Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 13 avril 2023 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2303820 du 26 juillet 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 octobre 2023, Mme B..., représentée par Me Berry, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer un titre de séjour, subsidiairement de réexaminer sa situation et de lui remettre durant cet examen une autorisation provisoire de séjour, le tout dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
S'agissant de la décision de refus de séjour :
- la décision en litige est entachée d'un vice de procédure, dès lors que l'avis de la commission du titre de séjour ne lui a pas été communiqué et que le préfet ne justifie pas de la saisine de la commission, de sa composition et de l'existence de l'avis dont il se prévaut ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale compte tenu de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
S'agissant de la légalité de la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 novembre 2023, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Brodier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante nigériane née en 1986, est entrée irrégulièrement sur le territoire français le 15 juin 2008 selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 30 janvier 2009. Le 25 janvier 2022, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 435-1, L. 423-23 et L. 426-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté du 20 avril 2022 refusant de faire droit à sa demande a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 octobre 2022 au motif que, compte tenu de la résidence habituelle de plus de dix ans de l'intéressée, la commission du titre de séjour aurait dû être saisie. Dans le cadre du réexamen de la demande de Mme B..., le préfet du Haut-Rhin a saisi la commission du titre de séjour qui a émis un avis à l'issue de sa séance du 16 mars 2023. Puis, par un arrêté du 13 avril 2023, le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 26 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
En ce qui concerne la légalité externe de cette décision :
2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. (...) ". Aux termes de l'article L. 432-15 du même code : " L'étranger est convoqué par écrit au moins quinze jours avant la date de la réunion de la commission qui doit avoir lieu dans les trois mois qui suivent sa saisine ; il peut être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix et être entendu avec l'assistance d'un interprète. / (...) ". Enfin aux termes de l'article R. 432-14 du même code : " Devant la commission du titre de séjour, l'étranger fait valoir les motifs qu'il invoque à l'appui de sa demande d'octroi ou de renouvellement d'un titre de séjour. Un procès-verbal enregistrant ses explications est transmis au préfet avec l'avis motivé de la commission. L'avis de la commission est également communiqué à l'intéressé ".
3. Il résulte de ces dispositions que l'avis motivé de la commission doit être transmis à l'étranger et au préfet avant que ce dernier ne statue sur la demande dont il est saisi. Une telle communication constitue une garantie instituée au profit de l'étranger qui doit connaître le sens et les motifs de l'avis de la commission et être ainsi mis à même de faire valoir tout élément pertinent qu'appellerait l'avis de la commission du titre de séjour avant que le préfet ne prenne sa décision.
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le préfet du Haut-Rhin n'a transmis à Mme B..., le 23 mars 2023, que le sens de l'avis motivé émis par la commission du titre de séjour lors de sa séance du 16 mars et non le document intitulé " avis ", lequel comporte également les motifs de la saisine de la commission, les éléments relatifs à la séance, et l'avis du rapporteur. Toutefois, et alors que l'intéressée ne s'était pas présentée devant la commission pour faire valoir ses observations, la circonstance qu'elle n'a pas eu accès à l'intégralité du document n'a, dans les circonstances de l'espèce, pas été de nature à la priver de la garantie énoncée ci-dessus. D'autre part, ledit avis ayant été produit à hauteur d'appel, le préfet du Haut-Rhin justifie de ce que la commission du titre de séjour a été saisie et de l'existence de l'avis qu'elle a émis. Enfin, si ledit avis ne précise pas quels membres, parmi ceux désignés par l'arrêté du 2 novembre 2020, siégeaient avec le président de l'instance, cette circonstance n'est pas de nature à avoir privé la requérante, qui ne s'est pas présenté devant la commission, d'une garantie, pas plus qu'elle n'a d'incidence sur le sens de l'avis rendu. Par suite, le moyen tiré d'un vice de procédure doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne de cette décision :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui a indiqué être entrée en France en juin 2008, doit être regardée comme résidant sur le territoire depuis quinze ans à la date de la décision en litige. Elle justifie avoir été prise en charge par Caribia, une association d'aide aux victimes de traite des êtres humains située à Lyon, qui lui a procuré un suivi social. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que Mme B... aurait noué des relations amicales intenses au cours de son séjour en France, où elle ne dispose par ailleurs d'aucune attache familiale. Si elle indique maîtriser la langue française, elle ne fait état d'aucun autre élément d'intégration sociale ou professionnelle. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en lui refusant la délivrance du titre de séjour prévu par les dispositions précitées, le préfet du Haut-Rhin aurait entaché sa décision d'erreur d'appréciation. Elle n'est pas plus fondée à soutenir que la décision serait entachée d'erreur de droit.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ".
8. D'une part, Mme B... ne saurait utilement se prévaloir de l'interprétation de l'article L. 435-1 précité par la circulaire du 28 novembre 2012, relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui se borne à énoncer des orientations générales destinées à éclairer les préfets dans l'exercice de leur pouvoir de prendre des mesures de régularisation, sans les priver de leur pouvoir d'appréciation.
9. D'autre part, si la requérante soutient avoir été victime de la traite des êtres humains pendant quinze années, elle ne produit aucune pièce se rapportant à cette situation, ni ne justifie, compte tenu par ailleurs de ce qui a été dit au point 6 ci-dessus, que le refus de lui délivrer un titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. D'une part, et ainsi qu'il a déjà été dit, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B... aurait, en dépit de la durée de son séjour en France, définitivement ancré ses attaches personnelles et familiales sur le territoire. D'autre part, si elle soutient avoir échappé à un réseau de traite des êtres humains et craindre de regagner son pays d'origine de peur des représailles qu'elle pourrait y subir, il ressort des pièces du dossier qu'elle n'est pas dépourvue de toute attache familiale et personnelle au Nigéria, où il n'est pas établi qu'elle ne pourrait pas poursuivre sa vie privée. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. En dernier lieu, pour les mêmes motifs qu'énoncés précédemment, Mme B... n'est pas fondée à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet du Haut-Rhin aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation personnelle.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
13. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour.
14. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs qu'énoncés au point 11 du présent arrêt, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
15. En dernier lieu, pour les mêmes motifs qu'énoncés aux points 6 et 11 ci-dessus, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la mesure d'éloignement est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
16. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.
17. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
18. Mme B... soutient risquer de subir des mesures de représailles de la part des membres du réseau de prostitution auquel elle est parvenue à échapper. Toutefois, elle ne produit aucun élément permettant de considérer qu'elle serait exposée à un risque réel et actuel de subir des traitements contraires à ceux proscrits par l'article 3 de la convention précitée. L'OFPRA et la CNDA ont d'ailleurs rejeté sa demande d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions et stipulations précitées doit être écarté.
19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 avril 2023. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris les conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Berry et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
Délibéré après l'audience du 5 décembre2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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No 23NC03081