Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Kaysersberg-Vignoble a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner M. E... D... et la société Bureau Veritas à lui payer, respectivement, les sommes globales de 50 192,10 euros TTC et 21 820,06 euros TTC au titre des désordres affectant la salle de sports Théo Faller et de condamner M. E... D... et la société Bureau Veritas à lui verser, chacun, une somme de 6 582, 40 euros TTC au titre des frais d'expertise.
Par un jugement n° 1905109 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la commune de Kaysersberg-Vignoble.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 septembre 2021, la commune de Kaysersberg-Vignoble, représentée par Me Sonnenmoser, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 8 juillet 2021 ;
2°) de condamner M. F... à lui verser la somme de 50 192,10 euros TTC au titre des désordres affectant la salle de sports Théo Faller ;
3°) de condamner la société Bureau Véritas à lui verser une somme de 21 820,06 euros TTC au titre des désordres affectant la salle de sports Théo Faller ;
4°) de condamner M. E... D... et la société Bureau Veritas à lui verser chacun une somme de 6 582,40 euros TTC au titre des frais d'expertise et d'autres frais divers ;
5°) subsidiairement, d'ordonner un complément d'expertise sur la question de l'atteinte à la solidité de l'ouvrage ;
6°) de mettre à la charge solidaire de M. F... et de la société Bureau Véritas les entiers dépens, y compris le remboursement par chacun d'un tiers du coût du procès-verbal de constat établi le 24 novembre 2015 ;
7°) de mettre à la charge de M. E... D... et de la société Bureau Veritas, à chacun d'entre eux, le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les désordres affectant la toiture de la salle de sports sont de nature décennale :
. le phénomène de condensation qui affecte l'étanchéité du bâtiment le rend impropre à sa destination ; ces désordres ne permettent pas une utilisation optimale de l'ouvrage notamment en raison de l'impossibilité d'y pratiquer certains sports les jours de condensation et des risques pour la sécurité des sportifs ;
. ils portent également atteinte à la solidité de l'ouvrage dès lors que le bois de la charpente est affecté et que les lames du parquet de l'aire de jeu vont pourrir ;
- les désordres sont imputables :
. au maître d'œuvre, M. D..., qui a commis un défaut de conception et un défaut de suivi qui sont à l'origine des désordres à hauteur de 50 % ;
. aux entreprises Schickler (adjudicataire) et SMAC (sous-traitant) au titre du défaut de suivi du poseur, et à M. C... au titre de la pose, et qui sont à l'origine des désordres à hauteur de 30 % ;
. au contrôleur technique en raison d'un défaut de conception et de suivi, qui sont à l'origine des désordres à hauteur de 20 % ;
- le préjudice subi par la commune est constitué par les travaux de reprise de ces désordres.
Par un mémoire enregistré le 2 mai 2023, la société Bureau Véritas Construction, venant aux droits de la société Bureau Véritas à compter du 1er janvier 2017, représentée par Me Faivre, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête d'appel et de toute réclamation à son encontre ;
2°) à titre subsidiaire, si elle devait être condamnée :
. au rejet de la demande de la commune portant sur le remplacement de la couverture Akyver ;
. à l'application d'un coefficient de vétusté aux indemnités éventuellement allouées, lesquelles devront être exprimées hors taxes ;
. à ce que les frais et honoraires soient répartis au prorata de l'imputation retenue au titre de la reprise des désordres ;
. au rejet de la demande de remboursement des frais d'huissier ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Kaysersberg-Vignoble la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les demandes formées à l'encontre de la société Bureau Véritas sont irrecevables en l'absence d'intérêt à agir ; toute réclamation à l'égard de la société Bureau Veritas SA est vouée au rejet, dès lors que, depuis le 1er janvier 2017, les activités de contrôle technique sont prises en charge par la société Bureau Veritas Construction, qui s'y est substituée dans ses droits et obligations ;
- la commune n'est pas fondée à rechercher sa responsabilité décennale ;
sur la condensation du fait de la couverture translucide :
- contrairement à ce que soutient la commune, l'étanchéité du bâtiment n'est pas en cause ;
. il s'agit d'un phénomène de condensation qui se produit en période hivernale du fait du gel de l'humidité de l'air s'accumulant sous la couverture, qui fond lors du réchauffement consécutif au rayonnement solaire ;
. le phénomène de condensation en cause n'occasionne qu'une gêne temporaire ; la condensation est localisée et l'ouvrage a été utilisé pendant dix ans avant que la commune ne sollicite une expertise ;
. ce phénomène de condensation du fait de la couverture translucide n'entraîne pas une impropriété de la salle de sport à sa destination;
. l'atteinte à la solidité n'est pas davantage démontrée : la commune affirme, sans aucune démonstration, que le phénomène de condensation porte atteinte à la solidité et que celle-ci résulte de la fragilisation de la charpente et du pourrissement à venir des lames de parquet de l'aire de jeu ; par ailleurs, la commune ne démontre pas que l'ouvrage est affecté de désordres évolutifs ;
sur la condensation du fait de la couverture chaude :
- la condensation du fait de la couverture chaude et la dégradation de l'isolant thermique n'ont été constatées qu'en janvier 2018, alors que la garantie décennale était échue ;
- la demande d'expertise sollicitée à titre subsidiaire par la commune ne présente aucune utilité ;
- en toute hypothèse, sa responsabilité ne saurait être retenue, dès lors que les désordres ne lui sont pas imputables :
. le contrôleur technique ne participe ni à la conception, ni à l'exécution de l'ouvrage ; l'exercice de la mission de contrôleur technique est totalement incompatible avec l'activité de conception, d'exécution ou d'expertise d'un ouvrage, comme cela ressort de l'article L. 125-3 du code de la construction et de l'habitation ;
. les désordres ne rentrent pas dans le champ de la mission L " solidité " qui lui était confiée par la convention du 6 février 2006 , dès lors qu'un phénomène de condensation ne concerne pas l'étanchéité de l'ouvrage et que la condensation observée en l'espèce, qui est emprisonnée dans une lame d'air, ne résulte pas de l'agression d'un " élément naturel extérieur " tel que défini par l'article 2 des modalités spéciales d'intervention portant description des missions spécifiquement confiées ;
. les options retenues par la maîtrise d'œuvre n'étaient pas, en elles-mêmes, critiquables ;
. les défauts d'exécution ponctuels ne pouvaient être repérés dans le cadre de la mission de sondage lors des visites de chantier ; le contrôleur technique ne peut se substituer aux entreprises dans leur mission d'autocontrôle ;
. l'expert a relevé que les closoirs avaient été posé postérieurement à la réception des travaux ; dans ces conditions, elle ne peut se voir reprocher un défaut de suivi de ces travaux ;
. en toute hypothèse, sa part de responsabilité ne saurait être égale à celle du maître d'œuvre ; le contrôleur technique n'a pas pour mission de suivre le chantier ;
- en cas de condamnation, celle-ci ne pourra être supérieure à 4% du montant des dommages, tel que l'avait proposé le rapporteur public en première instance ;
sur le montant des réparations :
- la solution retenue par l'expert est excessive ; alors que la solution initialement envisagée consistait à récupérer les condensats, l'expert a décidé de remplacer toute la couverture translucide actuelle par une couverture opaque ;
- il y a lieu d'appliquer un coefficient de vétusté de 25% ;
- la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) n'est pas due ; en application du premier alinéa de l'article 256 B du code général des impôts, les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la TVA pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs ;
- il y a lieu de partager les frais d'expertise, conformément au partage de responsabilité ;
- les frais d'huissiers ne sont pas des dépens et ils ne sont au demeurant pas justifiés.
La procédure a été communiquée à M. D..., les 4 octobre 2021 et 23 mai 2023 et les plis sont revenus au motif de ce que le destinataire était inconnu.
Par une ordonnance du 23 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 13 juin 2023 à midi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. En 2003, la commune de Kaysersberg, devenue depuis la commune de Kaysersberg-Vignoble, a décidé de réaménager la salle de sports Théo Faller. Un marché de maîtrise d'œuvre a été conclu le 14 décembre 2005 avec un groupement dont l'architecte mandataire était M. D.... Une convention de contrôle technique a été attribuée à la société Bureau Veritas et les travaux du lot n°3 " couverture étanchéité zinguerie " ont été confiés à la société Schickler. Les travaux ont été réceptionnés le 10 novembre 2006. Dès le mois de décembre 2006, un phénomène de condensation a été constaté sur le plafond translucide, s'accompagnant d'égouttements sur le parquet de la salle de sports. Le 30 août 2016, la commune a saisi le juge des référés d'une demande d'expertise. Le rapport d'expertise a été rendu le 18 novembre 2018. La commune a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner M. E... D... et la société Bureau Veritas à lui payer, respectivement, les sommes globales de 50 192,10 euros TTC et 21 820,06 euros TTC au titre des désordres affectant la salle de sports Théo Faller et de condamner M. E... D... et la société Bureau Veritas à lui verser, chacun, une somme de 6 582,40 euros TTC au titre des frais d'expertise. La commune de Kaysersberg-Vignoble relève appel du jugement du 8 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur la responsabilité décennale des constructeurs :
En ce qui concerne la nature décennale des désordres :
2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale des constructeurs, néanmoins, ne peut être engagée si les désordres, et non leur cause, étaient apparents lors de la réception.
3. Il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du rapport d'expertise du 18 novembre 2018, que les désordres affectant la salle de sports Théo Faller correspondent à un phénomène de condensation qui se manifeste à un double endroit. Un phénomène gouttant a été constaté au niveau de la couverture translucide en polycarbonate. A la suite de la condensation qui se produit à l'interface entre le bac translucide et la lamelle bois supérieure, l'eau s'écoule sous la couverture jusqu'aux pannes puis sur le bois avant de tomber ensuite à l'aplomb de l'égout sur le parquet de la salle. L'humidité fait également sauter les joints de colle entre les différentes lames de bois. Par ailleurs, au niveau de la couverture en bac acier, au versant Nord Est, la condensation affecte l'isolant thermique et affecte le bois de structure confiné, en raison d'espaces importants entre les isolants et les pannes.
4. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les phénomènes de condensation et d'humidité réguliers affectant les ouvrages d'isolation et d'ossature soient de nature à affecter la solidité de l'ouvrage. S'agissant des désordres relatifs à la couverture translucide, le rapport d'expertise évoque uniquement un décollement des lamelles supérieures des pannes en bois et s'il précise que " la résistance des poutres sera amoindrie " par l'humidité, aucun élément précis de ce rapport ne permet d'affirmer que la solidité de l'ouvrage dans son ensemble serait de ce fait compromise. S'agissant des désordres au droit du bac acier, si le rapport précise que la condensation affecte le bois de structure confiné et que cet " environnement régulièrement humidifié n'est pas pérenne ", il n'est pas indiqué que ce désordre serait de nature à affecter dans un délai prévisible la solidité de la charpente ou du parquet et encore moins de l'ouvrage complet. Ainsi, et alors que l'expert, qui n'a au demeurant pas prescrit de travaux urgents, ne précise pas que les désordres constatés seraient de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage dans un délai prévisible et que la commune n'apporte aucun élément plus précis sur les conséquences certaines de cet amoindrissement de résistance sur la structure du bâtiment, l'atteinte à la solidité de l'ouvrage ne peut être regardée comme établie.
5. En second lieu, il résulte du rapport d'expertise que la présence d'humidité au sein du complexe sportif est trop courte pour induire un risque sanitaire. Les quelques taches d'humidité relevées sur le parquet, comme le révèlent les photographies produites au dossier, ne sont pas suffisantes pour estimer que ce phénomène ne permettrait pas un usage normal de la salle de sports. Par ailleurs, la commune, qui ne se prévaut d'aucune fermeture de la salle, n'établit pas que l'humidification du parquet aurait présenté un risque de sécurité pour les usagers tel que des entraînements ou des manifestations sportifs auraient dû être ajournés. Dans ces conditions, l'impropriété à destination n'est pas établie.
6. Par suite, la commune de Kaysersberg-Vignoble n'établit pas que les désordres seraient de nature décennale.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner un complément d'expertise et de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la société Bureau Véritas Construction, que la commune de Kaysersberg-Vignoble n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les dépens :
8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ".
9. Il y a lieu de laisser à la charge de la commune de Kaysersberg-Vignoble les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, ainsi que, en tout état de cause, les divers autres frais dont elle se prévaut et notamment les frais relatifs au procès-verbal du 24 novembre 2015 établi par un clerc, et pour lequel la commune n'apporte au demeurant aucun justificatif.
Sur les frais d'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Bureau Véritas Construction, venant aux droits de la société Bureau Véritas, et de M. D..., qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que la commune de Kaysersberg-Vignoble demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Kaysersberg-Vignoble une somme de 2 000 euros à verser à la société Bureau Véritas Construction, au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Kaysersberg-Vignoble est rejetée.
Article 2 : La commune de Kaysersberg-Vignoble versera à la Société Bureau Véritas Construction une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Kaysersberg-Vignoble, à la Société Bureau Véritas Construction et à M. E... D....
Une copie sera adressée à M. B... A..., expert, du Bureau d'études structures et toitures.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au préfet du Haut-Rhin en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 21NC02471