Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société France Pro Hygiène a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner la métropole du Grand Nancy à lui payer la somme de 333 865,25 euros en réparation du préjudice subi.
Par un jugement n° 2201894 du 7 décembre 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 janvier 2024 et 9 mai 2024, la société France Pro Hygiène, représentée par Me Boutang, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 7 décembre 2023 ;
2°) de condamner la métropole du Grand Nancy à lui payer la somme de 333 865,25 euros à titre d'indemnisation du préjudice subi ;
3°) de mettre à la charge de la métropole du Grand Nancy le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal n'a pas répondu au moyen selon lequel les dispositions de l'article 37.2 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS) ne prévoient pas que le défaut de réclamation préalable fait obstacle à la saisine du juge ;
- sa requête est recevable dès lors que l'invitation à régler de manière amiable un différend, prévue à l'article 37.1 du CCAG-FCS n'est pas prescrite à peine d'irrecevabilité ;
- c'est à tort que le tribunal n'a pas considéré que le courrier du 5 avril 2022 constitue une réclamation au sens de l'article 37.2 du CCAG-FCS sur lequel la métropole ne s'est pas mépris ;
- en tout état de cause elle a renvoyé un mémoire en réclamation ;
- l'accord-cadre conclu le 4 janvier 2021 ne constitue pas un accord-cadre sans montant minimum ni montant maximum, la métropole du Grand Nancy ayant fixé, dans son courrier du 2 décembre 2020, un montant minimum de masques ;
- la métropole du Grand Nancy a commis une faute dès lors qu'elle n'a pas procédé à la commande de ce minimum de masques et que le marché ne mentionne pas de maximum en valeur ou en quantité dans son avis et dans les documents contractuels mentionnés par cet avis, en méconnaissance de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique et de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- en conservant dans ses stocks les masques, elle a subi un préjudice d'un montant de 333 865,25 euros correspondant au coût de la conservation et à la perte de la marge bénéficiaire attendue ;
- il existe un lien de causalité entre les manquements commis par la métropole du Grand Nancy et le préjudice qu'elle a subi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mars 2024, la métropole du Grand Nancy, représentée par Me Pons, conclut :
1°) à titre principal au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire à ce que les prétentions indemnitaires de la société France Pro Hygiène soient réduites à de plus justes proportions ;
3°) en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge de la société France Pro Hygiène la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, la demande indemnitaire est irrecevable dès lors que la société France Pro Hygiène n'a pas transmis un mémoire en réclamation, en méconnaissance de l'article 37.2 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services applicable au marché ; en particulier, le courrier adressé le 5 avril 2022 par la société ne saurait être regardé comme un mémoire en réclamation compte tenu du caractère imprécis de la nature du différend mentionné et de l'absence d'indication précise des bases de calcul de la somme sollicitée ;
- le mémoire en réclamation du 12 janvier 2023 est tardif et ne régularise pas la demande indemnitaire de la requérante ;
- les conclusions indemnitaires de la société France Pro Hygiène sont infondées et injustifiées dès lors que le marché prend la forme d'un accord-cadre sans minimum ni maximum ; elle n'a commis aucune faute ; il n'existe pas de lien de causalité entre la prétendue faute et le préjudice allégué et le préjudice est infondé, injustifié et disproportionné.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'arrêté du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel à la concurrence du 21 octobre 2020, la métropole du Grand Nancy a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un marché de fournitures se présentant sous la forme d'un accord-cadre à bons de commande et ayant pour objet de constituer un stock de précaution de masques grand public de catégorie 2. Par un courrier du 22 décembre 2020, la métropole du Grand Nancy a informé la société France Pro Hygiène que son offre avait été retenue. L'acte d'engagement a été signé le 4 janvier 2021 pour une période initiale d'un an, renouvelable une fois pour une année. Par un courrier du 5 avril 2022, notifié le 8 avril 2022, la société France Pro Hygiène a saisi la métropole du Grand Nancy d'une demande à fin d'être indemnisée du préjudice qu'elle estime avoir subi faute pour la métropole d'avoir commandé une quantité minimale de masques comprise entre 200 000 et 300 000 unités. Sa demande ayant été expressément rejetée le 4 mai 2022, la société France Pro Hygiène a saisi le 3 juillet 2022 le tribunal administratif de Nancy aux fins d'obtenir la condamnation de la métropole du Grand Nancy à lui verser la somme de 333 865,25 euros en réparation du préjudice subi. Elle relève appel du jugement du 7 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, en retenant la fin de non-recevoir opposée par la métropole du Grand Nancy selon laquelle le courrier de la société France Pro Hygiène du 5 avril 2022 ne pouvait être qualifié de mémoire en réclamation prévue par les stipulations de l'article 37.2 du CCAG-FCS, le tribunal a implicitement mais nécessairement répondu au moyen de défense de la requérante tiré de ce que le défaut de réclamation préalable ne pouvait être un motif d'irrecevabilité de sa demande indemnitaire. Le jugement est ainsi suffisamment motivé.
3. En second lieu, l'article 37.2 du cahier des clauses administratives générales, applicable au marché en litige et auquel le cahier des clauses administratives particulières n'a pas dérogé : " Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation exposant les motifs et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Ce mémoire doit être communiqué au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion " . Il résulte de ces stipulations que, lorsqu'intervient, au cours de l'exécution d'un marché, un différend entre le titulaire et l'acheteur, résultant d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de ce dernier et faisant apparaître le désaccord, le titulaire doit présenter, dans un délai de deux mois, un mémoire de réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat. Un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens des stipulations précitées que s'il comporte l'énoncé d'un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées.
4. Il résulte de ce qui précède qu'en application des stipulations du CCAG-FCS, la saisine du juge est subordonnée à la présentation d'un mémoire en réclamation répondant aux exigences précitées dans un délai de deux mois à compter de la naissance d'un différend.
5. Il résulte de l'instruction que par le courrier du 5 avril 2022, la société France Pro Hygiène s'est bornée à réclamer la somme de 360 000 euros correspondant au stock qu'elle a bloqué pour l'exécution du marché qu'elle avait conclu. Ce courrier, qui ne précise pas les bases de calcul de sa demande ne peut être qualifiée de réclamation. Au surplus et comme l'oppose la métropole du Grand Nancy en appel, à supposer même qu'une telle qualification puisse être retenue, ce courrier et le refus qu'a opposé la collectivité n'a eu pour but que de faire naître un différend au sens des stipulations précitées, lequel a fait courir un délai de deux mois durant lequel la société France Pro devait faire une réclamation. Or, il ne résulte pas de l'instruction qu'à la date à laquelle le tribunal a été saisi une telle réclamation avait été faite, le mémoire en réclamation du 12 janvier 2023 étant bien postérieur à l'enregistrement de sa demande indemnitaire le 3 juillet 2022.
6. Il résulte de ce qui précède que la société France Pro Hygiène n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande au motif de son irrecevabilité.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la métropole du Grand Nancy, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société France Pro Hygiène demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, sur le fondement de ces dispositions, de mettre à la charge de la société France Pro Hygiène une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la métropole du Grand Nancy et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société France Pro Hygiène est rejetée.
Article 2 : La société France Pro Hygiène versera à la métropole du Grand Nancy une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société France Pro Hygiène et à la métropole du Grand Nancy.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Arnaud Lusset, premier conseiller,
- Mme Sophie Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
La présidente-rapporteure,
Signé : V. Ghisu-DeparisL'assesseur le plus ancien,
Signé : A. LussetLa greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne à la préfète de Meurthe-et-Moselle en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 24NC00117