Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de D... d'annuler l'arrêté du 26 janvier 2024 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.
Par un jugement n° 2401346 du 3 mai 2024, le tribunal administratif de D... a annulé l'arrêté du 26 janvier 2024 et enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois suivant la notification de ce jugement, ainsi que de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour, et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 24 mai 2024, sous le n° 24NC01319, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2401346 du tribunal administratif de D... du 3 mai 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée en première instance par M. B....
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont annulé l'arrêté du 26 janvier 2024 pour un vice de procédure au regard des dispositions de l'article L. 432-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'elle apporte la preuve de la notification régulière de la convocation de M. B... devant la commission du titre de séjour ;
- les autres moyens invoqués par M. B... au soutien de sa demande, tirés respectivement de l'incompétence de l'auteur de l'acte, de l'erreur de fait et de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2024, M. A... B..., représenté par Me Da Costa Daul, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par la préfète du Bas-Rhin ne sont pas fondés.
II. Par une requête, enregistrée le 24 mai 2024, sous le n° 24NC01320, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour de prononcer, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à l'exécution du jugement n° 2401346 du tribunal administratif de D... du 3 mai 2024.
Elle soutient que :
- les moyens invoqués dans sa requête d'appel sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ;
- c'est à tort que les premiers juges ont annulé l'arrêté du 26 janvier 2024 pour un vice de procédure au regard des dispositions de l'article L. 432-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'elle apporte la preuve de la notification régulière de la convocation de M. B... devant la commission du titre de séjour ;
- les autres moyens invoqués par M. B... au soutien de sa demande, tirés respectivement de l'incompétence de l'auteur de l'acte, de l'erreur de fait et de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2024, M. A... B..., représenté par Me Da Costa Daul, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par la préfète du Bas-Rhin ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Meisse,
- les conclusions de M. Marchal, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 24NC01319 et 24NC01320, présentées par la préfète du Bas-Rhin, sont dirigées contre un même jugement et concernent la situation d'un même étranger au regard de son droit au séjour en France. Elles soulèvent des questions analogues et ont donné lieu à une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. M. A... B... est un ressortissant géorgien, né le 16 décembre 1971. Il a déclaré être entré irrégulièrement en France le 9 février 2001. Le 19 septembre 2001, il a présenté une demande d'asile, qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 17 juin 2002. Les 30 septembre 2005 et 6 janvier 2020, l'intéressé a également sollicité la reconnaissance du statut d'apatride, qui lui a été refusée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides les 7 juin 2006 et 31 août 2021. M. B... a bénéficié d'une admission provisoire au séjour en raison de son état de santé de 2007 à 2014, dont il a sollicité le renouvellement le 31 octobre 2014. Toutefois, à la suite de l'avis défavorable à son admission au séjour émis par la commission du titre de séjour le 24 mai 2023, la préfète du Bas-Rhin, par un arrêté du 26 janvier 2024, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. M. B... a saisi le tribunal administratif de D... d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2024. La préfète du Bas-Rhin relève appel du jugement n° 2401346 du 3 mai 2024, qui annule cet arrêté et lui fait injonction de réexaminer la situation du demandeur dans un délai de deux mois suivant sa notification, ainsi que de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour. Par une requête distincte, elle sollicite également le sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ; 2° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer la carte de résident prévue aux articles L. 423-11, L. 423-12, L. 424-1, L. 424-3, L. 424-13, L. 424-21, L. 425-3, L. 426-1, L. 426-2, L. 426-3, L. 426-6, L. 426-7 ou L. 426-10 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ; 3° Lorsqu'elle envisage de retirer le titre de séjour dans le cas prévu à l'article L. 423-19 ; 4° Dans le cas prévu à l'article L. 435-1. ". Aux termes de l'article L. 432-15 du même code : " L'étranger est convoqué par écrit au moins quinze jours avant la date de la réunion de la commission qui doit avoir lieu dans les trois mois qui suivent sa saisine ; il peut être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix et être entendu avec l'assistance d'un interprète. / Il peut demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle dans les conditions prévues par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, cette faculté étant mentionnée dans la convocation. L'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par le président de la commission. / Les conditions dans lesquelles l'étranger est autorisé à séjourner en France jusqu'à ce que l'autorité administrative ait statué sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été convoqué par lettre recommandée datée 3 mai 2023 à la séance de la commission du titre de séjour qui s'est tenue le 24 mai 2023 et à l'issue de laquelle un avis défavorable à son admission au séjour a été émis. L'avis de réception, produit en appel par la préfète du Bas-Rhin, indique que le pli a été présenté le 5 mai 2023 au domicile de M. B..., que celui-ci en a été avisé, et que le pli n'a pas été réclamé pendant le délai de conservation au bureau de poste. Dans ces conditions et alors que le défendeur n'a pas accompli en temps utile les diligences nécessaires pour retirer ce pli, il a été régulièrement convoqué par écrit le 5 mai 2023, soit quinze jours au moins avant la date de la réunion de la commission du titre de séjour. Par suite, la préfète du Bas-Rhin est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont prononcé l'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2024 en raison d'une méconnaissance de l'article L. 432-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... à l'encontre de cet arrêté dans son mémoire en défense présenté devant la cour et dans sa demande de première instance.
Sur les autres moyens de la demande :
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige du 26 janvier 2024 a été signé, pour la préfète et par délégation, par M. Mathieu Duhamel, secrétaire général de la préfecture. Or, par un arrêté du 7 juillet 2023, régulièrement publié le jour même au recueil n°27 des actes administratifs de la préfecture, la préfète du Bas-Rhin a consenti à M. C... une délégation de signature à l'effet de signer notamment tous arrêtés et décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département, à l'exception des mesures concernant la défense nationale, les ordres de réquisition du comptable public et les arrêtés de conflit. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait et il ne peut, dès lors, qu'être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
8. M. B... se prévaut de sa présence sur le territoire français depuis le 9 février 2001 et de celle de sa fille, née à Illkirch-Graffenstaden le 1er juillet 2008. Toutefois, l'intéressé, qui est divorcé et vit dans un studio avec sa grand-mère, est dépourvu de toute ressource financière licite et ne justifie pas, nonobstant la durée de son séjour, d'une intégration particulière en France. Entre le 13 décembre 2002 et le 24 mars 2021, il a été condamné à quatorze reprises à des peines d'emprisonnement pour des faits de vol et de recel, pour des faits de violence et pour des faits d'acquisition, de détention, de transport et de cession non autorisés de stupéfiants. Le requérant, qui est arrivé en France à l'âge de
vingt-neuf ans, n'établit pas être isolé en Géorgie, où réside notamment son frère. S'il ressort des pièces du dossier, spécialement d'un jugement en assistance éducative du tribunal pour enfant de D... du 24 novembre 2023, d'une attestation de sa fille du 21 février 2024, d'un courriel du 17 juin 2024 d'une travailleuse sociale du service de l'aide sociale à l'enfance et d'une note de situation du même jour qu'il manifeste de l'attachement pour sa fille mineure et du souci pour son avenir, il est constant qu'il n'en a pas la garde et qu'il n'exerce pas le droit d'hébergement qui lui a été reconnu par le juge, compte tenu de ses conditions de logement. M. B... n'établit pas davantage contribuer de manière effective à son entretien et à son éducation. La fille de l'intéressé, qui vit au domicile de sa mère ou de sa grande sœur, bénéficie, depuis le jugement du tribunal pour enfants de D... du 24 novembre 2023, d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert. Dans ces conditions, en refusant de l'admettre au séjour et en lui faisant obligation de quitter le territoire français, la préfète du Bas-Rhin n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant. Par suite, il y a lieu d'écarter ces deux moyens.
9. En troisième lieu, si la préfète du Bas-Rhin a indiqué à tort que la mère de M. B..., aujourd'hui décédée, et sa fille de quinze ans résidaient en Géorgie, il résulte de l'instruction que la préfète aurait pris les mêmes décisions en ne se fondant pas sur ces éléments erronés. Par suite et alors d'ailleurs que le requérant avait lui-même indiqué dans un récit dactylographié, enregistré au greffe du tribunal administratif de D... le 1er août 2007, qu'il avait divorcé de son épouse et que celle-ci était retournée vivre en Géorgie avec leur enfant, le moyen tiré de l'erreur de fait ne peut qu'être écarté.
10. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE ". ".
11. Ainsi qu'il a déjà été dit, il n'est pas contesté que M. B... a été condamné à quatorze reprises à des peines d'emprisonnement entre 2002 et 2021. Eu égard à la nature et à la réitération des faits ayant donné lieu à ces condamnations pénales et alors même que les faits délictueux les plus récents remontent au 16 avril 2018, la préfète du Bas-Rhin n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en considérant que la présence en France de l'intéressé constituait une menace pour l'ordre public et que cette circonstance faisait obstacle à la délivrance ou au renouvellement de son titre de séjour. Par suite, le moyen doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Bas-Rhin est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de D... a annulé son arrêté du 26 janvier 2024 et lui a enjoint le réexamen de la situation de l'intéressé, ainsi que la délivrance à son bénéfice d'une autorisation provisoire de séjour.
Sur les conclusions à fin de sursis à l'exécution du jugement :
13. La cour statuant par le présent arrêt sur la requête tendant à l'annulation du jugement n° 2401346 du tribunal administratif de D... du 3 mai 2024, les conclusions de la préfète du Bas-Rhin tendant au sursis à l'exécution de ce jugement ont perdu leur objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les frais de justice :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances, la somme réclamée par M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 24NC01320 de la préfète du Bas-Rhin.
Article 2 : Le jugement n° 2401346 du tribunal administratif de D... du 3 mai 2024 est annulé.
Article 3 : La demande présentée en première instance par M. B... et ses conclusions d'appel à fin d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente-assesseure,
- M. Meisse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : E. MEISSE
Le président,
Signé : Ch. WURTZ
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 24NC01319 et 24NC01320 2