Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Foot Locker France a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 18 février 2020 par laquelle l'inspectrice du travail de la section 20 de l'unité départementale de la Marne a refusé d'autoriser le licenciement pour faute de M. C... D... ainsi que la décision du 30 novembre 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté son recours hiérarchique.
E... un jugement n° 2100201 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
E... une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 3 juin 2022 et le 21 octobre 2024, la société Foot Locker France, représentée par Me Beddouk, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er avril 2022 ;
2°) d'annuler la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 30 novembre 2020 ayant confirmé la décision de l'inspectrice du travail portant refus d'autorisation de licenciement ;
3°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 18 février 2020.
Elle soutient que :
- c'est à tort que l'administration et les premiers juges ont estimé qu'un licenciement pour faute aurait constitué une double sanction au motif que la notification d'un écart de conduite à M. D... le 2 décembre 2019 correspondait déjà à une sanction disciplinaire ; un tel écart de conduite ne peut être regardé comme un avertissement dès lors qu'il ne fait pas partie de l'échelle des sanctions prévue à l'article 15.2 du règlement intérieur de la société Foot Locker ; la définition de l'écart de conduite a été donnée dans le bulletin des ressources humaines de janvier 2016 qui indique qu'il " n'est pas considéré comme du disciplinaire " mais qu'il s'agit d'un acte managérial qui permet de formaliser par écrit des faits relatifs notamment à une mauvaise conduite ;
- c'est à tort que les premiers juges ont indiqué que le formulaire d'écart de conduite a été envoyé au pôle régional des ressources humaines dès lors qu'elle n'en a eu connaissance que dans le cadre de l'enquête contradictoire par le courrier du 30 janvier 2020 de l'inspectrice du travail ; elle n'en avait pas connaissance lorsqu'elle a engagé la procédure de licenciement à l'encontre de l'intéressé ni lorsqu'elle consulté le comité social et économique ;
- les premiers juges ont estimé à tort que la circonstance qu'un directeur de magasin ne soit pas délégataire du pouvoir disciplinaire est sans incidence sur la sanction au regard de l'article L. 1113-1 du code du travail qui ne peut être notifiée que par l'employeur, en l'occurrence la direction des ressources humaines de la société Foot Locker ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'obligation de suivre une formation constitue une sanction disciplinaire ;
- les faits, qui ne correspondent pas à des " chamailleries " mais à des actes de violence physique, étaient d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M. D..., comme l'atteste la vidéo produite issue du système de vidéo-surveillance du magasin de Reims, autorisé par l'arrêté préfectoral du 24 septembre 2012 et mentionné dans le document unique d'évaluation des risques soumis tous les ans à la consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ; le fait que les salariés utilisent le bureau du directeur du magasin comme vestiaire ne suffit pas à rendre illicite la présence d'une caméra ; les membres de la commission d'enquête ont conclu que les déclarations des salariés du magasin ne correspondaient pas à la violence de l'altercation entre M. D... et M. A... et qu'elles avaient pu être faites sous la menace ;
- l'inspectrice du travail ne pouvait pas motiver sa décision de refus par une surcharge exceptionnelle de travail de M. D... ainsi que par un prétendu non-respect de la durée quotidienne et hebdomadaire du travail dès lors que le jour de l'altercation, le samedi 30 novembre 2019, l'intéressé a travaillé 8,27 heures, ce qui est légal et ne saurait justifier les faits de violence ; les dépassements d'horaires de M. D... pour les mois de novembre et décembre 2019 sont uniquement liés à son activité de représentant du personnel et à ses fréquents déplacements ; à les supposer mêmes avérés, ces dépassements ne pourraient justifier le comportement violent du salarié, précision faite que la semaine du 30 novembre 2019, il n'a été présent en magasin que 22,32 heures ;
- la cour d'appel de Reims, par un arrêt définitif du 29 juin 2022, a considéré que le licenciement de M. A... repose sur une cause réelle et sérieuse en retenant que ni l'écart de conduite ni le training n'étaient une sanction car ils ne figurent pas dans l'échelle des sanctions et que la société Foot Locker n'avait pas épuisé son pouvoir disciplinaire dès lors que le directeur d'un magasin n'est pas détenteur du pouvoir disciplinaire.
E... un mémoire en défense, enregistré le 20 septembre 2022, M. D..., représenté par Me Denjean De Benaze, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Foot Locker sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Foot Locker ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Laurence Stenger, première conseillère,
- les conclusions de Mme Cyrielle Mosser rapporteure publique,
- et les observations de Me Beddouk pour la société Foot Locker.
Considérant ce qui suit :
1. Le 3 janvier 2020, la société Foot Locker France, spécialisée dans la vente de vêtements de sport, a sollicité l'autorisation de licencier pour faute disciplinaire M. C... D..., employé en qualité de vendeur au sein du magasin situé 16, place Myron Herrick à Reims et exerçant le mandat de membre suppléant du comité social et économique. E... une décision du 18 février 2020, l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. D... après avoir estimé qu'il avait déjà fait l'objet d'une sanction. E... une décision du 30 novembre 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté le recours hiérarchique exercé par la société requérante en application de l'article R. 2422-1 du code du travail et a confirmé que les faits reprochés à ce dernier ayant déjà été sanctionnés, " ils ne peuvent plus justifier un licenciement, l'employeur ayant épuisé son pouvoir disciplinaire ". La société Foot Locker relève appel du jugement du 1er avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces deux décisions.
Sur la légalité des décisions des 18 février et 30 novembre 2020 :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1331-1 du code du travail : " constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ".
3. Il résulte de l'instruction que le 30 novembre 2019, vers 18 heures 50, une dispute a éclaté entre M. D... et son supérieur hiérarchique, M. B..., d'abord au sein de la surface de vente du magasin rémois de la société Foot Locker France puis dans le bureau du directeur de l'enseigne. A la suite de cette altercation, le directeur du magasin Foot Locker de Reims a remis à M. D..., le 2 décembre 2019, un document intitulé " formulaire de notification d'écart de conduite et/ou d'insuffisance de résultats ". Ce document, qui mentionne la date de l'incident et la date de notification, indique également à la rubrique " Donner des exemples observés précis de manquements " que les deux protagonistes " se chamaillent un peu violement par terre le samedi 30 novembre 2019 " et à la rubrique " Exposé précis et détaillé des résultats attendus et des normes de la société " qu'il s'agit d'un " comportement à ne plus reproduire en magasin ou dans les locaux ". Il est également mentionné dans ce formulaire qu'une " sanction donnée d'un training et d'un écart de conduite pour que cela ne se reproduise plus " est infligée à M. D.... Il est enfin expressément indiqué en bas de ce formulaire que : " toute absence d'amélioration des résultats peut entraîner une mesure disciplinaire, pouvant aller jusqu'au licenciement ", que l'original " doit être classé dans le dossier du salarié (magasin) " et que copie doit être adressée au service régional des ressources humaines.
4. Ainsi que l'a estimé la ministre du travail, de l'emploi et de la solidarité, ces mentions et la circonstance que l'original du " formulaire de notification d'écart " soit classé dans le dossier du salarié et transmis au service régional des ressources humaines démontrent que ce document correspond à un avertissement, tel qu'il est d'ailleurs prévu à l'article 15.2 du règlement intérieur de la société footlocker qui prévoit qu'un " avertissement écrit versé au dossier du collaborateur, attirant son attention sur ses manquements ou ses agissements ". Ainsi, en l'espèce, ce document écrit, classé dans le dossier du salarié, doit être regardé comme une sanction au sens de l'article L. 1331-1 du code du travail dès lors qu'il intervient à la suite d'un agissement du salarié considéré par son employeur comme fautif et que cette mesure est de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. A cet égard, et comme l'ont estimé les premiers juges, les circonstances que le " formulaire de notification d'écart " ne figure pas expressément dans l'échelle des sanctions disciplinaires prévue à l'article 15.2 précité du règlement intérieur et que le bulletin des ressources humaines de janvier 2016 identifie ce document comme " un acte managérial qui permet de formaliser par écrit des faits relatifs à une mauvaise conduite ", adressé au salarié en dehors de toute procédure disciplinaire, sont sans incidence sur la qualification juridique du formulaire d'écart de conduite infligé à M. D... qui présente les caractéristiques d'un avertissement. De même, les circonstances que le directeur du magasin ne détient aucun pouvoir disciplinaire et qu'il n'aurait pas transmis le document en litige au service des ressources humaines régional sont sans incidence sur la qualification de la mesure qu'il a prise le 2 décembre 2019, au regard de l'article L. 1331-1 du code du travail précité. A cet égard, la société requérante ne saurait se prévaloir de l' autorité de la chose jugée par la cour d'appel de Reims dans son arrêt définitif du 29 juin 2022 qui ne concerne pas la situation de M. D... mais celle de M. B... E... suite, en vertu du principe non bis in idem, selon lequel un salarié ne peut être sanctionné deux fois pour un même fait, c'est à bon droit que l'inspectrice du travail et la ministre du travail ont considéré que les faits reprochés à M. D... ayant déjà été sanctionnés et la société Foot Locker France ayant épuisé son pouvoir disciplinaire, la demande de licenciement pour faute disciplinaire qu'elle lui avait présentée à l'encontre de M. D... devait être refusée pour ce seul motif.
5. En second lieu, les faits reprochés à M. D... n'étant pas susceptibles d'être sanctionnés une nouvelle fois par la société Foot Locker France, ne saurait être utilement invoqué le moyen tiré de ce que leur gravité était suffisante pour justifier un licenciement pour faute disciplinaire.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Foot Locker France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision du 9 septembre 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, et de l'insertion a confirmé la décision de l'inspectrice du travail refusant de l'autoriser à licencier M. D... pour motif disciplinaire et de cette dernière décision du 18 février 2020.
Sur les conclusions de M. D... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Foot Locker France le versement à M. D... d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Foot Locker France est rejetée.
Article 2 : La société Foot Locker France versera la somme de 1 500 euros à M. D... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Foot Locker France, à M. C... D... et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience publique du 15 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Stenger, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.
La rapporteure,
Signé : L. Stenger Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 22NC01446 2