Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 23 mars 2022 par lequel le préfet des Vosges a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2201490 du 17 août 2023, le tribunal administratif de Nancy a intégralement fait droit à la demande de M. D....
Procédure devant la cour :
I) Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 septembre 2023 et le 5 mars 2024, sous le numéro 23NC02881, le préfet des Vosges demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler le bénéfice de l'aide juridictionnelle accordée à M. D... en première instance et en appel en application des dispositions du 4° de l'article 50 de la loi du 10 juillet 1991, compte tenu du caractère abusif de sa requête, et de rejeter sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de M. D... une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il avait implicitement mais nécessairement accepté de regarder le dossier de M. D... comme complet en refusant de lui délivrer un titre de séjour ;
- le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur le caractère irrégulier, falsifié ou inexact des documents produits devant lui, considérés par ses services comme frauduleux ;
- se faisant, les premiers juges ne pouvaient pas lui enjoindre de délivrer à M. D... un titre de séjour dont l'état civil et l'identité ne sont pas établis ;
- il n'a pas méconnu des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense et une pièce, enregistrés le 13 février et le 13 mars 2024, M. D..., représenté par Me Richard, conclut à titre principal au rejet de la requête et à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à ce qu'il soit enjoint au préfet des Vosges de réexaminer sa demande de titre de séjour dans le délai d'un mois et que, dans tous les cas, soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet des Vosges ne sont pas fondés.
Par une décision du 7 décembre 2023, M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
II) Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 septembre 2023 et le 5 mars 2024, sous le numéro 23NC02882, le préfet des Vosges demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2201490 du 17 août 2023.
Par un mémoire en défense et une pièce, enregistrés le 13 février et le 13 mars 2024, M. D..., représenté par Me Richard, conclut au rejet de la demande de sursis à exécution et à ce qu'une somme de 1 800 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par une décision du 7 décembre 2023, M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience publique.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Stenger,
- et les observations de Me Matiatou substituant Me Richard, représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., se disant ressortissant guinéen né le 2 mai 2000, est entré en France, selon ses déclarations, le 19 mai 2016 en qualité de mineur non accompagné. A sa majorité, il a sollicité un titre de séjour en raison de son état de santé. Par une décision du 9 octobre 2018, le préfet des Vosges a refusé de lui délivrer le titre de séjour demandé et a pris à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, dont la validité a été confirmée par un arrêt de la cour de céans du 22 octobre 2019. Le 4 septembre 2019, M. D... a sollicité un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français à la suite de la naissance de son fils le 6 juillet 2019 dont la mère est une ressortissante française. L'arrêté du 30 septembre 2020 par lequel le préfet des Vosges a refusé de lui délivrer le titre de séjour ainsi sollicité a été confirmé par un jugement du tribunal administratif de Nancy du 16 août 2021 devenu définitif. Le 24 novembre 2021, M. D... a de nouveau sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-7, L. 423-23, L. 425-9 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 23 mars 2022, le préfet des Vosges a refusé de lui délivrer un titre de séjour. Par les deux requêtes ci-dessus visées, qu'il y a lieu de joindre afin de statuer par un seul arrêt, le préfet des Vosges relève appel et demande le sursis à exécution du jugement du 17 août 2023 par lequel le tribunal administratif de Nancy a intégralement fait droit à la demande de M. D....
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. /2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. En l'espèce, il est constant que M. D... est le père de deux enfants de nationalité française nés respectivement le 6 juillet 2019 et le 25 juillet 2020, de deux unions différentes, qu'il a reconnus le 20 février 2019 et le 26 août 2020. Il ressort des pièces du dossier que, s'agissant de son fils C..., par un jugement avant dire droit du 4 mars 2020, le juge aux affaires familiales d'Epinal a fixé un droit de visite médiatisé bimensuel à M. D..., soulignant que ce dernier souhaite prendre part activement à l'éducation de son enfant et qu'il devra verser 30 euros de contribution à l'entretien et à l'éducation de son fils. Par un deuxième jugement du 5 novembre 2020, l'autorité parentale conjointe des parents de C... a été rappelée et le droit de visite médiatisé de M. D... a été élargi à deux heures deux fois par mois. Par un troisième jugement du 21 juillet 2023, le juge aux affaires familiales d'Epinal a de nouveau élargi progressivement le droit de visite et d'hébergement de M. D... afin qu'il puisse exercer, au terme d'un délai de sept mois, un droit de visite et d'hébergement un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. S'agissant de son second enfant A..., né le 25 juillet 2020, il ressort des pièces du dossier que, par un jugement du 30 septembre 2022, la mère de l'enfant a été déboutée de sa demande d'exercice exclusif de l'autorité parentale et que M. D... bénéficie d'un droit de visite deux fois par mois pendant une durée d'un an en espace rencontre et doit verser 50 euros de contribution à l'entretien et à l'éducation de son fils. En appel, M. D... justifie avoir régulièrement procédé aux versements mensuels de ces contributions financières auprès des mères de ses deux enfants. Enfin, M. D... justifie qu'il a suivi une formation de CAP d'installateur sanitaire en contrat d'apprentissage pendant les années 2018/2019 et qu'il a obtenu son diplôme en juillet 2019. Il fait également valoir qu'il a effectué plusieurs stages au cours de l'année 2021 au sein de l'entreprise OKA Bâtiments, dans différents métiers du bâtiment, au terme desquels il a obtenu une promesse d'embauche en contrat à durée indéterminée de cette société. Il produit en outre plusieurs attestations qui témoignent de son investissement au sein du club de football et du centre social de Contrexéville. M. D... justifie ainsi de son implication et de son intégration professionnelle. Par ailleurs, si le caractère irrégulier, falsifié ou inexact des documents produits par M. D... pour justifier de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans, consistant en deux jugements supplétifs d'acte de naissance des 3 mars 2014 et 3 mars 2016, ainsi que des extraits d'acte de naissance datés des 20 juin 2014 et 2 avril 2016, a été confirmé par l'arrêt de la cour de céans du 22 octobre 2019, il ressort toutefois des pièces du dossier que le passeport biométrique de M. D... a été reconnu authentique par un rapport d'analyse documentaire du 3 février 2021. En outre, comme le fait valoir l'intéressé, son état civil n'a pas été remis en cause par l'autorité judiciaire lorsqu'il a procédé à la reconnaissance de paternité de ses deux enfants ni dans le cadre de l'action en contestation de paternité engagée par la mère de son fils aîné. Les juges aux affaires familiales ont par ailleurs reconnu l'identité de M. D... en sa qualité de père de ses deux enfants de nationalité française en lui reconnaissant des droits de visite et en lui imposant des obligations alimentaires. Dans ces conditions, au regard de l'ensemble de ces éléments, et notamment compte tenu du fait que le requérant justifie participer à l'entretien et à l'éducation de ses deux fils de nationalité française, c'est à juste titre que le tribunal administratif a jugé que la décision par laquelle le préfet des Vosges a refusé de délivrer à M. D... un titre de séjour portait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise, au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Vosges n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 23 mars 2022. Par suite, sa requête susvisée n° 23NC02881doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
5. Le présent arrêt s'étant prononcé sur l'appel du préfet des Vosges, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins de sursis à exécution de la requête ci-dessus visée sous le numéro 23NC02882.
Sur les conclusions présentées par M. D... sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
6. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Richard, avocate de M. D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Richard de la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet des Vosges ci-dessus visée sous le numéro 23NC02881 est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête du préfet des Vosges ci-dessus visée sous le numéro 23NC02882.
Article 3 : L'Etat versera à Me Richard, avocate de M. D..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Richard renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D..., à Me Richard et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Vosges.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Stenger, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.
La rapporteure,
Signé : L. Stenger Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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23NC02881 et 23NC02882