la société est fondée à soutenir que le jugement est, pour ce motif, irrégulier, et qu'il doit être annulé.
3. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par la société Martin et Guiheneuf devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. Aux termes de l'article 2.1. du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché public portant sur la mission de programmation et d'assistance technique à la maîtrise d'ouvrage relative à la construction en conception-réalisation d'un bâtiment d'odontologie au centre hospitalier universitaire de Reims : " (...) Dans le cadre de sa mission, le titulaire met à la disposition du Maître d'Ouvrage ses compétences, son expérience et ses moyens spécialisés, afin de permettre la programmation de l'opération projetée. / La mission a pour objectif : / - le recensement des données et des contraintes du site et de son environnement ; / l'expression des besoins devant être satisfaits par les ouvrages à réaliser ; (...). " Aux termes de l'article 2.1.2.1. : " (...) Le titulaire s'attachera donc à faire ressortir les objectifs fondamentaux du Maître d'Ouvrage, sur les plans médicaux, urbanistiques, techniques, économiques, etc., et leur priorité. Au regard desdits objectifs, le programmiste devra ensuite dégager les options d'organisation d'ensemble applicables au projet. Il pourra ainsi exprimer les besoins détaillés par secteur fonctionnel. / Il devra également recenser l'ensemble des contraintes susceptibles de perturber le déroulement de l'opération. Est considérée comme contrainte toute sujétion susceptible de faire obstacle à un déroulement normal de l'opération dans les domaines administratif, juridique, technique, financier et des délais. (...) ". Aux termes de l'article 2.2. : " La mission d'Assistance Technique à la Maîtrise d'Ouvrage (ATMO) qui est confiée par le maître d'ouvrage au titulaire, porte sur l'ensemble des tâches d'ordre technique, administratif et financier à réaliser. / A ce titre, l'assistant technique à la maîtrise d'ouvrage est le garant de tous les montages juridiques des marchés et contrats. / Il est le principal coordonnateur de tous les intervenants. / Il assiste le maître d'ouvrage pendant tout le déroulement des phases de conception, de réalisation, de réception des ouvrages et de mise en œuvre des garanties. (...) Le détail des prestations de chacune de ces 4 phases sont décrites ci-dessous : / - Phase 3 : Assistance pour l'organisation de la consultation et pour le choix du groupement / - Phase 4: Assistance aux études de conception et assistance au suivi de la réalisation des travaux / - Phase 5 : Assistance à la réception des travaux et à la levée des réserves / - Phase 6 : Assistance jusqu'à la fin de garantie de parfait achèvement (...) "
5. La société requérante soutient que le CHU de Reims doit la rémunérer au titre des prestations qu'elle a fournies pour réaliser des études complémentaires de faisabilité technico-économiques, des analyses des solutions proposées par le groupement de maîtrise d'œuvre, la vérification des devis et des négociations. Ces prestations complémentaires se rapportent à des modifications du programme initial du marché de conception-réalisation en ce qui concerne la mise en place d'une file d'attente complémentaire (700 euros HT), l'incorporation de prises électriques pour les sièges de l'amphithéâtre (2 050 euros HT), les câbles d'aspiration à distance (700 euros HT), la reprise d'études du plafond filant (490 euros HT), la reprise d'études GMAO (490 euros HT), la PC ondulée radio-prothèse (700 euros HT), les portes automatiques et autre (815 euros HT), les modifications des salles prothésistes et étudiants (700 euros HT), l'ajout d'alimentation ACM (700 euros HT), l'éclairage permanent (470 euros HT), l'auge préparation chirurgie (490 euros HT), les luminaires amphithéâtres (490 euros HT), la séparation des automates (1 560 euros HT), l'éclairage scialytique Maquet (490 euros HT), le support Egotron - prédésinfection (490 euros HT), salles de radiologie (490 euros HT), le passage des candélabres extérieurs en led (815 euros HT), la fibre optique et passages en 56 paires (815 euros HT), la bande de guide PMR et barrières (470 euros HT), la création d'une chambre de tirage (490 euros HT), les renforts bras Rx et modification alimentation électrique (700 euros HT), l'automatisation portes et déplacement LB (790 euros HT), la rehausse bacs de prédésinfection (490 euros HT) et les caissons de filtration autonomes (1 350 euros HT). Elle demande également le paiement d'une rémunération complémentaire en rapport avec des prestations hors marché de conception-réalisation en ce qui concerne le clavier anti-intrusion au 2ème étage et RDC (700 euros HT), le carrelage sur toute la hauteur et mise en place d'une douchette (700 euros), la liaison vers Robert Debré pour UAE (450 euros HT), divers TGBT (450 euros), les barrières, arceaux et potelets (805 euros HT), les clôtures bois et plantes grimpantes (450 euros HT), diverses modifications électriques (450 euros HT, 490 euros HT, 490 euros HT), le renfort bois salle panoramique (450 euros HT), le saut de loup devant le groupe froid (470 euros), l'armoire de rangement dans le local blouse (490 euros HT) et le réseau pneumatique complémentaire (2 050 euros HT). Au total, le coût des intervenants, directeur de projet, ingénieurs fluides et économiste de la construction de la société est estimé par la société requérante à la somme de 28 535 euros HT, soit 34 242 euros TTC.
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment de l'offre de la société Martin et Guiheneuf, qui a une valeur contractuelle en application de l'article 3 du cahier des clauses administratives particulières du marché, que la société s'engageait à assurer le suivi technique, administratif et financier des demandes de modification des prestations sous forme de fiches techniques modificatives (FTM). Ainsi, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le traitement des travaux supplémentaires du marché de conception-réalisation listés au point 5 n'était pas prévu dans son contrat et constituait pour elle une prestation supplémentaire susceptible d'être rémunérée en sus du forfait. La circonstance que ces FTM aient engendré une modification du programme, et, partant, du niveau du prix du marché de conception-réalisation, est par ailleurs sans incidence sur son droit à rémunération complémentaire.
7. En deuxième lieu, les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics. Dans le dernier état de ses écritures, la société Martin et Guiheneuf ne demande une indemnité que sur le seul fondement de la faute du maître d'ouvrage.
8. D'une part, la seule circonstance que le marché de conception-réalisation a fait l'objet de plusieurs fiches techniques modificatives ne suffit pas à démontrer que le maître d'ouvrage aurait commis une faute dans l'estimation de ses propres besoins.
9. D'autre part, si la requérante demande l'indemnisation du préjudice qu'elle soutient avoir subi à raison de l'allongement de la durée des travaux de 83 jours, cette seule circonstance n'est pas susceptible d'ouvrir droit à une rémunération complémentaire. Si la société requérante a entendu se fonder sur une faute du maître d'ouvrage, elle ne l'établit pas.
10. Enfin, en se bornant à affirmer que le CHU de Reims a omis de remplacer l'interlocuteur unique prévu au marché, sans indiquer la stipulation contractuelle le désignant, et alors qu'au demeurant il ne résulte pas de l'instruction que le secrétaire général du CHU de Reims, qui était le chef de projet au nom de son établissement, aurait été absent au cours de la période considérée, la société requérante ne démontre pas l'existence d'une faute contractuelle.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité, que les conclusions indemnitaires de la demande de la société Martin et Guiheneuf devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU de Reims, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Martin et Guiheneuf une somme de 2 000 euros à verser au CHU de Reims sur ce fondement.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1902830 du 6 avril 2021 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Martin et Guiheneuf devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetés.
Article 3 : La société Martin et Guiheneuf versera au CHU de Reims une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Martin et Guiheneuf et au centre hospitalier universitaire de Reims.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- M. Lusset, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. Lusset
La présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au préfet de la Marne, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
N° 21NC01625 2