Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement, lui a interdit le retour en France pendant trois ans et a procédé à son inscription dans le fichier du Système d'information Schengen.
Par un jugement n° 2308856 du 21 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 8 décembre 2023, enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de M. A..., ainsi que de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2024, sous le n° 24NC00045, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2308856 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 21 décembre 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée en première instance par M. A....
Elle soutient que :
- le jugement de première instance est insuffisamment motivé ;
- c'est à tort que la magistrate désignée a retenu le moyen tiré de la méconnaissance du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français, dès lors que M. A..., qui n'a pas effectué de reconnaissance de paternité, ne peut être regardé comme le père d'un enfant français et que, en tout état de cause, il n'établit pas contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de cet enfant ;
- il y a lieu également d'écarter les autres moyens invoqués par M. A... à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français et tirés respectivement de l'incompétence de la signataire de l'acte, de la méconnaissance du respect des droits de la défense, de l'insuffisance de motivation, du défaut d'examen particulier, de l'atteinte disproportionnée au droit de mener une vie privée et familiale normale, de l'erreur de droit, de l'erreur manifeste d'appréciation et de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 février 2024, M. B... A..., représenté par Me Hentz, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
Il fait valoir que :
- les conditions énoncées à l'article R. 811-15 du code de justice administrative ne sont pas réunies, dès lors que la préfète du Bas-Rhin n'invoque aucun moyen sérieux de nature à justifier l'annulation ou la réformation du jugement de première instance ;
- à titre principal, les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés ;
- le jugement de première instance est suffisamment motivé ;
- c'est à bon droit que la magistrate désignée a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance du droit d'être entendu, garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dès lors que le délai imparti pour formuler des observations était excessivement bref et qu'il n'a pas été mis à même de produire des éléments relatifs à sa vie privée et familiale ;
- la décision en litige est entachée d'un défaut d'examen sérieux ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'un défaut d'examen sérieux ;
- la décision en litige méconnaît les dispositions des articles L. 612-1 à L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant fixation du pays de destination a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français a été prise par une autorité incompétente ;
- la décision en litige est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que, eu égard à la durée de l'interdiction de trois années, elle porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.
II. Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2024, sous le n° 24NC00046, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour de prononcer, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à l'exécution du jugement n° 2308856 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 21 décembre 2023.
Elle soutient que :
- les moyens invoqués dans sa requête d'appel sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ;
- le jugement de première instance est insuffisamment motivé ;
- c'est à tort que la magistrate désignée a retenu le moyen tiré de la méconnaissance du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français, dès lors que M. A..., qui n'a pas effectué de reconnaissance de paternité, ne peut être regardé comme le père d'un enfant français et que, en tout état de cause, il n'établit pas contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de cet enfant ;
- il y a lieu également d'écarter les autres moyens invoqués par M. A... à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français et tirés respectivement de l'incompétence de la signataire de l'acte, de la méconnaissance du respect des droits de la défense, de l'insuffisance de motivation, du défaut d'examen particulier, de l'atteinte disproportionnée au droit de mener une vie privée et familiale normale, de l'erreur de droit, de l'erreur manifeste d'appréciation et de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 février 2024, M. B... A..., représenté par Me Hentz, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
Il fait valoir que :
- les conditions énoncées à l'article R. 811-15 du code de justice administrative ne sont pas réunies dès lors que la préfète du Bas-Rhin n'invoque aucun moyen sérieux de nature à justifier l'annulation ou la réformation du jugement de première instance ;
- à titre principal, les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés ;
- le jugement de première instance est suffisamment motivé ;
- c'est à bon droit que la magistrate désignée a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance du droit d'être entendu, garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dès lors que le délai imparti pour formuler des observations était excessivement bref et qu'il n'a pas été mis à même de produire des éléments relatifs à sa vie privée et familiale ;
- la décision en litige est entachée d'un défaut d'examen sérieux ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'un défaut d'examen sérieux ;
- la décision en litige méconnaît les dispositions des articles L. 612-1 à L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant fixation du pays de destination a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français a été prise par une autorité incompétente ;
- la décision en litige est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que, eu égard à la durée de l'interdiction de trois années, elle porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 21 mars 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 24NC00045 et 24NC00046 présentées par la préfète du Bas-Rhin sont dirigées contre un même jugement et concernent la situation d'un même étranger au regard de son droit au séjour en France. Elles soulèvent des questions analogues et ont donné lieu à une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. M. B... A... est un ressortissant tunisien, né le 11 février 2001. Il a déclaré être entré en France en janvier 2020. Il a été incarcéré à la maison d'arrêt de Strasbourg du 16 mars au 30 décembre 2023 à la suite de condamnations pour des faits de violence et d'usage illicite de stupéfiants par des jugements des 23 février 2022 et 17 mars 2023 du tribunal correctionnel de Strasbourg. Par un arrêté du 8 décembre 2023, la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement, lui a interdit le retour en France pendant trois ans et a procédé à son inscription dans le fichier du Système d'information Schengen. M. A... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. La préfète du Bas-Rhin relève appel du jugement n° 2308856 du 21 décembre 2023, qui annule l'arrêté du 8 décembre 2023 et lui enjoint le réexamen de la situation du demandeur et la délivrance à son bénéfice d'une autorisation provisoire de séjour. Et par une requête distincte, elle sollicite également le sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
3. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le jugement contesté serait insuffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré de ce que ce jugement serait entaché d'irrégularité en raison d'une insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est le père d'un enfant de nationalité française, né le 30 octobre 2023 pendant son incarcération et issu de sa relation avec une ressortissante française avec laquelle il vit en concubinage depuis la fin de l'année 2022. Si l'intéressé n'avait pas reconnu son fils à la date de l'arrêté en litige du 8 décembre 2023, il n'est pas sérieusement contesté qu'il a vainement effectué des démarches en ce sens auprès de l'administration pénitentiaire et judiciaire. En particulier, après s'être vu refuser une permission de sortie pour assister à l'accouchement de sa compagne et reconnaître l'enfant, il a demandé qu'un agent de l'état-civil se rende en prison pour procéder aux formalités nécessaires à cet égard et qu'un parloir lui soit accordé afin de lui permettre de faire connaissance avec son fils. Eu égard à la date de la fin de son incarcération, prévue le 30 décembre 2023, ces demandes n'ont pu être satisfaites en temps utile. Les échanges de correspondance et de courriels entre la conseillère d'insertion et de probation et le couple attestent, par ailleurs, de la permanence de la communauté de vie pendant la détention. Enfin, il est constant que, depuis sa sortie de prison, M. A..., qui a reconnu son fils qu'en février 2024, vit de nouveau avec sa compagne et s'occupe de leur enfant et de la fille mineure que celle-ci a eu d'une précédente relation. Dans ces conditions, eu égard à l'incarcération de l'intéressé, à son absence de ressources et à sa volonté de maintenir des liens avec sa famille, celui-ci doit être regardé comme ayant, au cours de la brève période séparant la naissance de l'enfant de l'arrêté en litige, contribué de manière effective à son entretien et à son éducation. Par suite, la préfète du Bas-Rhin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée a annulé l'arrêté du 8 décembre 2023 pour méconnaissance des dispositions, alors applicables, du 5° du premier alinéa de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur les conclusions à fin de sursis à l'exécution du jugement :
7. La cour statuant par le présent arrêt sur la requête tendant à l'annulation du jugement n° 2308856 de la magistrate désignée par le tribunal administratif de Strasbourg du 21 décembre 2023, les conclusions de la préfète du Bas-Rhin tendant au sursis à l'exécution de ce jugement ont perdu leur objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les frais de justice :
8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A... en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 24NC00046 de la préfète du Bas-Rhin.
Article 2 : La requête n° 24NC00045 de la préfète du Bas-Rhin est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A... et à Me Hentz.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente-assesseure,
- M. Meisse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : E. MEISSE
Le président,
Signé : Ch. WURTZ
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 24NC00045 et 24NC00046 2