Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du supplément d'impôt sur le revenu qui lui a été assigné au titre de l'année 2016.
Par un jugement n° 2104621 du 19 septembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du supplément d'impôt sur le revenu qui lui a été assigné au titre de l'année 2016.
Par un jugement n° 2106424 du 19 septembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
I) Par une requête enregistrée le 10 novembre 2022, sous le numéro 22NC02815, M. B... A..., représenté par Me Ferretti et Me Heinrich, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2104621 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'article 155 A du code général des impôts ne saurait être appliqué à son cas en ce qu'il ne contrôle pas la société El Lux, au sens de ces dispositions, en ne détenant que 10 % du capital social et en se bornant à être son gérant statutaire, dès lors que cette société est détenue à 80 % par une société WHBC Finance Consulting qui la contrôle effectivement ; en tout état de cause, la société El Lux exerce une activité de cabinet au sens de la doctrine administrative BOI-IR-DOMIC-30, n° 140, consistant dans la gestion de projet en matière d'urbanisme, de sorte que l'article 155 A ne peut pas être mis en œuvre ;
- la société El Lux a effectivement rendu les services facturés au moyen de son activité propre et la circonstance qu'elle a fait appel à la sous-traitance de la société GBI, dont la réalité des prestations est établie, n'y fait pas obstacle ; en conséquence c'est à tort que le service a considéré que les prestations de la société El Lux avaient été fournies à titre personnel par lui-même et son épouse ;
- la société GBI ayant été imposée en France à hauteur de 270 000 euros sur les montants qu'elle a facturés à la société El Lux, l'imposition en France des sommes facturées par la société El Lux elle-même constitue une double imposition prohibée par le Conseil Constitutionnel, seul le produit net de 10 000 euros pouvant être imposable en France ;
- en l'absence d'évasion fiscale à destination du Luxembourg et donc de fraude, le dispositif de l'article 155 A ne saurait être mis en œuvre sauf à méconnaître le principe d'application mesurée de la loi fiscale ;
- le revenu mis à sa charge dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ne repose pas sur les recettes encaissées au cours de l'année d'imposition et ne tient aucun compte des dépenses nécessitées par l'exercice de la profession ; en l'occurrence, compte tenu des dépenses effectuées auprès de la société GBI Conseils, lesquelles sont bien nécessaires contrairement à ce qu'estime l'administration, seul un bénéfice de 10 000 euros aurait pu être imposé.
Par un mémoire enregistré le 12 mai 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
II) Par une requête enregistrée le 10 novembre 2022, sous le numéro 22NC02816, Mme C... A..., représentée par Me Ferretti et Me Heinrich, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2106424 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions contestées
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'exerce aucun contrôle sur la société luxembourgeoise El Lux ce qui exclut toute application de l'article 155 A du code général des impôts en ce qui la concerne ; en tout état de cause, la société El Lux exerce une activité de cabinet au sens de la doctrine administrative BOI-IR-DOMIC-30, n° 140, consistant dans la gestion de projet en matière d'urbanisme, de sorte que l'article 155 A ne peut pas être mis en œuvre ;
- la société El Lux a effectivement rendu les services facturés au moyen de son activité propre et la circonstance qu'elle a fait appel à la sous-traitance de la société GBI, dont la réalité des prestations est établie, n'y fait pas obstacle ; en conséquence c'est à tort que le service a considéré que les prestations de la société El Lux avaient été fournies à titre personnel par elle-même et son époux ;
- la société GBI ayant été imposée en France à hauteur de 270 000 euros sur les montants qu'elle a facturés à la société El Lux, l'imposition en France des sommes facturées par la société El Lux elle-même constitue une double imposition prohibée par le Conseil Constitutionnel, seul le produit net de 10 000 euros pouvant être imposable en France ;
- en l'absence d'évasion fiscale à destination du Luxembourg et donc de fraude, le dispositif de l'article 155 A ne saurait être mis en œuvre sauf à méconnaître le principe d'application mesurée de la loi fiscale ;
- le revenu mis à sa charge dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ne repose pas sur les recettes encaissées au cours de l'année d'imposition et ne tient aucun compte des dépenses nécessitées par l'exercice de la profession ; en l'occurrence, compte tenu des dépenses effectuées auprès de la société GBI Conseils, lesquelles sont bien nécessaires contrairement à ce qu'estime l'administration, seul un bénéfice de 10 000 euros aurait pu être imposé.
Par un mémoire enregistré le 12 mai 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention entre la France et le Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 1er avril 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Agnel ;
- et les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. L'EURL Big Property, dont M. A... est le gérant et dont le capital est intégralement détenu par la société Imoclaire, dans le capital de laquelle M. et Mme A... détiennent 100 % des actions, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au cours de laquelle l'administration fiscale a constaté qu'une société SARL El Lux, établie au Luxembourg, dont M. A... était également le dirigeant, lui avait facturé, au cours de l'année 2016, des prestations de services en matière d'urbanisme. Estimant que ces prestations avaient été réalisées personnellement par M. A..., d'une part dans une proportion de 85 % des honoraires facturés, et par Mme A..., d'autre part dans une proportion de 15 %, sans intervention propre de la SARL El Lux, le service a porté à leur connaissance, par des propositions de rectification des 1er et 4 juin 2018, qu'il envisageait de mettre en œuvre les dispositions de l'article 155 A du code général des impôts afin de les imposer sur ces sommes dans la catégorie des bénéfices non commerciaux selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales. Ce rehaussement a été refusé par les contribuables et le service a maintenu sa position dans des lettres de réponse à leurs observations du 18 septembre 2018 ainsi qu'à la suite d'une entrevue avec le supérieur hiérarchique. Par avis du 4 mars 2019, la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires s'est déclarée incompétente. Le supplément d'impôt sur le revenu et les majorations ont été mis en recouvrement au cours de l'année 2020 et les réclamations préalables de M. et Mme A... ont été rejetées par décisions du 11 mai 2021. M. et Mme A... relèvent appel des jugements du 19 septembre 2022 par lesquels le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à la décharge, en droits et pénalités, de cette imposition supplémentaire.
2. Aux termes de l'article 155 A du code général des impôts : " I. Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services (...)/ II. Les règles prévues au I ci-dessus sont également applicables aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France. / III. La personne qui perçoit la rémunération des services est solidairement responsable, à hauteur de cette rémunération, des impositions dues par la personne qui les rend ". Les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte.
3. Les dispositions ci-dessus reproduites ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de sa décision no 2010-70 QPC du 26 novembre 2010, sous la réserve que " dans le cas où la personne domiciliée ou établie à l'étranger reverse en France au contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations réalisées par ce dernier, [ces dispositions ne conduisent pas] à que ce contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d'un même impôt ".
4. L'administration fiscale apporte la preuve que des sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières en vertu du I de l'article 155 A du CGI par la production d'éléments attestant que ces personnes ont réalisé les prestations de services en cause et qu'elles contrôlent la personne qui perçoit la rémunération de ces services. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable d'apporter des éléments permettant d'établir que la facturation de ces prestations par la société établie hors de France aurait trouvé une contrepartie réelle dans une intervention qui lui aurait été propre et de regarder le service ainsi rendu comme l'ayant été pour son compte.
5. Pour imposer entre les mains de M. et Mme A..., résidents de France au cours des années litigieuses, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, les sommes correspondant aux prestations de services facturées au cours de l'année 2016 par la société El Lux à la société Big Property, le service a relevé que ces deux sociétés avaient conclu en 2014 et 2015 deux conventions de prestations de services par lesquelles la première s'engageait à réaliser, pour le compte de la seconde, les formalités d'urbanisme nécessaires à la réalisation de deux opérations de construction-vente d'immeubles dans les territoire des communes de Lessy et Metz, à obtenir les financements auprès des établissements bancaires et à procéder à la commercialisation des lots. L'administration a ainsi constaté qu'au cours de l'année 2016 la société El Lux avait facturé à la société Big Property une somme de 280 000 euros pour la réalisation de l'opération de Metz. Interrogée le 17 octobre 2017 sur ces honoraires, la société Big Property a précisé par lettre du 5 décembre 2017 que les personnes ayant réalisé les prestations correspondant aux démarches administratives et d'urbanisme, au montage du financement et à la commercialisation des lots étaient M. B... A... à hauteur de 85 % et Mme C... A... à hauteur de 15 %. Par ces éléments, l'administration doit être regardée comme ayant apporté la preuve que ces prestations réalisées en France avaient été fournies personnellement par M. et Mme A..., sans intervention propre de la société El Lux, laquelle n'exerçait pas une activité industrielle et commerciale autre que la prestation de services et se trouvait sous le contrôle de M. A....
6. Afin de remettre en cause ces éléments, tant M. A... que Mme A... soutiennent qu'ils ne contrôlent pas la société El Lux dès lors qu'ils ne détiennent chacun que 10 % des parts sociales de cette société. Il ressort toutefois des propositions de rectification qu'afin de mettre en œuvre les dispositions de l'article 155 A du code général des impôts à l'égard de chacun des contribuables, l'administration s'est fondée sur la circonstance que la société El Lux n'exerçait pas une activité industrielle et commerciale autre que la prestation de services. Il résulte de l'instruction que la société El Lux a effectivement une activité d'agent immobilier, administrateur de biens, syndic de copropriété et de promotion immobilière. Par suite, le service a pu se fonder sur cette seule circonstance afin de mettre en œuvre le dispositif de l'article 155 A du code général des impôts. Il résulte de surcroit de l'instruction que M. A... est le gérant de la société El Lux qu'il représente auprès des tiers et qu'il engage par sa signature. La société El Lux se revendique au demeurant comme appartenant au groupe de société dirigé par la société Imoclaire, appartenant à M. A..., comprenant également la société Big Property, ainsi qu'en attestent les copies de factures qu'elle établit figurant aux dossiers. Dans ces conditions, M. A... doit être regardé comme contrôlant la société El Lux au sens des dispositions ci-dessus reproduites de l'article 155 A du code général des impôts, en dépit de sa faible participation personnelle dans son capital, et l'administration a pu ainsi à juste titre se fonder également sur cette circonstance afin, en ce qui le concerne, de mettre en œuvre ces dispositions.
7. Si M. et Mme A... soutiennent que les prestations litigieuses auraient été en réalité effectuées par la société El Lux par le recours à la sous-traitance d'une société GBI Conseil, laquelle lui aurait facturé des honoraires à ce titre, les contribuables n'établissent pas la réalité de l'intervention de cette société, filiale de la société Imoclaire, à laquelle la lettre de la société Big Property du 5 décembre 2017, ci-dessus évoquée, ne fait aucunement allusion. Il en résulte que c'est à juste titre que l'administration a estimé que la société El Lux n'avait eu aucune intervention propre dans la réalisation des prestations fournies par M. et Mme A....
8. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la preuve d'une intervention de la société GBI Conseil dans la fourniture des prestations relatives à l'opération immobilière réalisée par la société Big Property à Metz n'est pas rapportée. Par suite, en tout état de cause, les époux A... ne sont pas fondés à soutenir que les honoraires litigieux auraient déjà été imposés à hauteur de 270 000 euros entre les mains de la société GBI Conseil.
9. En l'absence de toute démonstration d'une intervention de la société GBI Conseil dans la fourniture des prestations litigieuses, les époux A..., à qui incombe la charge de la preuve de la nécessité des dépenses qu'ils auraient exposées pour l'exercice de leur activité non commerciale, conformément à l'article 93 du code général des impôts, ne sont pas davantage fondés à demander que la somme de 270 000 euros soit admise en déduction de leurs bénéfices imposables.
10. La mise en œuvre des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts n'est pas subordonnée à la preuve par l'administration d'un procédé de fraude. Il résulte par ailleurs de ce qui précède que l'administration ayant légalement établi les impositions litigieuses, les époux A... ne sauraient utilement invoquer la méconnaissance d'un prétendu principe d'application mesurée de la loi fiscale.
11. Enfin, M. et Mme A... invoquent, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, l'instruction exprimée sous la référence BOI-IR-DOMIC-30 n° 140, publiée le 12 septembre 2012, aux termes de laquelle " Par mesure de tempérament, il n'y a pas lieu en principe d'appliquer le texte de l'article 155 A du CGI lorsque la réalité des services rendus par une personne morale étrangère est établie de façon indiscutable, notamment dans le cadre d'une activité de cabinet (expertise comptable, ingénieur conseil, conseil juridique ou comptable, courtage d'assurances, etc.). Cette mesure de tempérament doit cependant être refusée aux personnes morales : - établies dans un pays à régime fiscal privilégié ; - ou qui sont contrôlées par le prestataire de services (cf. § 90) lorsque ce dernier est domicilié en France ". Cette instruction ne fait toutefois de la loi fiscale aucune interprétation différente de celle dont il a été fait application ci-dessus. En tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, que la facturation par la société El Lux des honoraires litigieux ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière. Par suite, les époux A... ne sont pas fondés à soutenir, sur le terrain de la doctrine administrative, que la société El Lux n'aurait pas une activité de prestation de services.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes. Par suite, leurs requêtes doivent être rejetées en toutes leurs conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes ci-dessus visées de M. et Mme A... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., M. B... A... et au ministre du budget et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : M. AgnelLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre du budget et des comptes publics ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N°s 22NC02815 et 22NC02816
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