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05/12/2024 | FRANCE | N°22NC02536

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 05 décembre 2024, 22NC02536


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du supplément d'impôt sur le revenu qui lui a été assigné au titre de l'année 2013.



Par un jugement n° 2006211 du 21 juin 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a intégralement fait droit à la demande.



Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et péna

lités, du supplément d'impôt sur le revenu qui lui a été assigné au titre de l'année 2012.



Par un jugeme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du supplément d'impôt sur le revenu qui lui a été assigné au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 2006211 du 21 juin 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a intégralement fait droit à la demande.

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du supplément d'impôt sur le revenu qui lui a été assigné au titre de l'année 2012.

Par un jugement n° 2004890 du 21 juin 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a intégralement fait droit à la demande.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 14 octobre 2022, sous le numéro 22NC02536, et un mémoire enregistré le 17 juillet 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2006211 ;

2°) de rétablir à la charge de Mme C... les impositions et majorations que le tribunal administratif a déchargées.

Il soutient que :

- les pièces produites justifient que l'imposition a été établie par un agent compétent au sens de l'article 1658 du code général des impôts ;

- les documents non transmis au contribuable n'ont pas servi à fonder les rectifications ou étaient déjà en sa possession lorsqu'il a fait sa demande de sorte que l'article L. 76 du livre des procédures fiscales n'a pas été méconnu ;

- les résultats de la vérification d'une autre société ne sauraient lui être opposés dans le présent litige ;

- les prestations facturées par la société LSP ont en réalité été personnellement fournies par M. C..., sans intervention propre de cette société, de sorte que l'article 155 A du code général des impôts a pu valablement être mis en œuvre sans que l'avis de la commission des impôts directs dans le cadre de la vérification de la société Le République puisse y faire obstacle ;

- l'activité de M. C... n'a jamais été imposée au Luxembourg.

Par des mémoires enregistrés les 13, 14 et 23 juillet 2024, Mme C..., représentée par Me Freulet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le service a méconnu la garantie de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales en ce qu'il ne lui a pas transmis, en dépit de sa demande, copie des documents, ayant servi à fonder les rectifications, à savoir ceux obtenus auprès de la société Le République dans le cadre de sa vérification de comptabilité, ceux communiqués par la société LSP et ceux obtenus dans le cadre de l'assistance internationale des 4 octobre 2012 et 31 mars 2014 ;

- l'administration ne rapporte pas la preuve que les conditions d'application de l'article 155 A du code général des impôts en s'abstenant d'établir que la société LSP serait établie au Luxembourg, qu'elle serait contrôlée par M. C... et qu'elle aurait une activité de services ; en tout état de cause, la preuve de l'intervention propre de la société LSP pour les prestations qu'elle a facturées est apportée ;

- en l'occurrence la mise en œuvre du dispositif de l'article 155 A fait obstacle au principe de liberté d'établissement garanti par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- ils ont été imposés à l'impôt sur le revenu au Luxembourg au titre des années d'imposition litigieuses et au titre de l'activité de la société LSP ; en conséquence l'imposition en France de ces mêmes sommes en application de l'article 155 A du code général des impôts constitue une double imposition prohibée par le Conseil Constitutionnel ;

- subsidiairement, ne seraient imposables que les sommes correspondant au chiffre d'affaires de LSP rattachable à l'activité personnelle de M. C... et non pas aux autres activités de cette société dans laquelle il n'avait eu aucune part ; le revenu imposable serait alors de 77 692,40 euros en 2012 et de 128 444,17 euros en 2013.

II) Par une requête enregistrée le 14 octobre 2022, sous le numéro 22NC02537, et un mémoire enregistré le 17 juillet 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2004890 ;

2°) de rétablir à la charge de Mme C... les impositions et majorations que le tribunal administratif a déchargées.

Il soutient que :

- les pièces produites justifient que l'imposition a été établie par un agent compétent au sens de l'article 1658 du code général des impôts ;

- les documents non transmis au contribuable n'ont pas servi à fonder les rectifications ou étaient déjà en sa possession lorsqu'il a fait sa demande de sorte que l'article L. 76 du livre des procédures fiscales n'a pas été méconnu ;

- les résultats de la vérification de la société Clos de la Chèneraie ne sauraient lui être opposés dans le présent litige ;

- les prestations facturées par la société LSP ont en réalité été personnellement fournies par M. C..., sans intervention propre de cette société, de sorte que l'article 155 A du code général des impôts a pu valablement être mis en œuvre sans que l'avis de la commission des impôts directs dans le cadre de la vérification de la société Le République puisse y faire obstacle ;

- l'activité de M. C... n'a jamais été imposée au Luxembourg.

Par des mémoires enregistrés les 12, 14 et 23 juillet 2024, Mme C..., représentée par Me Freulet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le service a méconnu la garantie de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales en ce qu'il ne lui a pas transmis, en dépit de sa demande, copie des documents, ayant servi à fonder les rectifications, à savoir ceux obtenus auprès de la société Le République dans le cadre de sa vérification de comptabilité, ceux communiqués par la société LSP et ceux obtenus dans le cadre de l'assistance internationale des 4 octobre 2012 et 31 mars 2014 ;

- l'administration ne rapporte pas la preuve que les conditions d'application de l'article 155 A du code général des impôts en s'abstenant d'établir que la société LSP serait établie au Luxembourg, qu'elle serait contrôlée par M. C... et qu'elle aurait une activité de services ; en tout état de cause, la preuve de l'intervention propre de la société LSP pour les prestations qu'elle a facturées est apportée ;

- en l'occurrence la mise en œuvre du dispositif de l'article 155 A fait obstacle au principe de liberté d'établissement garanti par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- ils ont été imposés à l'impôt sur le revenu au Luxembourg au titre des années d'imposition litigieuses et au titre de l'activité de la société LSP ; en conséquence l'imposition en France de ces mêmes sommes en application de l'article 155 A du code général des impôts constitue une double imposition prohibée par le Conseil Constitutionnel ;

- subsidiairement, ne seraient imposables que les sommes correspondant au chiffre d'affaires de LSP rattachable à l'activité personnelle de M. C... et non pas aux autres activités de cette société dans laquelle il n'avait eu aucune part ; le revenu imposable serait alors de 77 692,40 euros en 2012 et de 128 444,17 euros en 2013.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la constitution ;

- la convention entre la France et le Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 1er avril 1958 et modifiée par l'avenant du 8 septembre 1970 ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Agnel ;

- et les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile de construction vente (SCCV) Le République, ayant pour objet la réalisation d'un programme immobilier à Blénod-lès-Pont-à-Mousson, dont les bénéfices sont imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et le chiffre d'affaires taxable à la taxe sur la valeur ajoutée, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2013. Au cours de cette opération de contrôle, l'administration a constaté qu'une société de droit luxembourgeois, la SA C... B... Promotion (LSP), avait facturé à la SCCV Le République des honoraires sur la base d'une convention de prestations de services en matière commerciale, de gestion et de montages d'opérations immobilières, conclue le 2 novembre 2011. Après avoir constaté que la société LSP était dirigée par M. B... C..., depuis décédé, qui était également le dirigeant de la SCCV Le République, le service, ayant estimé que ces prestations de services avaient été personnellement rendues par ce dernier, sans intervention propre de la société LSP, a alors décidé de mettre en œuvre les dispositions de l'article 155 A du code général des impôts afin d'imposer M. et Mme C... sur le montant de ces honoraires dans la catégorie des traitements et salaires. L'administration a porté à la connaissance des contribuables ces rehaussements de leurs revenus imposables par deux propositions de rectifications du 28 juillet 2014 notifiées dans le cadre de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales. Les contribuables ayant refusé ces rectifications, elles ont été confirmées par le service par lettres du 13 novembre 2014. Les impositions supplémentaires assorties des majorations pour manquement délibéré ont été mises en recouvrement au cours de l'année 2016 et les réclamations préalables des contribuables ont été rejetées par décisions des 9 juin et 6 août 2020. Par les deux requêtes ci-dessus visées, qu'il y a lieu de joindre afin de statuer par un seul arrêt, le ministre du budget et des comptes publics relève appel des jugements du 21 juin 2022 par lesquels le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé la décharge de ces impositions et majorations.

Sur le motif de décharge retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article 1658 du code général des impôts : " Les impôts directs et les taxes y assimilées sont recouvrés en vertu de rôles rendus exécutoires par arrêté du préfet ou d'avis de mise en recouvrement. / Pour l'application de la procédure de recouvrement par voie de rôle prévue au premier alinéa, le représentant de l'Etat dans le département peut déléguer ses pouvoirs aux agents de catégorie A désignés par le responsable départemental des finances publiques et détenant au moins un grade fixé par décret en Conseil d'Etat. La publicité de ces délégations est assurée par la publication des arrêtés de délégation au recueil des actes administratifs de la préfecture ".

3. Il ressort des pièces produites pour la première fois en appel par le ministre du budget et des comptes publics que les rôles d'imposition supplémentaires litigieux au titre des années 2012 et 2013 avaient été rendus exécutoires par un administrateur des finances publiques ayant reçu délégation à cet effet par le préfet du Bas-Rhin, délégation, de caractère réglementaire, du 3 août 2015 ayant été régulièrement publiée au recueil des actes administratif du département. Par suite, le ministre du budget et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort qu'afin de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions litigieuses, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Strasbourg s'est fondé sur le motif tiré de ce que les rôles supplémentaires litigieux n'avaient pas légalement été rendus exécutoires.

4. Il appartient à cette cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel de l'ensemble du litige d'examiner les autres moyens invoqués par Mme C... à l'appui de ses demandes.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

5. Les impositions litigieuses ayant été établie à la suite d'un contrôle sur pièces, Mme C... ne saurait utilement soutenir avoir été privée de la possibilité d'un débat oral et contradictoire avec l'agent ayant procédé au contrôle, cette garantie n'étant pas applicable dans un tel cas.

6. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au présent litige : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Toutefois, l'obligation qui lui est ensuite faite de tenir à la disposition du contribuable qui les demande ou de lui communiquer, avant la mise en recouvrement des impositions, les documents ou copies de documents contenant les renseignements qu'elle a utilisés pour procéder aux redressements ne peut porter que sur les documents effectivement détenus par les services fiscaux. Dans l'hypothèse où les documents que le contribuable demande à examiner sont détenus non par l'administration fiscale, qui les a seulement consultés à l'occasion d'une vérification de comptabilité concernant une autre société, mais par cette dernière, il appartient à l'administration fiscale, d'une part, d'en informer l'intéressé afin de le mettre en mesure d'en demander communication à ce tiers et, d'autre part, de porter à sa connaissance l'ensemble des renseignements fondant l'imposition recueillis à l'occasion de la vérification de comptabilité de cette autre société. Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée. Il en va autrement s'agissant des documents et renseignements qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles au contribuable dans les mêmes conditions qu'à l'administration. Dans cette dernière hypothèse, si le contribuable établit qu'il ne peut avoir effectivement accès aux mêmes documents et renseignements que ceux détenus par l'administration, celle-ci est alors tenue de les lui communiquer.

7. Il ressort des propositions de rectifications du 28 juillet 2014 que le service a informé les contribuables qu'il avait exercé son droit de communication auprès de Meurthe-et-Moselle Habitat, client de la SCCV Le République duquel il avait obtenu des pièces relatives à la réalisation de travaux de construction, ainsi qu'auprès des autorités luxembourgeoises, dans le cadre de l'assistance administrative internationale les 4 octobre 2012 et 25 juin 2014, et avait obtenu en retour une copie de la convention de prestations de services conclue entre la SA LSP et la SCCV Le République ainsi que les comptes de résultats de la société LSP. Il ressort de ces mêmes propositions de rectification que le service a indiqué de manière exhaustive la nature et la teneur des renseignements qu'elle avait obtenus dans le cadre de la vérification de comptabilité de la société Le République. Il résulte ainsi des propositions de rectification que le service a indiqué aux contribuables la nature et la teneur des renseignements et documents obtenus des tiers sur lesquels il a entendu fonder les rectifications litigieuses.

8. Par lettres du 17 septembre 2014, en réponse à des courriers des contribuables du 18 août précédent, lui demandant " copie des éléments obtenus des tiers sur lesquels vous vous basez pour établir les impositions ", sans autre précision, l'administration a communiqué la copie des documents obtenus de la société Meurthe-et-Moselle Habitat. Si la requérante soutient que l'administration ne lui a pas communiqué, en dépit de ces demandes, les documents obtenus dans le cadre de l'assistance administrative internationale, il résulte de l'instruction que M. B... C... était le dirigeant statutaire des sociétés Le République et LSP, que les comptes de résultats de la société LSP sont publics et accessibles librement et qu'il n'est pas soutenu que M. C... n'aurait pas pu avoir accès, compte tenu de sa qualité, à la convention de prestations de services conclue entre les deux sociétés ou aux comptes de la société LSP. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que le service détenait des documents provenant de la société LSP en dehors de ceux analysés ci-dessus, sur lesquels il aurait fondé les rectifications litigieuses. Enfin, compte tenu des indications du service, les contribuables étaient en mesure de s'adresser à la société le République afin de consulter les documents correspondant aux renseignements analysés dans les propositions de rectification. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la garantie de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales aurait été méconnue.

Sur le bien-fondé des impositions :

9. Aux termes de l'article 155 A du code général des impôts : " I. Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services (...)/ II. Les règles prévues au I ci-dessus sont également applicables aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France. / III. La personne qui perçoit la rémunération des services est solidairement responsable, à hauteur de cette rémunération, des impositions dues par la personne qui les rend ". Les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte. Ces dispositions ne dispensent pas l'administration, pour soumettre cette rémunération à l'impôt sur le revenu entre les mains de la personne ayant rendu les services, de faire application des règles de taxation relatives à la catégorie de revenus dont elle relève. La détermination de cette catégorie ne saurait dépendre que de l'analyse des relations existant entre la personne qui a rendu pour l'essentiel les services facturés et le bénéficiaire de ces services.

10. Les dispositions ci-dessus reproduites ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de sa décision no 2010-70 QPC du 26 novembre 2010, sous la réserve que " dans le cas où la personne domiciliée ou établie à l'étranger reverse en France au contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations réalisées par ce dernier, [ces dispositions ne conduisent pas] à que ce contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d'un même impôt ".

11. L'administration fiscale apporte la preuve que des sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières en vertu du I de l'article 155 A du CGI par la production d'éléments attestant que ces personnes ont réalisé les prestations de services en cause et qu'elles contrôlent la personne qui perçoit la rémunération de ces services. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable d'apporter des éléments permettant d'établir que la facturation de ces prestations par la société établie hors de France aurait trouvé une contrepartie réelle dans une intervention qui lui aurait été propre et de regarder le service ainsi rendu comme l'ayant été pour son compte.

12. Pour imposer entre les mains de M. et Mme C..., résidents de France au cours des années litigieuses, les sommes correspondant aux prestations facturées par la société de droit luxembourgeois C... B... Promotion (LSP) à la société française SCCV Le République, dont M. C... était le dirigeant de droit non rémunéré, à raison de prestations de services en matière de gestion administrative, budgétaire et comptable, commerciale et de promotion immobilière, l'administration fiscale a relevé que la société LSP, ayant pour seul client la société Le République - dont elle détenait au demeurant l'intégralité de son capital pour devenir ensuite son associée unique lorsqu'elle s'est transformée en société par actions simplifiée à compter du 6 septembre 2013 - avec laquelle elle réalisait l'intégralité de son chiffre d'affaires, était contrôlée par M. C..., qui en était le dirigeant statutaire et en détenait 85 % du capital social au cours de la période litigieuse. L'administration fiscale a également relevé que la société LSP n'avait qu'une seule salariée, Mme C..., et ne disposait pas sur place des moyens nécessaires à la réalisation des prestations facturées, lesquelles ont été intégralement fournies en France personnellement par M. C... au sein de la société Le République, afin de permettre à cette dernière l'exercice de son activité de promotion immobilière, en l'occurrence la réalisation du programme immobilier dénommé " Le Clos Saint-Martin ". Contrairement à ce que soutient la requérante, l'administration a, par ces éléments, rapporté la preuve que les prestations payées par la société Le République avaient été personnellement fournies par M. C... qui contrôlait la société LSP, laquelle avait facturé ces prestations. Contrairement à ce que soutient également la requérante, la société LSP est établie au Luxembourg et était dirigée et contrôlée par M. C... B... ainsi qu'il résulte sans équivoque des pièces produites par la requérante elle-même. Dans ces conditions, l'administration n'avait pas à rechercher en outre, si la société LSP exerçait de manière prépondérante une activité industrielle ou commerciale.

13. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que M. C..., dirigeant de droit de la société Le République au cours de la période litigieuse, a personnellement fourni l'ensemble des prestations prévues par la convention du 2 novembre 2011 conclue avec la société LSP, pour les besoins de son activité de promotion immobilière, ayant donné lieu aux rémunérations litigieuses. Compte tenu de leur nature, ces prestations se rattachent à l'exercice des fonctions de dirigeant de la société Le République par M. C..., fonctions comprenant nécessairement la direction opérationnelle de la société. C'est dès lors à juste titre que l'administration a taxé ces sommes dans la catégorie des traitements et salaires. C'est tout aussi à juste titre, en conséquence, que l'administration a renoncé à réintégrer ces sommes dans le bénéfice imposable de la société Le République ce qui aurait conduit à les taxer entre les mains de M. et Mme C... dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux puis dans celle des revenus de capitaux mobiliers à compter du 6 septembre 2013. Par suite, la requérante ne rapporte pas la preuve que la facturation de ces prestations par la société LSP aurait trouvé une contrepartie réelle dans une intervention qui aurait été propre à cette dernière, en se bornant à faire état de l'abandon par l'administration de la réintégration de ces sommes dans les bénéfices imposables de la société Le République. La circonstance que la société Le République, à l'instar de toutes les sociétés de construction-vente, ne disposait d'aucun moyen en personnel pour exercer son activité, ne fait qu'attester du rôle personnel déterminant de M. C... à cet égard et n'a pas pour effet d'établir celui de la société LSP. Enfin, la mise à disposition de la société Le République au Luxembourg d'une boîte aux lettres et la réalisation sur place de tâches de secrétariat n'ont pas pour effet d'établir une intervention propre significative de la société LSP dans la fourniture des prestations réalisées par M. C... au sens des règles ci-dessus rappelées.

14. Mme C... se prévaut de l'atteinte à la liberté de s'établir dans un autre Etat membre ainsi qu'au principe de liberté des prestations de services, qui résulteraient des dispositions précitées de l'article 155 A du code général des impôts. Mais, les dispositions en question visent uniquement l'imposition des services essentiellement rendus par une personne établie ou domiciliée en France et ne trouvant aucune contrepartie réelle dans une intervention propre d'une personne établie ou domiciliée hors de France dans un autre Etat membre de l'Union européenne. En l'absence d'une telle contrepartie permettant de regarder les services concernés comme rendus pour le compte de cette dernière personne, sa liberté de s'établir hors de France et de fournir à partir de cet Etat membre des prestations de service en France ne saurait être entravée du fait de ces dispositions. Par suite, le moyen invoqué de ce chef ne peut qu'être écarté.

15. Mme C... produit pour la première fois en appel, plusieurs années après les opérations de contrôle fiscal, des copies d'avis d'imposition émanant de l'administration fiscale luxembourgeoise faisant état d'une imposition à l'impôt sur le revenu dans cet Etat à raison de l'exercice d'une activité salariée au cours des années litigieuses dont elle soutient qu'ils concernent la taxation des prestations réalisées par M. C... pour le compte de la société LSP au profit de la société Le République, conduisant ainsi, selon la requérante, à une double taxation des sommes litigieuses. Il résulte toutefois des règles rappelées au point 10 ci-dessus qu'une telle circonstance ne saurait faire obstacle à l'application de l'article 155 A du code général des impôts. En tout état de cause, un examen de ces documents conduit en réalité à considérer qu'ils portent sur l'imposition des salaires perçus par Mme C... en sa qualité de salariée de la société LSP. Ces revenus et cette imposition au Luxembourg sont, dès lors, sans rapport avec la taxation des sommes litigieuses.

16. Mme C... demande à titre subsidiaire que les traitements et salaires litigieux soient limités aux sommes de 77 692,40 euros au titre de l'année 2012 et 128 444,17 euros au titre de l'année 2013 correspondant, selon elle, aux prestations personnellement fournies par M. C... à l'exclusion des " autres produits ou services vendus/rendus par LSP SA ", sans autre précision utile. Il résulte, toutefois, de ce qui a été dit ci-dessus que l'administration s'est bornée à imposer M. C... sur les sommes facturées à la société Le République pour les prestations qu'il avait personnellement rendues tandis que la SA LSP n'a pas eu de rôle significatif dans la réalisation de ces mêmes prestations. Dans ces conditions, les impositions litigieuses ne portent pas sur d'autres prestations de la société LSP que M. C... n'aurait pas fournies.

17. Enfin, Mme C... ne saurait utilement se prévaloir de ce que, dans le cadre de la vérification d'une autre société de construction-vente, également contrôlée par la SA LSP et dirigée par M. C..., l'administration n'aurait pas mis en œuvre l'article 155 A du code général des impôts dans des circonstances selon elle identiques, une telle circonstance ne pouvant constituer, en tout état de cause, une prise de position formelle sur une question de fait au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales. La requérante ne saurait pas davantage se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, de la décision par laquelle l'administration a prononcé la décharge des impositions assignées à la société Le République à la suite de l'abandon des rehaussements consécutifs à la réintégration dans ses bénéfices des honoraires facturés par la société LSP.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre chargé du budget et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg, par les jugements attaqués, a fait droit aux demandes de Mme C.... Il est par suite fondé à demander l'annulation de ces jugements et le rétablissement des impositions et majorations litigieuses à la charge de Mme C.... Par ailleurs, l'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative conduisent également à rejeter les conclusions de Mme C... présentées sur ce fondement.

D E C I D E :

Article 1er : Les jugements du tribunal administratif de Strasbourg du 21 juin 2022, ci-dessus visés, sont annulés.

Article 2 : Les impositions et majorations dont les jugements ci-dessus visés à l'article 1er ont prononcé la décharge, sont rétablies à la charge de Mme C....

Article 3 : Les conclusions de Mme C... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre du budget et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre du budget et des comptes publics ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N°s 22NC02536 et 22NC02537

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02536
Date de la décision : 05/12/2024
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : FREULET

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-05;22nc02536 ?
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