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19/12/2024 | FRANCE | N°23NC03175

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 19 décembre 2024, 23NC03175


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 3 octobre 2023 par lequel le préfet de la Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il serait renvoyé et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de six mois.



Par une ordonnance n° 2302419 du 24 octobre 2023, le magistrat désigné du tribunal adminis

tratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 3 octobre 2023 par lequel le préfet de la Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il serait renvoyé et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de six mois.

Par une ordonnance n° 2302419 du 24 octobre 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 octobre 2023, M. B..., représenté par la SELARL Mainnevret-Malblanc Avocats Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du magistrat désigné du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 24 octobre 2023 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 3 octobre 2023 pris à son encontre par le préfet de la Marne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

S'agissant de la régularité de l'ordonnance attaquée :

- son recours n'était pas tardif dès lors que les délais et voies de recours ne lui étaient pas opposables en raison des indications erronées mentionnées dans la notification de l'arrêté et qu'il ne comprend pas le français ;

S'agissant des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire :

- elles ont été prises par une autorité incompétente ;

- l'obligation de quitter le territoire français ne pouvait se fonder sur les dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il est entré en France en situation régulière ;

- la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire est insuffisamment motivée ;

- cette décision est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'il justifie d'une adresse stable et est entrée régulièrement sur le territoire français ;

- ces décisions méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ces décisions quant à sa situation personnelle ;

- le préfet a commis une erreur d'analyse en se référant à l'accord franco-algérien alors qu'il est tunisien ;

S'agissant de l'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle a été prise par une autorité incompétente ;

- elle n'est pas justifiée et la durée d'interdiction de retour est disproportionnée.

La requête a été communiquée au préfet de la Marne, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Michel, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 3 octobre 2023, le préfet de la Marne a obligé M. B... à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il serait renvoyé et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de six mois. M. B... relève appel de l'ordonnance du 24 octobre 2023 par laquelle le magistrat désigné du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure ". Aux termes du II de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " Conformément aux dispositions de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification par voie administrative d'une obligation de quitter sans délai le territoire français fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester cette obligation et les décisions relatives au séjour, à la suppression du délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour ou à l'interdiction de circulation notifiées simultanément. Cette notification fait courir ce même délai pour demander la suspension de l'exécution de la décision d'éloignement dans les conditions prévues à l'article L. 752-5 du même code ". Et, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 613-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel est notifiée une décision portant obligation de quitter le territoire français est également informé qu'il peut recevoir communication des principaux éléments, traduits dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, des décisions qui lui sont notifiées en application des chapitres I et II ". Et, aux termes de de l'article L. 141-3 du même code : " Lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire (...) ".

4. M. B... disposait en vertu des dispositions précitées des articles L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et R. 776-2 du code de justice administrative, à compter de la notification de l'arrêté en litige, intervenue le 3 octobre 2023, à 15h20, d'un délai de quarante-huit heures pour le contester. Or, son recours n'a été enregistré par le greffe du tribunal administratif que le 20 octobre 2023.

5. M. B... soutient que la tardiveté du dépôt de son recours ne pouvait lui être opposée en raison des mentions erronées des délais et voies de recours portées dans la notification de l'arrêté, et que ces informations lui ont été communiquées sans l'assistance d'un interprète alors qu'il ne comprend pas la langue française.

6. Il ressort des pièces du dossier que le formulaire relatif aux voies et délais de recours accompagnant la notification de l'arrêté en litige mentionne les délais et voies de recours relatifs à un étranger incarcéré ou placé en centre de rétention administratif, inapplicables à la situation de M. B.... Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que la notification, le 3 février 2024, de l'arrêté contesté, que M. B... a refusé de signer, a été faite sans l'assistance d'un interprète. Si cette notification comporte la mention manuscrite qu'il comprend le français, il ressort toutefois du procès-verbal d'audition de retenue pour vérification du droit au séjour du 3 octobre 2023 que M. B... avait indiqué ne savoir ni lire ni écrire le français et avait bénéficié de l'assistance d'un interprète en langue arabe. Dans ces conditions, le délai de recours contentieux de quarante-huit heures prévu par les dispositions précitées n'était pas opposable à la demande de M. B....

7. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable en raison de sa tardiveté. Il s'ensuit que l'ordonnance est irrégulière et doit être annulée.

8. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 octobre 2023 pris à son encontre par le préfet de la Marne.

Sur la légalité de l'arrêté du 3 octobre 2023 :

9. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".

10. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré régulièrement en France le 8 octobre 2021, muni d'un passeport valide du 24 juillet 2020 au 23 juillet 2025, sous couvert d'un visa court séjour de circulation de quatre-vingt-dix jours. Par suite, la décision portant obligation de quitter le territoire français contestée ne pouvait être prise sur le fondement des dispositions précitées du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et doit, pour ce motif, être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions refusant d'accorder à M. B... un délai de départ de volontaire, fixant son pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de six mois.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par M. B..., que celui-ci est fondé à demander l'annulation de l'arrêté 3 octobre 2023 pris à son encontre par le préfet de la Marne.

Sur les frais liés à l'instance :

12. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Mainnevret, conseil de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat d'une somme de 1 500 euros.

D E C I DE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2302419 du 24 octobre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et l'arrêté du 3 octobre 2023 par lequel le préfet de la Marne a obligé M. B... à quitter le territoire français sans délai de départ de volontaire en fixant son pays de destination et en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de six mois sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à Me Mainnevret, avocat de M. B..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Mainnevret renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Mainnevret et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Marne.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- M. Michel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.

Le rapporteur,

Signé : A. MichelLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : V. Firmery

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision

Pour expédition conforme,

La greffière,

V. Firmery

2

N° 23NC03175


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03175
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: M. Alexis MICHEL
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : MAINNEVRET - MALBLANC

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-19;23nc03175 ?
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