Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 4 octobre 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité de contrôle des Ardennes a accordé à la société Walor Vouziers l'autorisation de la licencier pour inaptitude.
Par un jugement no 2102659 du 20 janvier 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrée le 20 mars 2023, Mme A..., représentée par Me Lacourt, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision en litige est entachée d'insuffisance de motivation, s'agissant de l'obligation de reclassement et s'agissant du lien entre le licenciement et son mandat ;
- elle est entachée d'incompétence de son auteur ;
- elle est entachée d'" erreur manifeste d'appréciation " du lien existant entre son licenciement et son mandat ;
- l'obligation de reclassement a été méconnue.
Par un mémoire, enregistré le 16 mai 2023, la société Walor Vouziers, représentée par Me Maudet et Me Roger, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 16 octobre 2024, la ministre du travail et de l'emploi conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brodier,
- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Embauchée par la société Walor Vouziers le 1er juin 2013, Mme A... exerçait en dernier lieu des fonctions d'agent de production et avait la qualité de salariée protégée en raison de son mandat de membre suppléante du comité social et économique. A la suite de l'avis du médecin du travail du 28 mai 2021 la déclarant inapte à son poste, son employeur a engagé une procédure de licenciement pour inaptitude. Par une décision du 4 octobre 2021, l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité de contrôle des Ardennes a accordé à la société Walor Vouziers l'autorisation de la licencier. Mme A... relève appel du jugement du 20 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la légalité externe de la décision du 4 octobre 2021 :
2. En premier lieu, il ressort de la décision du directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de la région Grand Est du 28 mai 2021 relative à l'affectation des agents de contrôle dans l'unité de contrôle des Ardennes et à la gestion des intérims dans le département des Ardennes que Mme B..., inspectrice du travail, est chargée des actions d'inspection du travail dans les entreprises relevant de la section n° 7 à compter du 1er juin 2021 et par ailleurs qu'elle assure l'intérim de l'inspecteur du travail en charge de la section n° 1 en cas d'absence ou d'empêchement de celui-ci. Il ressort en outre d'un arrêté de la même autorité administrative du 1er août 2021, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture des Ardennes du 31 août 2021, que la commune de Vouziers, dans laquelle se situe le siège social de la société Walor Vouziers, relève de la section n° 1 de l'unité de contrôle des Ardennes. Par suite, la requérante, qui n'allègue pas que l'inspecteur du travail de la section n° 1 n'aurait pas été absent ou empêché, n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige, adoptée par l'inspectrice du travail assurant l'intérim sur cette section, est entachée d'incompétence de son autrice.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée ".
4. D'une part, s'agissant de l'obligation de reclassement, il ressort de la décision en litige que l'inspectrice du travail a considéré que l'employeur, qui avait recherché une solution de reclassement en tenant compte des préconisations du médecin du travail dans son avis du 28 mai 2021 auprès de la société Walor Vouziers et des autres structures du groupe, recherches qui n'avaient pu aboutir favorablement, avait satisfait à son obligation de reclassement. Cette motivation permet à l'intéressée de s'assurer que l'autorité administrative a exercé son contrôle sur l'étendue de la recherche de reclassement, sans qu'il puisse être fait grief à cette dernière de ne pas avoir listé les noms des autres sociétés du groupe auprès desquelles les recherches ont été conduites. D'autre part, la décision en litige, qui indique que l'enquête n'a pas mis en évidence de lien entre le mandat détenu par la salariée et la demande de licenciement, comporte également les précisions permettant de s'assurer que l'inspectrice du travail a procédé au contrôle qui lui incombe sur ce point. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision autorisant son licenciement, qui comporte l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, serait entachée d'insuffisance de motivation.
Sur la légalité interne de la décision du 4 octobre 2021 :
5. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise. En revanche, dans l'exercice de ce contrôle, il n'appartient pas à l'administration de rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. / Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ".
7. Dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions de l'article L. 1226-2 du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.
8. Il ressort de l'avis du 28 mai 2021 par lequel le médecin du travail a déclaré Mme A... inapte que ses préconisations en vue d'un reclassement de la salariée impliquaient de trouver un poste sans port de charges supérieures à 5 kilogrammes sans aide à la manutention, sans efforts physiques intenses et sans exposition aux produits chimiques toxiques, solvants organiques, huiles et graisses industrielles, fluides de coupe, poussières de métaux durs, et qui par ailleurs ne relèverait pas d'une organisation en " travail posté ". Le médecin du travail indiquait qu'un poste administratif était à privilégier. La société Walor Vouziers a produit les courriers du 14 juin 2021 qu'elle a adressés à ses différents chefs de service, en interne, ainsi que les courriers du même jour envoyés aux responsables des ressources humaines des sept autres sociétés du groupe Walor situées en France, dont il ressort qu'ils donnaient les précisions utiles sur le poste actuel de la salariée, reproduisaient l'intégralité de l'avis du médecin du travail quant aux restrictions en matière de reclassement, et les invitaient à faire état de tout poste disponible, y compris susceptibles d'être créés, relevant de la même catégorie que celui de la salariée ou bien d'une catégorie inférieure. La société Walor Vouziers produit encore les accusés de réception de ses courriels ainsi que les réponses, négatives, obtenues en interne ou de la part des autres sociétés du groupe.
9. D'une part, si Mme A... soutient qu'un poste administratif existait au sein de la société Walor Vouziers qui aurait dû lui être proposé, il ressort des pièces du dossier que le recrutement opéré sur le poste de responsable ressources humaines au 21 juin 2021 portait sur un emploi de cadre. Or, si la requérante atteste qu'elle était alors en cours de formation initiale pour obtenir un diplôme d'assistante des ressources humaines, et qu'elle en avait d'ailleurs informé son employeur en décembre 2020, celui-ci indique, sans être contesté, que ce titre professionnel, qu'elle n'a obtenu au demeurant qu'en février 2023, soit bien au-delà de la période de reclassement considérée, ne lui permettait pas de prétendre au poste de responsable des ressources humaines de l'entreprise. Il ne s'agit pas non plus, compte tenu de ce qui vient d'être dit, d'un poste qui aurait pu être accessible après adaptation ou formation complémentaire. Au demeurant, le poste, vacant avant l'avis d'inaptitude de Mme A..., avait été accepté par sa titulaire dès le 17 mai 2021, et n'était plus disponible lorsque la société Walor Vouziers a engagé sa recherche de reclassement.
10. D'autre part, la société Walor Vouziers justifie qu'elle n'a pas exclu les postes de production de sa recherche de reclassement. S'il ressort du registre de son personnel pour la période du 4 avril au 4 octobre 2021, que deux agents de production ont été recrutés les 1er et 4 octobre 2021 en contrats à durée indéterminée, l'employeur, qui connaissait les préconisations du médecin du travail concernant le reclassement de Mme A..., n'était pas tenu de solliciter une étude de ces postes avant d'exclure qu'ils puissent convenir pour son reclassement. La requérante n'allègue d'ailleurs pas que ces deux postes auraient été compatibles avec son état de santé et les nombreuses restrictions figurant sur l'avis du 28 mai 2021. Par ailleurs, il ressort de la liste des entrées et sorties des effectifs que la société Walor Vouziers n'a procédé à aucun recrutement en contrat à durée déterminée au cours de la période concernée. Quant à son recours à des intérimaires, l'employeur indique, sans être contesté, que les postes pourvus d'agents de production, d'opérateur de production, d'opérateur de commande numérique, d'agent de maintenance, de technicien de maintenance, d'agent de tri, de manutentionnaire, de soudeur et de mécanicien, n'étaient pas en adéquation avec les restrictions énoncées par le médecin du travail relativement au port de charge et aux efforts physiques. Ainsi, et contrairement à ce que la requérante soutient, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait existé de nombreux postes disponibles que son employeur aurait dû lui proposer à titre de reclassement. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'inspectrice du travail aurait entaché la décision en litige d'erreur d'appréciation en retenant que la société Walor Vouziers avait satisfait à son obligation de reclassement.
11. En deuxième lieu, Mme A..., qui soutient que les salariés de l'entreprise bénéficiant d'un mandat " CFDT " auraient fait l'objet d'une " attention particulière " de la part de la direction de l'entreprise, se borne à évoquer la grève à laquelle son syndicat a pris une part active en janvier 2021, sans d'ailleurs préciser si elle y a participé, et les sanctions, illégales selon elle, qui auraient été prise à l'encontre de l'un de ses collègues. Toutefois, elle ne fait état d'aucun fait particulier concernant l'attitude de son employeur à son égard, que ce soit depuis qu'elle est devenue membre suppléante du comité social et économique ou depuis qu'elle est en arrêt de travail. Il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que la demande de licenciement pour inaptitude adressée par son employeur pourrait être en lien avec les fonctions représentatives qu'elle exerçait ou bien avec son appartenance syndicale. La requérante ne saurait à cet égard reprocher à l'autorité administrative d'avoir souhaité, au cours de son enquête, l'entendre elle, plutôt que le représentant syndical qui l'avait accompagnée. Par suite, le moyen tiré de ce que l'inspectrice du travail aurait, au regard du lien prétendu entre le mandat et le licenciement, entaché sa décision d'erreur d'appréciation ne peut qu'être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 4 octobre 2021.
Sur les frais liés au litige :
13. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
14. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... une somme au titre des frais exposés par la société Walor Vouziers et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Walor Vouziers tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., à la société Walor Vouziers et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
2
No 23NC00892