Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A..., épouse B..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2202105 du 22 juin 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 avril 2023, Mme B..., représentée par Me Perez, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 juin 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2021 de la préfète du Bas-Rhin ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard, et subsidiairement de réexaminer sa situation sous ce même délai et les mêmes conditions d'astreinte et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros hors taxes à verser à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
sur la décision portant refus de titre de séjour :
- la décision est contraire à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'article L. 435-1 du même code et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation du refus de titre de séjour pris à son encontre ;
- elle est contraire à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 3-1 de convention internationale des droits de l'enfant et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Le préfet du Bas-Rhin, à qui la procédure a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 13 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 30 octobre 2024 à midi.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A..., épouse B..., ressortissante mongole née en 1995, serait entrée en France au mois de février 2021 munie d'une carte de résident délivrée par les autorités allemandes. A la suite de son mariage le 17 mai 2021 avec un compatriote résidant régulièrement en France, elle a sollicité le 21 juillet 2021 la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 21 décembre 2021, la préfète du Bas-Rhin a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg l'annulation de cet arrêté préfectoral. Elle relève appel du jugement n° 2202105 du 22 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté préfectoral du 21 décembre 2021 :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision litigieuse du 21 décembre 2021, l'entrée en France de Mme B... était très récente, soit selon ses déclarations, en février 2021. Si elle se prévaut de son mariage le 17 mai 2021 avec un ressortissant mongol en situation régulière, la vie commune sur le territoire national n'a débuté, au plus tôt, qu'en février 2021, la requérante résidant jusqu'alors en Allemagne sous couvert d'une carte de résident. Par ailleurs, si le couple a eu un enfant né le 7 novembre 2021, ce seul élément n'est pas de nature à justifier la délivrance d'un titre de séjour au regard de ces stipulations. Ainsi, eu égard au caractère récent de leur vie commune la préfète du Bas-Rhin n'a pas, en adoptant la décision attaquée, porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport au but en vue duquel cette décision a été prise. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, la préfète du Bas-Rhin n'a pas davantage entaché sa décision d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de la requérante.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L 'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1.
Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L.432-14. Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat. ".
5. Compte tenu notamment des circonstances mentionnées au point 3, lesquelles ne révèlent pas des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la préfète du Bas-Rhin aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en lui refusant le séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1.Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".
7. Mme B..., en sa qualité de conjointe d'un ressortissant étranger résidant régulièrement en France, entre dans une catégorie ouvrant droit au regroupement familial. Elle ne saurait dès lors utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
8. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. La décision litigieuse a pour effet soit de séparer la requérante de son enfant né le 7 novembre 2021 soit d'éloigner ce dernier de son père alors qu'il a vocation à être élevé par ses deux parents. Dans ces conditions, la préfète du Bas-Rhin, en prenant la mesure d'éloignement en litige, a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
10. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens, la décision portant obligation de quitter le territoire français et par voie de conséquence celle fixant le pays de destination doivent être annulées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
12. L'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination implique nécessairement, non la délivrance d'un titre de séjour, mais d'une autorisation provisoire de séjour à Mme B.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour à Mme B.... Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
13. La requérante a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ainsi, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Perez renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros HT.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2202105 du 22 juin 2022 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions d'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination prises à l'encontre de Mme B....
Article 2 : Les décisions du 21 décembre 2021 de la préfète du Bas-Rhin portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination prises à l'encontre de Mme B... sont annulées.
Article 3 : L'Etat versera à Me Perez la somme de 1 000 euros HT en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve de renonciation par celle-ci au bénéfice de la contribution de l'Etat à l'aide juridique.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., épouse B..., au ministre de l'intérieur et à Me Perez.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 23NC01060