Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 3 août 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois.
Par un jugement n° 2302392 du 30 novembre 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 décembre 2023, le 29 janvier 2024, et le 1er mars 2024, M. B..., représenté par Me Lebon-Mamoudy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 novembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 3 août 2023 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de Meurthe-et-Moselle de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, sans délai, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé en fait ;
- il est entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- il porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale et méconnaît ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ;
- son seul placement en garde à vue ne suffit pas à caractériser une menace pour l'ordre public justifiant la décision de refus de délai de départ volontaire ;
- l'interdiction de retour de douze mois est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2024, la préfète de
Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Berthou,
- et les observations de Me Lebon-Mamoudy pour M. A....
Une note en délibéré, présentée pour M. A... par
Me Lebon-Mamoudy, a été enregistrée le 21 novembre 2024 et n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 18 janvier 1995, de nationalité camerounaise, est entré régulièrement sur le territoire le 16 septembre 2018 muni d'un visa d'étudiant. A la suite de son interpellation et de son placement en garde à vue le 2 août 2023, il a fait l'objet d'un arrêté du 3 août 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, fixé le pays de destination et prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de douze mois. Par la présente requête, M. A... relève appel du jugement du 30 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
Sur l'arrêté pris dans son ensemble :
2. En premier lieu, M. A... soutient que l'arrêté attaqué est entaché d'un défaut de motivation en fait dès lors qu'il n'indique pas sa situation personnelle et familiale en France. Il ne précise pas à l'encontre de quelle décision il soulève son moyen. Toutefois l'arrêté attaqué relève que l'intéressé est en France depuis 2018 pour y poursuivre ses études, que ses huit frères vivent au Cameroun et qu'il vit en concubinage sur le territoire avec une ressortissante française. Par suite le moyen ne peut qu'être écarté comme manquant en fait.
3. En deuxième lieu, si l'arrêté attaqué ne mentionne pas l'ensemble des éléments du parcours notamment professionnel de M. A... depuis son entrée en France, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation. Ce moyen doit donc être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance - 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sécurité publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France en 2018 afin d'y poursuivre des études. Il fait état de sa relation amoureuse avec une ressortissante française, qui est la mère de ses deux enfants nés prématurément et décédés en juillet 2023, avec laquelle il vit depuis la fin de l'année 2020. Il indique avoir obtenu une licence professionnelle au mois de novembre 2021 et avoir travaillé dans le cadre de contrats à durée déterminée puis, à compter du 26 septembre 2022, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée intérimaire. Toutefois et alors même que le comportement de l'intéressé ne constituerait pas une menace à l'ordre public et alors que la présence d'un étranger en France sous couvert d'un titre de séjour portant la mention " étudiant " ne saurait avoir pour objet ni pour effet d'y transférer le centre de ses intérêts privés et familiaux, les circonstances de l'espèce ne suffisent pas à établir qu'en l'obligeant à quitter le territoire en raison de l'absence du renouvellement de son titre de séjour, le préfet de Meurthe-et-Moselle aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour ces mêmes raisons, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant.
En ce qui concerne la décision portant refus d'un délai de départ volontaire :
6. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que le refus de délai de départ volontaire est uniquement motivé par l'interpellation et le placement en garde à vue de M. A... le 2 août 2023, la veille de la décision litigieuse, pour des faits d'agression sexuelle de nature à caractériser une menace pour l'ordre public au sens des dispositions précitées. M. A... conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés et produit un avis de classement sans suite du 17 octobre 2023. La préfète de Meurthe-et-Moselle n'apporte aucun autre élément de nature à établir que le comportement de l'intéressé constituerait une menace pour l'ordre public et ne fait valoir aucun autre motif de nature à justifier légalement sa décision. Le moyen doit donc être accueilli. Il s'ensuit que la décision de refus de délai de départ volontaire doit être annulée.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour :
8. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. (...) ".
9. La décision portant interdiction de retour étant fondée sur les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision de refus de délai de départ volontaire.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Le présent arrêt, qui n'annule que partiellement l'arrêté contesté, n'implique en lui-même aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fins d'injonction présentées par M. A... doivent donc être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 novembre 2023 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions à fins d'annulation présentées par M. A... et dirigées contre la décision lui refusant un délai de départ volontaire et contre la décision lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de douze mois.
Article 2 : Les décisions du 3 août 2023 par lesquelles le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé d'accorder un délai de départ volontaire à M. A... et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de douze mois sont annulées.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B..., et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente-assesseure,
- M. Berthou, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : D. BERTHOULe président,
Signé : Ch. WURTZLe greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 23NC03830 2