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05/12/2024 | FRANCE | N°23NC03057

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 05 décembre 2024, 23NC03057


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2023 par lequel la préfète des Vosges a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de deux ans, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 29 août 2023 par lequel la préfète l'a assigné

à résidence.



Par un jugement no 2302484, 2302601 du 5 septembre 2023, le magistra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2023 par lequel la préfète des Vosges a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de deux ans, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 29 août 2023 par lequel la préfète l'a assigné à résidence.

Par un jugement no 2302484, 2302601 du 5 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a, d'une part, admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, d'autre part, renvoyé à l'examen d'une formation collégiale les conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus de séjour et les conclusions accessoires dont elles étaient assorties et, enfin, rejeté le surplus de sa demande.

Par un jugement n° 2302484 du 16 novembre 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision du 11 juillet 2023 par laquelle la préfète des Vosges a refusé de lui délivrer un titre de séjour ainsi que les conclusions accessoires demeurant en litige.

Procédure devant la cour :

I.) Par une requête, enregistrée le 6 octobre 2023 sous le n° 23NC03057, M. B..., représenté par Me Boulanger, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 5 septembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2023 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fixe le pays de destination et lui fait interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de deux ;

3°) d'annuler l'arrêté du 29 août 2023 ;

4°) d'enjoindre à la préfète des Vosges de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dès le prononcé de l'arrêt à intervenir, de lui restituer son passeport et sa carte nationale d'identité dans le délai de trois jours et de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

S'agissant de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision en litige est intervenue en méconnaissance du droit d'être entendu qu'il tire d'un principe général du droit de l'Union européenne ;

- elle est illégale par voie d'exception de l'illégalité de la décision lui refusant un titre de séjour : cette décision est entachée d'un vice de procédure en l'absence de saisine de la commission du droit de séjour ;

S'agissant de la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

- la décision en litige est illégale compte tenu de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est intervenue en méconnaissance de son droit d'être entendu qu'il tire d'un principe général du droit de l'Union européenne ;

- elle méconnaît les dispositions des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

S'agissant de la légalité de l'assignation à résidence :

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la préfète des Vosges ne justifie pas qu'il existe une perspective raisonnable d'éloignement ;

- la décision est entachée d'erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2023, la préfète des Vosges conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 20 novembre 2023.

II.) Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2023 sous le n° 23NC03746, M. B..., représenté par Me Boulanger, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 16 novembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2023 en tant qu'il lui refuse la délivrance d'un titre de séjour ;

3°) d'enjoindre à la préfète des Vosges de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dès la notification de l'arrêt à intervenir, de lui restituer son passeport et sa carte nationale d'identité dans le délai de trois jours et de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le refus de titre de séjour est entaché d'un vice de procédure en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour ;

- le refus de la préfète de lui délivrer un titre de séjour " salarié " au titre de son pouvoir discrétionnaire de régularisation est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision en litige méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2024, la préfète des Vosges conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 29 février 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brodier,

- les observations de Me Boulanger, avocat de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant tunisien né en 1967, est entré régulièrement sur le territoire français le 8 mars 1999 sous couvert d'un visa de court séjour. Il a bénéficié d'un récépissé de demande de titre de séjour, valable à compter de mai 2010 et régulièrement renouvelé jusqu'au 25 juin 2012, date à laquelle il a fait l'objet d'un arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français. Il a fait l'objet de deux autres mesures d'éloignement, par arrêtés du préfet des Hauts-de-Seine des 25 octobre 2016 et 21 novembre 2019. Le 28 février 2023, M. B... a sollicité sa régularisation à titre exceptionnel auprès des services de la préfecture des Vosges. Par un arrêté du 11 juillet 2023, la préfète des Vosges a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Elle l'a ensuite assignée à résidence par un arrêté du 29 août 2023. Par un jugement n° 2302484, 2302601 du 5 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a notamment rejeté les conclusions présentées par M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 juillet 2023 en tant qu'il lui faisait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixait le pays de destination ainsi que celles tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 août 2023. Par un jugement n° 2302484 du 16 novembre 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 juillet 2023 en tant qu'il refusait à l'intéressé la délivrance d'un titre de séjour. Par ses requêtes n° 23NC03057 et 23NC03746, qui concernent la situation d'un même ressortissant étranger et qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt, M. B... relève appel de ces deux jugements en tant qu'ils ont rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 11 juillet 2023 et du 29 août 2023.

Sur la légalité de la décision de refus de séjour :

2. En premier lieu, portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Il fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord.

3. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, il y a lieu d'observer que ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.

4. M. B... produit un contrat à durée indéterminée pour un emploi de " vendeur-caissier " dans un commerce d'alimentation générale qu'il occupe depuis le 1er mars 2021, soit depuis deux ans et quatre mois à la date de la décision en litige. Il produit également quelques témoignages de clients de ce commerce. Toutefois, en dépit de la durée de cette activité, et alors même qu'il avait déjà travaillé comme vendeur entre mai et décembre 2010 puis entre mai 2011 et avril 2012, ainsi qu'en attestent les bulletins de paie qu'il produit, il ne peut être regardé comme attestant une intégration professionnelle particulière à ce titre. En l'absence d'autres éléments relatifs à son insertion professionnelle au cours de son séjour en France, dont il soutient qu'il dure depuis vingt-quatre années, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la préfète des Vosges aurait commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'exercice de son pouvoir de régularisation en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour " salarié ".

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. Si M. B... établit être entré régulièrement en France le 8 mars 1999, il n'établit pas, contrairement à ce qu'il soutient, avoir résidé sans discontinuer sur le territoire français depuis cette date. Alors que la préfète des Vosges lui oppose notamment l'absence de preuve pour la période allant de 2014 à 2017, le requérant justifie uniquement, par les pièces qu'il produit, qu'il était en France en décembre 2014, en mars 2015, puis d'août à octobre 2016 et enfin en novembre 2018. Il ne ressort pas plus des pièces du dossier qu'il aurait été présent sur le territoire en 2017 et en 2020. La continuité récente de son séjour n'est en réalité établie qu'à compter de mars 2021, date à laquelle il a commencé à travailler à Contrexéville. Par ailleurs, il n'allègue pas disposer d'attaches familiales en France, et ne se prévaut pas non plus d'attaches personnelles solides sur le territoire, en dépit de la durée alléguée de son séjour. Aussi, la seule circonstance qu'il maîtriserait la langue française, qu'il est hébergé par son employeur et qu'il travaille comme vendeur depuis mars 2021 ne permettent pas de considérer qu'il aurait définitivement ancré en France l'essentiel de sa vie privée. M. B... ne justifie pas que le refus de lui délivrer un titre de séjour porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions et stipulations précitées doit être écarté.

7. En troisième lieu, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, et alors que M. B... n'établit pas la continuité et les conditions de son séjour en France dont il soutient qu'il n'a pas cessé depuis mars 1999, il n'est pas fondé à soutenir que la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

8. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date de la décision en litige : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ; / (...) / ; 4° Dans le cas prévu à l'article L. 435-1 ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 435-1 du même code : " Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14 ". Il résulte de ces dispositions que le préfet n'est tenu de saisir la commission du titre de séjour, lorsqu'il envisage de refuser un titre mentionné à l'article L. 432-13, que du cas des étrangers qui remplissent effectivement l'ensemble des conditions de procédure et de fond auxquelles est subordonnée la délivrance d'un tel titre, et non de celui de tous les étrangers qui se prévalent des articles auxquels les dispositions de l'article L. 432-13 ci-dessus renvoient.

9. D'une part, et ainsi qu'il a été dit précédemment, M. B... ne justifie pas qu'il remplissait les conditions de délivrance du titre de séjour prévu par les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. D'autre part, il n'établit pas non plus qu'il résidait habituellement en France au cours des dix dernières années. Enfin, s'il est toujours loisible à l'autorité préfectorale de faire usage de son pouvoir discrétionnaire pour régulariser un ressortissant étranger, elle ne saurait être tenue de saisir la commission du titre de séjour en dehors des cas prévus par les dispositions précitées. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en ne saisissant pas la commission du titre de séjour, la préfète des Vosges aurait entaché la décision en litige d'un vice de procédure.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui refusant un titre de séjour.

11. En deuxième lieu, il résulte de la jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, le droit d'être entendu n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande d'asile ou de sa demande de titre de séjour.

12. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

13. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, notamment de sa demande de titre de séjour formée le 28 février 2023 par l'intermédiaire de son conseil, que M. B... a pu présenter sur sa situation les observations qu'il estimait utiles à l'appui de l'examen de sa demande de régularisation à titre exceptionnel. Alors qu'il ne pouvait ignorer qu'en cas de rejet de cette demande, il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement, il n'allègue pas avoir sollicité en vain un entretien auprès des services préfectoraux, ni même avoir été empêché de présenter d'autres observations avant que ne soit prise la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige. Il ne fait en outre valoir aucun élément pertinent qu'il n'a pu présenter et qui aurait pu influer sur le contenu de la décision en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

14. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige serait illégale compte tenu de l'illégalité des décisions lui refusant un titre de séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français.

15. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs qu'énoncés au point 13 ci-dessus, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'en lui faisant interdiction de retour sur le territoire français sans le mettre en mesure préalablement de présenter ses observations sur l'intervention de cette mesure, la préfète des Vosges aurait méconnu le droit d'être entendu qu'il tire d'un principe général des droits de l'Union européenne.

16. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".

17. M. B... se prévaut de la durée de son séjour sur le territoire français, de son emploi et de ce que sa présence ne représente pas de menace pour l'ordre public. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier qu'il aurait noué en France de liens d'une particulière intensité, tandis qu'après avoir vécu en séjour régulier pendant deux ans entre mai 2010 et juin 2012, il a fait l'objet de trois mesures d'éloignement auxquelles il n'établit pas avoir déféré. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en lui faisant interdiction de retour pendant une durée de deux ans, la préfète des Vosges aurait fait une inexacte application des dispositions précitées.

Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence :

18. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision l'assignant à résidence serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

19. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

20. M. B... ne se prévaut d'aucun élément permettant de considérer qu'en l'assignant à résidence plutôt qu'en le plaçant en rétention administrative en vue de l'exécution de la mesure d'éloignement dont il a fait l'objet, la préfète des Vosges aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées ne peut qu'être écarté.

21. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) ".

22. Il ressort de la décision en litige que la préfète des Vosges a indiqué devoir obtenir un laissez-passer consulaire et prévoir l'organisation matérielle du départ de M. B.... Le requérant ne se prévaut d'aucun élément qui établirait que ces conditions ne pourraient pas être réunies ni, par suite, qu'il n'existerait aucune perspective raisonnable pour son éloignement. Par suite, et compte tenu de ce qui a été dit au point 20 ci-dessus, le moyen tiré de ce que la mesure d'assignation à résidence serait entachée d'une erreur d'appréciation doit être écarté.

23. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 11 juillet 2023 et du 29 août 2023. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Boulanger et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète des Vosges.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Martinez, président,

- M. Agnel, président-assesseur,

- Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.

La rapporteure,

Signé : H. BrodierLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

No 23NC03057, 23NC03746


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03057
Date de la décision : 05/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : BOULANGER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-05;23nc03057 ?
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