Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile (SC) Holding Hannibal a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés au titre des années 2014 et 2015.
Par un jugement n° 1902790 du 30 novembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 janvier 2022 et des mémoires enregistrés les 21 décembre 2022, 12 février 2024 et 30 avril 2024, la SAS Holding Hannibal, représentée par Me Richert, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est en faisant une inexacte application des dispositions de l'article 238 bis K du code général des impôts que l'administration entend l'imposer au titre de l'année 2014 sur une prétendue plus-value professionnelle dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, laquelle aurait été constatée par la SCI Artémis à raison de l'acquisition de l'immeuble faisant l'objet d'un crédit-bail qu'elle sous-louait à ses utilisateurs, la faisant passer, selon le service, des bénéfices non commerciaux à des revenus fonciers, en vertu de l'article 93 quater du code général des impôts. En effet, ses bénéfices imposables doivent être déterminés uniquement selon les règles propres aux bénéfices industriels et commerciaux ;
- c'est à tort que l'administration lui a refusé la déduction des amortissements non comptabilisés par la SCI Artémis, en l'absence de la tenue d'une comptabilité commerciale, en lui opposant les dispositions de l'article 93 du code général des impôts lesquelles sont applicables à la détermination des bénéfices non commerciaux et non pas aux bénéfices industriels et commerciaux dont elle relève ;
- c'est à tort que l'administration lui refuse la déduction des charges exposées par la SCI Artemis pour le rachat de ses propres parts sociales, nécessaire à son activité, alors que ces charges sont déductibles selon le droit commun du 1 de l'article 39 du code général des impôts ;
- la pénalité de l'article 1732 du code général des impôts est disproportionnée ; en effet, le service aurait pu se contenter de mettre en œuvre la pénalité pour défaut de dépôt de déclaration ; cette application procède de la volonté de nuire au contribuable en ce que la comptabilité de la SCI Artemis ayant été présentée en temps utile au vérificateur et ces documents seuls étant de nature à permettre la vérification des résultats de C..., il ne saurait être reproché à cette dernière aucune opposition à contrôle fiscal, les vérifications du service n'ayant pas pu être empêchées et les multiples rendez-vous demandés par le vérificateur n'ayant aucune utilité.
Par des mémoires en défense enregistrés les 22 juin 2022, 2 février 2024 et 23 février 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Agnel ;
- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Peeters, représentant la société Holding Hannibal.
Considérant ce qui suit :
1. C..., créée le 22 décembre 2012, dont les bénéfices sont soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'option expresse qu'elle a souscrite à cet effet, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité ayant concerné la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. Par lettre du 14 novembre 2017, le service a notifié à la société les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés qu'il entendait retenir à la suite de la procédure d'évaluation d'office pour opposition à contrôle fiscal qu'il avait mise en œuvre en application de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales. Les suppléments d'impôt sur les sociétés, assortis de la pénalité de 100 % pour opposition à contrôle fiscal, ont été mises en recouvrement le 31 janvier 2018 et la réclamation préalable de la société a été partiellement admise le 14 février 2019. C... relève appel du jugement du 30 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des impositions laissées à sa charge.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
2. C... n'ayant pas déposé ses déclarations de résultats au titre des années 2014 et 2015 malgré la notification de mises en demeure, elle se trouve ainsi en situation de taxation d'office à l'impôt sur les sociétés en vertu du 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales. Ses bénéfices imposables ont en outre été évalués d'office à raison de son opposition à la vérification de comptabilité, constatée par procès-verbal du 2 octobre 2017, en application de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales. Enfin, il n'est pas contesté que la société Holding Hannibal n'a pas tenu de comptabilité au titre de la période vérifiée. Par suite, la charge de la preuve du mal-fondé des impositions litigieuses lui incombe en application du dernier alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales et des articles L. 193 et R. 193-1 du même livre.
En ce qui concerne l'imposition d'une plus-value au titre de l'année 2014 :
3. Aux termes de l'article 218 bis du code général des impôts : " Les sociétés ou personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 206 (...) sont personnellement soumises audit impôt à raison de la part des bénéfices correspondant aux droits qu'elles détiennent, dans les conditions prévues aux articles 8, 8 quater, 8 quinquies et 1655 ter, en qualité d'associées en nom ou commanditées ou de membres de sociétés visées auxdits articles ". Aux termes de l'article 238 bis K du code général des impôts : " I. Lorsque des droits dans une société ou un groupement mentionnés aux articles 8, 8 quinquies, 239 quater, 239 quater B, 239 quater C ou 239 quater D sont inscrits à l'actif d'une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou d'une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l'impôt sur le revenu de plein droit selon un régime de bénéfice réel, la part de bénéfice correspondant à ces droits est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par la personne ou l'entreprise qui détient ces droits (...) II. - Dans tous les autres cas, la part de bénéfice ainsi que les profits résultant de la cession des droits sociaux sont déterminés et imposés en tenant compte de la nature de l'activité et du montant des recettes de la société ou du groupement. ". Il résulte de ces dispositions que les éventuelles conséquences fiscales qui s'attachent au transfert de propriété résultant de la levée de l'option d'achat d'un contrat de crédit-bail par une société relevant du régime fiscal prévu à l'article 8 du code général des impôts doivent s'apprécier, pour les associés patrimoniaux de cette société, en appliquant les règles relatives à la catégorie d'imposition correspondant à l'activité de la société et, pour ses associés soumis à l'impôt sur les sociétés, en appliquant les règles relatives aux bénéfices industriels et commerciaux.
4. Il résulte de l'instruction que la SCI Artemis, dont les parts sociales étaient la propriété de M. et Mme B..., a pris en crédit-bail un immeuble à usage commercial auprès de la société Locindus, dont elle a mis les locaux nus à disposition d'utilisateurs en vertu de contrats de sous-location. Par acte du 30 octobre 2014, M. et Mme B... ont apporté la majorité de leurs parts sociales à C.... Par acte du 20 novembre 2014, la SCI Artemis a levé l'option d'achat consentie par la société Locindus sur l'immeuble pris en crédit-bail, immeuble dont elle est ainsi devenue propriétaire et qui est demeuré affecté à la location. Enfin, le 30 décembre 2014, C... a racheté les parts dont M. B... était demeuré propriétaire dans le capital de la SCI Artemis dont la société requérante est ainsi devenue l'unique associée. A la suite d'une vérification de comptabilité de la SCI Artemis, le service, afin de déterminer le bénéfice de cette société, a estimé que la levée de l'option d'achat sur l'immeuble qu'elle avait pris en crédit-bail constituait une cessation de son activité de sous-location de locaux nus, relevant de la catégorie d'imposition à l'impôt sur le revenu de l'article 93 du code général des impôts et occasionnant l'imposition d'une plus-value en vertu de l'article 93 quater du même code, égale à la différence entre la valeur vénale de l'immeuble à la date de la levée d'option, valeur pour laquelle l'immeuble a été affecté à l'activité nouvelle de location, diminuée du prix de revient de l'immeuble, ce dernier étant égal au prix d'achat augmenté des loyers versés. La plus-value imposable a été ainsi arrêtée à la somme de 2 581 170 euros. Le service, en l'absence d'une option pour le report d'imposition prévu par l'article 93 quater du code général des impôts, a ensuite réintégré cette plus-value, déterminée selon les règles applicables aux bénéfices non commerciaux, dans le bénéfice de la SCI Artemis, imposable à l'impôt sur les sociétés chez la SC Holding Hanibal. En procédant ainsi, alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus que, dès lors que la société Holding Hannibal est soumise à l'impôt sur les sociétés, c'est au regard des règles applicables aux bénéfices industriels et commerciaux que les éventuelles conséquences fiscales du transfert de propriété résultant de la levée d'option d'achat du contrat de crédit-bail auraient dû être appréciées, l'administration a fait une inexacte application des dispositions ci-dessus reproduites. Par suite, C... est fondée à demander la décharge des impositions et majorations qui lui ont été assignées à raison de la détermination d'une plus-value de 2 581 170 euros provenant des résultats de la SCI Artemis au titre de l'année 2014.
En ce qui concerne les amortissements :
5. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment :/ (...) 2° (...) les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation et compte tenu des dispositions de l'article 39 A, sous réserve des dispositions de l'article 39 B ". Aux termes de l'article 39 B du même code : " A la clôture de chaque exercice, la somme des amortissements effectivement pratiqués depuis l'acquisition ou la création d'un élément donné ne peut être inférieure au montant cumulé des amortissements calculés suivant le mode linéaire et répartis sur la durée normale d'utilisation. A défaut de se conformer à cette obligation, l'entreprise perd définitivement le droit de déduire la fraction des amortissements qui a été ainsi différée ". Il résulte de ces dispositions que ne peuvent être déduits du bénéfice imposable que les amortissements qui ont été effectivement inscrits dans les écritures comptables à la clôture de chacun des exercices concernés. Il appartient au contribuable de justifier que cette inscription a été effectuée avant l'expiration du délai imparti pour souscrire la déclaration des résultats annuels de l'entreprise.
6. La SC Holding Hanibal demande que soient admis en déduction du bénéfice de la SCI Artemis, au titre des années 2014 et 2015, les amortissements de ses éléments d'actif immobilisé. Il résulte, toutefois, de l'instruction que la SCI Artemis ne dispose d'aucune comptabilité et n'a inscrit aucune dotation aux amortissements au titre des années litigieuses. Par suite, C... n'est fondée à demander la déduction d'aucune somme à ce titre.
En ce qui concerne les frais d'acquisition de parts sociales :
7. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ". Aux termes de l'article 39 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : 1° Les frais généraux de toute nature ".
8. La société requérante demande la déduction du bénéfice de la SCI Artemis, imposable au titre de l'année 2015, des sommes de 96 652,65 euros d'intérêts sur emprunt et de 36 050 euros de frais bancaires, présentées comme se rapportant aux frais de l'emprunt que ladite SCI Artemis aurait contracté pour racheter au cours de l'année 2014 ses propres parts sociales auprès de M. A... B.... Outre que ces sommes ne sont appuyées d'aucune pièce justificative, il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus, que les parts de la SCI Artemis ont été acquises auprès des époux B..., par voie d'apport et à titre onéreux, par C... et non pas par la SCI Artemis elle-même. Par suite, C... ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, du caractère déductible de ces sommes.
Sur les pénalités :
9. Aux termes de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales : " Les bases d'imposition sont évaluées d'office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers ". Aux termes de l'article 1732 du code général des impôts : " La mise en œuvre de la procédure d'évaluation d'office prévue à l'article L. 74 du livre des procédures fiscales entraîne : a. L'application d'une majoration de 100 % aux droits rappelés ou aux créances de nature fiscale qui doivent être restituées à l'Etat ".
10. L'administration a constaté que le vérificateur s'était présenté le 28 juin 2017 à 9 heures au siège de C..., conformément aux mentions figurant sur l'avis de vérification, sans pouvoir rencontrer son représentant légal. Le service a ensuite adressé une première mise en garde avant opposition à contrôle fiscal, reçue le 10 juillet 2017. Le 25 juillet 2017, le vérificateur a pu rencontrer le représentant légal de la société qui a déclaré ne disposer d'aucun document comptable. Un nouveau rendez-vous a été fixé au 8 août 2017 dans les locaux du service. Le 7 août 2017, le représentant légal de C... a fait savoir qu'il n'était pas en mesure de produire les documents demandés et ne s'est pas présenté au rendez-vous convenu. Un procès-verbal de défaut de présentation de la comptabilité a été dressé le 17 août 2017. Le service a proposé un nouveau rendez-vous pour le 31 août 2017 afin de permettre le dépôt de la comptabilité et des pièces comptables et juridiques. Une seconde mise en garde avant opposition à contrôle fiscal a été adressée à la société le 17 août 2017. Le représentant de C... ne s'est pas présenté à ce nouveau rendez-vous sans avertir le vérificateur ni proposé de date alternative. En conséquence, l'administration a assorti les impositions litigieuses à la pénalité de 100 % prévue par les dispositions ci-dessus reproduites.
11. Si la société requérante soutient que son attitude n'a pas eu pour effet de faire échec au contrôle dont elle devait faire l'objet en ce que ses seuls bénéfices provenaient de la SCI Artemis, laquelle a pu faire l'objet d'une vérification sur place, rendant sa propre vérification inutile, il n'appartient cependant pas au contribuable d'apprécier l'opportunité de la vérification de comptabilité entreprise à son égard. La circonstance que la SCI Artemis, par son dirigeant social, s'est prêtée sans y faire obstacle au contrôle fiscal dont elle a fait l'objet, n'enlève rien au fait, établi par le service, que C... a empêché le déroulement de sa propre vérification de comptabilité. La circonstance que l'administration aurait pu se borner à appliquer la seule pénalité prévue par l'article 1729 en cas de défaut de dépôt des déclarations annuelles de bénéfices, n'a pas pour effet, en tout état de cause, de conférer à la pénalité de l'article 1732 un caractère disproportionné. Par suite, c'est à juste titre que le service a appliqué la majoration de l'article 1732 aux impositions assignées à la SC Holding Hanibal qui n'est pas fondée à invoquer sa bonne foi.
12. Il résulte de tout ce qui précède que C... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a refusé de faire droit à sa demande tendant à la décharge des impositions et majorations mises à sa charge à raison de l'imposition d'une plus-value de 2 581 170 euros au titre de l'année 2014.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge de C... les frais exposés par elle dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : La somme de 2 581 170 euros est déduite du bénéfice imposable de C... au titre de l'année 2014.
Article 2 : C... est déchargée du supplément d'impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes, mis à sa charge au titre de l'année 2014, en conséquence de la réduction de la base d'imposition décidée à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Le jugement n° 1902790 du 30 novembre 2021 du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à C... et au ministre du budget et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Stenger, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : M. AgnelLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre du budget et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 22NC00068
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