Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler du 10 mars 2023 par lequel le préfet du Doubs a abrogé sa décision portant délivrance d'un titre de séjour datée du 22 juillet 2020, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi à l'expiration de ce délai de départ volontaire, d'enjoindre au préfet du Doubs, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande dans le même délai et, en toute hypothèse, de lui remettre, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2300602 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 23NC02218 le 10 juillet 2023 Mme B... représentée par Me Dravigny demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 29 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 mars 2023 par lequel le préfet du Doubs a abrogé sa décision portant délivrance d'un titre de séjour datée du 22 juillet 2020, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d'office à l'expiration de ce délai de départ volontaire ;
3°) d'enjoindre au préfet du Doubs, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande dans le même délai et, en toute hypothèse, de lui remettre, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a dénaturé les pièces du dossier et a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en jugeant que la reconnaissance de son fils né de père français était constitutive d'une fraude ; elle et M. C... participent à l'éducation et l'entretien de l'enfant ;
- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'erreur de fait et méconnait les dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le retrait du titre de séjour qui lui a été antérieurement délivré est illégal ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, ses trois premiers enfants résident en France avec elle ; la décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale et est contraire à l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- c'est à tort que le tribunal a jugé que l'obligation de quitter le territoire français n'était pas fondée sur une décision de refus de titre de séjour illégale.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 juillet 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 aout 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Guidi, présidente, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante angolaise née le 24 avril 1988, entrée en France le 29 août 2018 selon ses déclarations, a présenté une demande d'asile qui a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) les 28 février 2020 et 5 janvier 2021. Le 22 août 2019, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faisant valoir la naissance de son dernier enfant, le 20 novembre 2018, de nationalité française. Par une décision du 22 juillet 2020, le préfet du Doubs a fait droit à la demande de titre de séjour de Mme B.... Puis, par un arrêté du 5 octobre 2022, le préfet du Doubs a abrogé sa décision du 22 juillet 2020, a refusé de délivrer un titre de séjour à l'intéressée, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. L'arrêté du 5 octobre 2022 ayant été annulé par le tribunal administratif de Besançon pour vice de procédure, le préfet du Doubs, par un arrêté du 10 mars 2023, a de nouveau abrogé sa décision du 22 juillet 2020, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme B... relève appel du jugement du 29 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Aux termes de l'article 311 du code civil : " La loi présume que l'enfant a été conçu pendant la période qui s'étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance. La conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l'intérêt de l'enfant. La preuve contraire est recevable pour combattre ces présomptions ". Aux termes de l'article 312 du même code : " L'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ". Aux termes de l'article 313 du même code : " La présomption de paternité est écarté lorsque l'acte de naissance de l'enfant ne désigne pas le mari en qualité de père (...) ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judicaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si l'acte de naissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'il établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'il permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cet acte a été dressé conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il établit, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la déclaration à l'origine de l'acte de naissance a été faite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
4. Mme B... a donné naissance à son quatrième enfant, le 20 novembre 2018. M. E..., ressortissant français, a reconnu l'enfant par anticipation le 15 septembre 2018. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier d'une enquête de police menée en avril 2021, déclenchée par la circonstance que M. D... avait également reconnu l'enfant d'une autre ressortissante angolaise né le 23 novembre 2017 seulement quatre semaines avant sa rencontre présumée avec Mme B..., que Mme B... a déclaré avoir rencontré M. D... à l'occasion d'un voyage touristique en France fin 2017. Si Mme B... a déclaré que ce séjour en France avait pris fin en février 2018, le tampon de sortie du territoire français figurant sur son passeport démontre toutefois qu'elle a quitté la France pour l'Angola le 12 janvier 2018. En outre, il n'est pas contesté qu'elle n'est revenue en France que le 15 août 2018. Ainsi, le quatrième enfant de Mme B..., à supposer qu'il soit né à terme le 20 novembre 2018, n'a pu être conçu au plus tôt que le 20 janvier 2018 et son père biologique ne pouvait par conséquent pas être M. D.... Il résulte également de l'enquête de police que Mme B... a effectué son premier voyage en France fin 2017 avec ses deux premiers enfants et le père de ceux-ci à l'appui d'un visa groupé et que ce dernier est revenu en France à plusieurs reprises, avant comme après le 20 novembre 2018 avec un ou plusieurs des enfants du couple. Interrogée sur les faits dans le cadre de l'enquête, Mme B... a déclaré que toutes ses grossesses avaient duré dix mois, qu'elle ne connaissait pas l'adresse de M. D... qui devait se trouver en Belgique, même si elle a indiqué que l'intéressé participait à l'entretien de son enfant. Compte tenu de ces éléments et du signalement au procureur de la République le 27 mai 2021 effectué par le préfet du Doubs, l'autorité administrative doit être regardée comme établissant que l'acte de naissance de l'enfant né le 20 novembre 2018 présentait un caractère frauduleux et qu'il lui appartenait de faire échec à cette fraude, dans la mesure où la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'était pas acquise. Le préfet du Doubs était ainsi fondé à refuser, pour ce motif, la délivrance du titre de séjour temporaire sollicité par Mme B..., quand bien même l'enfant n'avait pas été déchu de la nationalité française à la date de la décision contestée. Ainsi, les moyens tirés de ce que le tribunal aurait entaché son jugement d'une erreur de fait et méconnu les dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
5. En deuxième lieu, dès lors que le titre de séjour accordé le 22 juillet 2020 reposait sur un acte d'état civil frauduleux, ce titre pouvait être retiré à tout moment par le préfet du Doubs. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ne peut qu'être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée pour la dernière fois en France en 2018 à l'âge de 30 ans. Si elle a donné naissance en France à son quatrième enfant, celui-ci ne peut être regardé, compte tenu de ce qui a été dit au point 5, comme étant de nationalité française et avoir pour père M. D... avec lequel Mme B... n'entretient d'ailleurs aucune relation. Par ailleurs, la requérante est la mère de trois autres enfants mineurs de nationalité angolaise dont il n'est pas établi qu'ils résideraient en France de sorte que les attaches privées et familiales de Mme B... se trouvent principalement en Angola. Dans ces conditions, la décision contestée n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
8. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. Compte tenu des éléments développés aux points 5 et 11, rien ne s'oppose à ce que Mme B... poursuive avec son dernier enfant sa vie privée et familiale en Angola. Par ailleurs, la décision portant refus de titre de séjour n'a ni pour objet, ni pour effet de le séparer de la requérante. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa requête.
11. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Michel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 novembre 2024.
La rapporteure,
Signé : L. GuidiLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
E. Delors
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N°23NC02218