Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 21 décembre 2020 par laquelle le préfet de la Moselle a refusé de délivrer une carte d'identité et un passeport français à sa fille G... C....
Par un jugement n° 2101424 du 15 novembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 janvier 2023 et 3 mai 2023, Mme D..., représentée par Me Cissé, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 15 novembre 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 21 décembre 2020 du préfet de la Moselle ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de délivrer à l'enfant, G... C..., une carte nationale d'identité ainsi qu'un passeport français ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision en litige méconnaît les dispositions du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant une carte nationale d'identité ;
- elle méconnaît les dispositions du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;
- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michel, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- et les observations de Me Boudhane, substituant Me Cissé, pour Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... D..., ressortissante camerounaise, a déposé, le 4 février 2019, une demande de carte nationale d'identité et de passeport français en faveur de sa fille G... C..., née le 12 janvier 2019 à Peltre. Par lettre du 30 avril 2019, le centre d'expertise et de ressources des titres a informé Mme D... que l'instruction de sa demande avait fait naître un doute sur la réalité du lien de filiation entre l'enfant G... C... et son père déclaré, M. A... C..., de nationalité française. Par une décision du 21 décembre 2020, le préfet de la Moselle a rejeté la demande de délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport français pour l'enfant G... C.... Mme D... relève appel du jugement du 15 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français ". Et, aux termes de l'article 30 du même code : " La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause / Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants ". Les articles 2 et 4 du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte d'identité, disposent respectivement que : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande (...) " et " I.- En cas de première demande, la carte nationale d'identité est délivrée sur production par le demandeur :(...) Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II. / II. -La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au c du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil (...) / Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française ". De même, l'article 5 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports, dispose que : " I.- En cas de première demande, le passeport est délivré sur production par le demandeur : (...) Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II. / II.- La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au 4° du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil (...) / Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française ".
3. Pour l'application de ces dispositions, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement du titre demandé. Dans ce cadre, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre, qu'une reconnaissance de paternité a été souscrite frauduleusement, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance du titre sollicité.
4. Il ressort des pièces du dossier que l'enfant G... C..., née le 12 janvier 2019 à Peltre, s'est vue délivrer par la directrice des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire de Metz un certificat de nationalité lequel, à la date de la décision en litige, n'a été contredit par aucune décision juridictionnelle.
5. Pour refuser de procéder à la délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport à l'enfant mineure, le préfet de la Moselle s'est fondé sur une suspicion de reconnaissance frauduleuse de paternité dans le but d'obtenir pour la mère de l'enfant, Mme D..., un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français., en se prévalant d'un faisceau d'indices résultant notamment de la situation irrégulière de la mère, de l'absence de vie commune entre les parents avant et après la naissance de l'enfant, de la reconnaissance de l'enfant par anticipation, d'une demande de titre d'identité peu après la naissance, de l'absence de contribution effective du père à l'éducation et à l'entretien de l'enfant qu'il n'aurait vu qu'en photographie et de la circonstance que le père a déclaré ne pas se souvenir d'avoir signé l'acte de reconnaissance de l'enfant.
6. Toutefois, ces seuls éléments ne suffisent pas, dans les circonstances de l'espèce, à les regarder comme fondant un doute suffisant pour rejeter la demande de délivrance de carte nationale d'identité et de passeport présentée par Mme D... dès lors que Mme D... et M. C... ont reconnu avoir une relation au mois de mai 2018, corroborée par les échanges de messages instantanés lors de cette période, qu'après la naissance de l'enfant, le père a reçu des photographies de l'enfant qu'il avait demandées et n'a, à aucun moment, contesté ou déclaré ne pas être le père de l'enfant. En outre, alors que les démarches entreprises par Mme D... ne caractérisent pas, par elles-mêmes, un comportement frauduleux mais s'inscrivent dans les possibilités offertes par le droit positif à l'étranger parent d'un enfant français, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une procédure pénale aurait été ouverte à l'encontre des intéressés, ni que le père aurait procédé à des reconnaissances de paternité multiples ou encore que l'enquête administrative aurait mis en évidence des récits contradictoires de Mme D... et de M. C... quant à la filiation de l'enfant alors que les deux parents ont accepté d'effectuer un test de paternité.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 décembre 2020 par laquelle le préfet de la Moselle a refusé de délivrer une carte d'identité et un passeport français à sa fille G... C....
Sur l'injonction :
8. L'exécution du présent arrêt implique qu'il soit enjoint au préfet de la Moselle, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de délivrer à l'enfant G... C... une carte nationale d'identité et un passeport, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante à l'instance, le versement à Mme D... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2101424 du 15 novembre 2022 du tribunal administratif de Strasbourg et la décision du 21 décembre 2020 du préfet de la Moselle sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de délivrer la carte nationale d'identité et le passeport en faveur de l'enfant mineure F... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Michel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : A. MichelLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision
Pour expédition conforme,
La greffière,
E. Delors
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N° 23NC00249