Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) D... RJL a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les décisions des 15 juin et 1er octobre 2020 par lesquelles la préfète de la région Grand Est a accordé à l'EARL Ferme de la Queue une autorisation d'exploiter une surface de 22,74 hectares de terres situées sur les parcelles cadastrées section ZD n° 18 à Sy et A 146 à Verrières.
Par un jugement n° 2002562 du 31 mars 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 juin 2022, le GAEC D... RJL, représenté par Me Liegeois, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2002562 du 31 mars 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) d'annuler les décisions des 15 juin et 1er octobre 2020 de la préfète de la région Grand Est ;
3°) de lui allouer une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les décisions attaquées sont illégales dès lors que le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 janvier 2020, annulant la précédente décision d'autorisation d'exploiter dont il était bénéficiaire, a fait l'objet d'un appel sur lequel il n'a pas été statué ;
- la décision du tribunal paritaire des baux ruraux a été infirmée par la cour d'appel de Reims ;
- l'épouse du gérant de l'EARL Ferme de la Queue, qui est professeure des écoles, ne pouvait être comptabilisée comme une demie unité de travail ;
- le gérant de l'EARL Ferme de la Queue a reçu les terres litigieuses de la part de son épouse qui n'avait pas, contrairement à ce que la préfète a retenu, la qualité d'alliée ;
- le GAEC D... RJL aurait dû bénéficier d'un rang de priorité 1, supérieur à celui de l'EARL Ferme de la Queue.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 septembre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est tardive et, par suite, irrecevable ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2023, l'EARL Ferme de la Queue, représentée par la SCP Ledoux Ferri Riou-Jacques Touchon Mayoyet, conclut au rejet des conclusions de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du GAEC D... RJL la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête d'appel n'est qu'une reproduction de la requête de première instance, et elle est, par suite, irrecevable ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Champagne-Ardenne ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lusset, rapporteur,
- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 23 octobre 1999, M. A... D... a consenti à M. B... D... un bail rural d'une durée de 18 années portant sur deux parcelles d'une surface totale de 22 hectares et 74 ares, situées respectivement dans les communes de Sy et de Verrières, dans le département des Ardennes. Mme C..., propriétaire, a donné congé à M. D... aux fins de reprise par son conjoint, M. E... C.... Par des décisions des 7 novembre 2017 et 14 novembre 2017, annulées par un jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 janvier 2020, confirmé par la cour administrative d'appel, la préfète de la région Grand Est a refusé d'accorder à l'EARL Ferme de la Queue, dont M. C... est le gérant, l'autorisation d'exploiter cette surface. Par une nouvelle décision du 15 juin 2020, la préfète de la région Grand Est a accordé à l'EARL Ferme de la Queue l'autorisation d'exploiter les deux parcelles. Enfin, par une décision du 1er octobre 2020, la préfète de la région Grand Est a abrogé sa précédente décision et a, de nouveau, accordé à l'EARL Ferme de la Queue l'autorisation d'exploiter les parcelles en cause. Par un jugement n° 2002562 du 31 mars 2022, dont le GAEC D... RJL relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 15 juin et 1er octobre 2020.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Champagne-Ardenne alors en vigueur prévoyait en son article 3, que : " (...) L'autorité administrative vérifie, compte tenu des motifs de refus prévus à l'article L. 331-3-1, si les conditions de l'opération permettent de délivrer l'autorisation et se prononce sur la demande d'autorisation par une décision motivée.(...) Le cas échéant, les autorisations sont délivrées en observant l'ordre des priorités établi conformément aux dispositions prévues par le présent schéma. (...) II. (...) 1° Sont classées au premier rang de priorité les opérations non hiérarchisées entre elles et ci-après énumérées, relatives à des biens destinés : (...) / e) à l'accroissement de la superficie de l'exploitation du demandeur lorsque le bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus et que les conditions suivantes sont remplies : / - les biens sont détenus par un parent ou allié, au sens de l'alinéa précédent, depuis neuf ans au moins ; / - l'exploitation du demandeur comporte au moins un membre répondant à l'ensemble des critères suivants : / - ne pas avoir atteint l'âge de la retraite ; / - satisfaire aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle précisées au I de l'article R. 331-2 ; / - avoir la qualité d'exploitant agricole à titre principal ou, le cas échéant, acquérir cette qualité à la date de l'opération. / La priorité accordée au titre du présent e) s'applique dans la limite d'une superficie totale mise en valeur après l'opération au plus égale au seuil d'agrandissement ou de concentration d'exploitations excessifs. (...) ".
3. Pour estimer que la demande d'autorisation présentée par l'EARL Ferme de la Queue relevait du premier rang de priorité, la préfète de la région Grand Est s'est fondée sur les dispositions alors applicables du e) du 1° du II de l'article 3 du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Champagne-Ardenne.
4. En premier lieu, il y a lieu d'adopter les motifs retenus par les premiers juges au point 2 du jugement contesté pour écarter le moyen tiré de ce que les décisions attaquées sont illégales dès lors que le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 janvier 2020, annulant la précédente décision d'autorisation d'exploiter dont il était bénéficiaire, a fait l'objet d'un appel sur lequel il n'a pas encore été statué.
5. En deuxième lieu, en se bornant à indiquer dans sa requête que la décision du tribunal paritaire des baux ruraux du 19 février 2019 a été infirmée par la cour d'appel de Reims le 3 février 2021, sans en tirer aucune conséquence, le GAEC D... RJL n'assortit pas son moyen des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé.
6. En troisième lieu, il est constant que le gérant de l'EARL Ferme de la Queue a reçu les terres litigieuses de la part de son épouse qui avait, contrairement à ce que soutient le requérant, la qualité d'alliée au sens et pour l'application des dispositions alors applicables du e) du 1° du II de l'article 3 du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Champagne-Ardenne.
7. En quatrième lieu, aux termes du 2° du V de l'article 5 du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Champagne-Ardenne alors en vigueur : " Un agrandissement ou une concentration d'exploitations sont regardés comme excessifs lorsque la surface totale qu'il est envisagé de mettre en valeur après l'opération excède une superficie égale à deux fois le seuil de contrôle multiplié par le nombre d'unités de travail correspondant à la main d'œuvre permanente présente sur l'exploitation et prise en compte comme suit. / Aux fins du calcul effectué en application de l'alinéa précédent : / - la main d'œuvre permanente de l'exploitation constatée à la date du dépôt de la demande d'autorisation sur la base des justificatifs dûment présentés par le demandeur, est déterminée conformément à l'annexe 1 du présent arrêté (...) ". Il résulte du tableau figurant en annexe I que le chef d'exploitation doit être pris en compte comme une unité de travail en équivalent temps plein et qu'il en va de même pour un salarié employé en contrat à durée indéterminée à temps plein sur l'exploitation.
8. Contrairement à ce que soutient le GAEC D... RJL, il ressort des motifs de la décision du 1er octobre 2020, qui s'est substituée à celle du 15 juin 2020, que Mme C..., l'épouse du gérant de l'EARL Ferme de la Queue, dont il n'est pas contesté qu'elle travaille à temps partiel à hauteur de 16% sur l'exploitation de l'EARL Ferme de la Queue, n'a pas été comptabilisée comme une demie unité de travail pour le calcul du seuil d'agrandissement ou de concentration d'exploitations excessifs, mais comme 0,16 unité de travail, conformément aux dispositions citées au point précédent. La circonstance que Mme C... exerce par ailleurs, à temps partiel, la profession de professeure des écoles ne faisait pas obstacle à ce qu'elle puisse être prise en compte, au prorata de son temps de travail, pour le calcul du nombre d'unités de travail correspondant à la main d'œuvre permanente présente sur l'exploitation.
9. En cinquième et dernier lieu, si le requérant soutient qu'il exploite 267,53 hectares et qu'il dispose d'une surface inférieure au seuil d'agrandissement ou de concentration d'exploitations excessif, il n'en tire aucune conséquence. Il fait également valoir qu'il emploie deux salariés qui auraient dû être comptabilisés comme une unité de travail et demi. Il ressort toutefois des pièces du dossier que ces salariés ont été respectivement embauchés le 20 décembre 2021 et le 14 mars 2022, soit postérieurement aux décisions attaquées. Dans ces conditions, le GAEC D... RJL n'établit pas que la préfète de la région Grand Est a commis une erreur d'appréciation en classant sa demande dans le troisième rang de priorité prévu par le 3° du II de l'article 3 du SDREA.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ni de statuer sur la recevabilité des conclusions dirigées contre l'arrêté du 15 juin 2020, que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande de première instance.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance et qui n'est au demeurant pas identifié dans les conclusions de la requête, la somme que le requérant demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
12. Il y a lieu en revanche de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du GAEC D... RJL une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'EARL Ferme de la Queue et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du GAEC D... RJL est rejetée.
Article 2 : Le GAEC D... RJL versera à l'EARL Ferme de la Queue la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au GAEC D... RJL, à l'EARL Ferme de la Queue et à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Copie en sera adressée au préfet de la région Grand Est.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : A. Lusset
La présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
N° 22NC01510 2