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28/11/2024 | FRANCE | N°22NC01512

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 28 novembre 2024, 22NC01512


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 6 décembre 2021 par laquelle la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université de ... compétente à l'égard des usagers, siégeant en commission de discipline, a prononcé son exclusion définitive de l'établissement et de mettre à la charge de l'université la somme de 3 600 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1

du code de justice administrative.



Par un jugement n° 2102810 du 15 avril 2022...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 6 décembre 2021 par laquelle la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université de ... compétente à l'égard des usagers, siégeant en commission de discipline, a prononcé son exclusion définitive de l'établissement et de mettre à la charge de l'université la somme de 3 600 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2102810 du 15 avril 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés sous le n° 22NC01512 le 10 juin 2022, le 12 juillet 2022 et le 22 septembre 2022, M. B... A... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 15 avril 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 6 décembre 2021 par laquelle la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université de ... compétente à l'égard des usagers, siégeant en commission de discipline, a prononcé son exclusion définitive de l'établissement ;

3°) de mettre à la charge de l'Université de ... une somme de 3 600 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement du tribunal est insuffisamment motivé s'agissant du moyen tiré de l'incompétence de la commission disciplinaire ;

- la sanction d'exclusion définitive est entachée d'incompétence ; elle est insuffisamment motivée ; la commission de discipline était irrégulièrement composée ce qui entache la décision d'un vice de procédure non régularisable et le tribunal administratif a commis une erreur de droit en écartant ce moyen ;

- la décision est insuffisamment motivée et le tribunal administratif a commis une erreur de droit en écartant ce moyen ;

- la décision de sanction disciplinaire a été prise sur le fondement de l'article R. 811-36 du code de l'éducation, lequel est illégal dès lors qu'il méconnait le principe constitutionnel de la nécessité et de la proportionnalité d'une sanction et la règle non bis in idem ;

- les faits reprochés ne sont pas matériellement établis ; en tout état de cause, ils ne constituent pas une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire ; la sanction est disproportionnée ; le tribunal a commis une erreur d'appréciation en écartant ces moyens.

L'université de ..., représentée par Me Dreyfus, a présenté des mémoires en défense enregistrés les 27 juin 2022 et 5 septembre 2022 par lesquels elle conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. B... A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code de l'éducation ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guidi, présidente,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Pillet pour M. B... A..., ainsi que celles de Me Bjan pour l'université de ....

Considérant ce qui suit :

1. M. G... B... A... a préparé un diplôme d'ingénieur en génie industriel logistique externe et transport au sein de l'université de ... (UTT) de 2015 à 2017 puis de 2019 à 2021. Une étudiante de l'..., Mme C... E..., a effectué un signalement à ... le 9 septembre 2021 ayant notamment pour objet des faits de viols et de violences psychologiques commis de février 2017 à juin 2019 par M. B... A..., durant leur scolarité. Informé de ce signalement, le directeur de ... a saisi la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université. Par une décision du 6 décembre 2021, la section disciplinaire du conseil d'administration compétente à l'égard des usagers, siégeant en commission de discipline, a définitivement exclu de l'université de ... M. B... A.... M. B... A... relève appel du jugement du 15 avril 2022, par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa requête en annulation.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Il résulte des motifs mêmes du jugement que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par le requérant. En particulier, le tribunal administratif, qui n'est pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, n'a pas omis de répondre au moyen tiré de l'incompétence de la section disciplinaire du conseil d'administration compétente à l'égard des usagers, siégeant en commission de discipline de l'université de .... Par suite, M. B... A... n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes de l'article L. 811-6 du code de l'éducation : " Un décret en Conseil d'Etat détermine les sanctions applicables aux usagers d'un établissement public d'enseignement supérieur. Celles-ci comprennent notamment l'exclusion temporaire ou définitive de tout établissement public d'enseignement supérieur, l'interdiction temporaire ou définitive de passer tout examen conduisant à un titre ou diplôme délivré par un établissement public d'enseignement supérieur et l'interdiction de prendre toute inscription dans un établissement public d'enseignement supérieur ". Aux termes de l'article R. 811-11 du même code " Relève du régime disciplinaire prévu aux articles R. 811-10 à R. 811-42 tout usager de l'université lorsqu'il est auteur ou complice, notamment : (...) 2° De tout fait de nature à porter atteinte à l'ordre, au bon fonctionnement ou à la réputation de l'université ". Selon l'article R. 811-36 du même code dans sa rédaction applicable au litige, " I.- Les sanctions disciplinaires applicables aux usagers des établissements publics d'enseignement supérieur sont, sous réserve des dispositions de l'article R. 811-37 : (...) 1° L'avertissement ; 2° Le blâme ; 3° La mesure de responsabilisation définie au II ; 4° L'exclusion de l'établissement pour une durée maximum de cinq ans. Cette sanction peut être prononcée avec sursis si l'exclusion n'excède pas deux ans ; 5° L'exclusion définitive de l'établissement ; 6° L'exclusion de tout établissement public d'enseignement supérieur pour une durée maximum de cinq ans ; 7° L'exclusion définitive de tout établissement public d'enseignement supérieur. (...) / Les sanctions prévues au 4° du présent article sans être assorties du sursis ainsi qu'aux 5°, 6° et 7° entraînent en outre l'interdiction de prendre toute inscription dans le ou les établissements publics dispensant des formations post-baccalauréat, de subir des examens sanctionnant ces formations ainsi que de subir tout examen conduisant à un diplôme national (...) ".

5. La sanction d'exclusion définitive de l'université de ... prise à l'encontre de M. B... A... est fondée sur des faits d'atteintes sexuelles qui se seraient déroulés en février 2017 au domicile du requérant alors qu'il était en couple avec la victime présumée, elle-même étudiante au sein de l'université de ..., puis en novembre 2018, après leur séparation. Cette dernière a informé au mois de septembre 2021 l'administration de l'école, via la plateforme dédiée, avoir été victime de faits de viol et d'agissements de harcèlement moral de la part de son ancien compagnon. Après enquête administrative, la commission de discipline a estimé crédibles les faits dénoncés et devant leur gravité, parallèlement à l'ouverture d'une procédure pénale, a prononcé à l'encontre de M. B... A..., par une décision du 6 décembre 2021, la sanction d'exclusion définitive de l'établissement en application de l'article R. 811-11 du code de l'éducation, aux motifs que les actes commis avaient eu un retentissement important sur la santé, la sécurité et la scolarité de la victime, que ces faits avaient par conséquent été de nature à porter atteinte à l'ordre de l'établissement et que la connaissance de tels faits pouvait porter atteinte à la réputation de l'université de ....

En ce qui concerne la légalité externe :

S'agissant de la compétence de la commission de discipline :

6. Il ressort des pièces du dossier soumis à la commission disciplinaire que les faits d'agression sexuelle et de harcèlement qu'il est reproché à M. B... A..., étudiant à ..., d'avoir commis à l'encontre d'une autre étudiante de ..., bien que commis en dehors de l'enceinte de l'établissement, ont eu un retentissement sur la santé et la scolarité de la victime, sur le groupe d'amis commun à M. B... A... et à Mme C... E..., alors tous étudiants de .... En outre, les représentants des usagers au sein de ... ont été avisés de l'existence d'une plainte pénale. Dans ces circonstances, ces faits étaient de nature à porter atteinte à l'ordre, au bon fonctionnement et à la réputation de l'établissement au sens de l'article R. 811-11 du code de l'éducation. Par suite, M. B... A... n'est pas fondé à soutenir que la section disciplinaire de ... n'était pas compétente pour connaître de poursuites disciplinaires engagées contre un étudiant à raison de tels faits.

S'agissant de la motivation de la décision :

7. Aux termes de l'article R. 811-39 du code de l'éducation, " La décision de la commission de discipline doit être motivée ". Selon l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 2° Infligent une sanction ; (...) ". En application de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Par cette disposition, le législateur a entendu imposer à l'autorité qui prononce une sanction l'obligation de préciser elle-même dans sa décision les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre de la personne intéressée, de sorte que cette dernière puisse à la seule lecture de la décision qui lui est notifiée connaître les motifs de la sanction qui la frappe.

8. La décision contestée mentionne que l'exclusion définitive de l'université de M. B... A... est fondée sur deux griefs : les agressions sexuelles commises sur Mme E... et le harcèlement subi de sa part par l'intéressée. D'une part, la décision attaquée comporte l'énoncé des considérations de droit sur lesquelles l'autorité disciplinaire a entendu prendre sa décision et en particulier les dispositions du code de l'éducation relatives à la procédure disciplinaire applicable aux usagers d'une université, dont l'article R. 811-11 du code de l'éducation. Elle mentionne également la lettre du 9 septembre 2021 par laquelle le directeur de ... a saisi la section disciplinaire à l'encontre de M. B... A... pour viol présumé d'une étudiante de ... en application de l'article R. 811-26 du code de l'éducation. D'autre part, la décision précise que les faits d'agression sexuelle qui se sont déroulés en février 2017 et en novembre 2018 sont matériellement établis mais encore que, durant la période allant de 2017 à 2019, M. B... A... a eu un " comportement insistant s'apparentant à du harcèlement " à l'égard de Mme E... et provoquant un fort sentiment d'insécurité chez la victime. Dans ces conditions, le requérant a été mis à même, à la seule lecture de la décision contestée, de déterminer les griefs qui ont été retenus par l'autorité disciplinaire pour arrêter la sanction en litige et de connaitre ses fondements légaux et réglementaires. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté comme manquant en fait.

S'agissant de la régularité de la procédure :

9. D'une part, aux termes de l'article D. 715-9-1 du code de l'éducation : " Les universités de technologie relevant de l'article R. 715-9 sont les suivantes : 3° Université de ... ". Selon l'article R. 715-9 du même code : " Les universités de technologie régies par la présente sous-section sont des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel auxquels s'applique le statut d'école extérieure aux universités défini à l'article L. 715-1 ". Aux termes de l'article L. 712-4 de ce code : " Le conseil académique regroupe les membres de la commission de la recherche mentionnée à l'article L. 712-5 et de la commission de la formation et de la vie universitaire mentionnée à l'article L. 712-6. / (...) ". Aux termes de l'article L. 11-5 du même code : " Les conseils académiques des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel statuant à l'égard des usagers sont constitués par une section disciplinaire qui comprend en nombre égal des représentants du personnel enseignant et des usagers. Ses membres sont élus respectivement par les représentants élus des enseignants-chercheurs et enseignants et des usagers au conseil académique. Dans le cas où les usagers n'usent pas de leur droit de se faire représenter au sein de la section disciplinaire et dans le cas où, étant représentés, ils s'abstiennent d'y siéger, cette section peut valablement délibérer en l'absence de leurs représentants ". Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 715-2 du code de l'éducation : " Lorsqu'un conseil académique compétent en matière disciplinaire n'a pas été créé, les compétences prévues aux articles (...) L. 811-5 (...) sont exercées par le conseil d'administration ". Selon l'article R. 715-13 du même code, applicable à ..., " Le pouvoir disciplinaire prévu aux articles L. 712-6-2 et L. 811-5 est exercé en premier ressort par le conseil académique de l'institut ou de l'école ou, à défaut de conseil académique compétent en matière disciplinaire, par le conseil d'administration, constitué en sections disciplinaire, (...) pour les usagers dans les conditions et selon la procédure prévues aux articles R. 811-10 à R. 811-42, sous réserve des dispositions applicables à l'établissement mentionné à l'article D. 715-11. (...) ".

10. D'autre part, en application de l'article R. 811-14 du même code, " La section disciplinaire du conseil académique compétente à l'égard des usagers comprend : / 1° Quatre professeurs des universités ou personnels assimilés au sens du collège A du I de l'article D. 719-4 ; / 2° Quatre maîtres de conférences ou personnels assimilés au sens du collège B du I du même article ; / 3° Huit usagers (...) ". Aux termes de l'article R. 811-15 du code de l'éducation : " Les membres des collèges définis aux 1° et 2° de l'article R. 811-14 sont élus au sein de la commission de la recherche et de la commission de la formation et de la vie universitaire du conseil académique par et parmi les représentants élus du collège auquel ils appartiennent ".

11. S'agissant des universités technologiques, l'article R. 715-13 du code de l'éducation prévoit, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, que : " Par dérogation à l'article R. 811-14, la section disciplinaire compétente à l'égard des usagers peut comprendre deux membres appartenant à chacun des collèges définis aux 1° et 2° de cet article et quatre membres appartenant au collège défini à son 3°. Dans ce cas, par dérogation aux articles R. 811-20 et R. 811-32, la commission de discipline comprend quatre membres, dont un membre appartenant à chacun des collèges définis aux 1° et 2° de l'article R. 811-14 et deux membres appartenant au collège défini au 3° du même article, et ne peut valablement délibérer que si les représentants des collèges définis aux 1° et 2° de l'article R. 811-14 sont présents ". Selon les termes de l'article R. 811-20 du même code, également applicable à ..., " Les affaires sont examinées par une commission de discipline. Le président de la section disciplinaire désigne les membres de la commission de discipline selon un rôle qu'il établit. La commission comprend huit membres, dont deux membres appartenant à chacun des collèges définis aux 1° et 2° de l'article R. 811-14 et quatre membres appartenant au collège défini au 3° du même article. / Les membres désignés au titre des collèges définis aux 1° et 2° de l'article R. 811-14 incluent le président ou l'un des vice-présidents de la section disciplinaire, qui préside la commission de discipline ". Aux termes de l'article R. 811-18 du code de l'éducation, " Le président de la section disciplinaire et deux vice-présidents sont élus par et parmi les membres de la section disciplinaire appartenant aux collèges définis aux 1° et 2° de l'article R. 811-14 au scrutin majoritaire à deux tours. Le scrutin est secret (...) ". Enfin, l'article 49 du règlement intérieur de l'établissement, lequel précise que le conseil d'administration " statuant en matière disciplinaire à l'égard des étudiants est constitué par une section composée en nombre égal, d'une part de représentants élus des enseignants, et d'autre part des étudiants élus au conseil d'administration ".

12. Premièrement, il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le conseil académique regroupe les membres de la commission de la formation et de la vie universitaire mentionnée à l'article L. 712-6 du code de l'éducation et de la commission académique mentionnée à l'article L. 712-5 du code de l'éducation. Par conséquent, les dispositions des articles R. 811-14 et R. 811-15 du code de l'éducation, qui concernent la composition et le mode de désignation des membres de la section disciplinaire du conseil académique, ne régissent pas la composition et la désignation de la section disciplinaire du conseil d'administration, compétente à l'égard des usagers. Par suite, M. B... A... ne saurait utilement soutenir que l'élection régulière des membres de cette section au sein de la commission de recherche et de la commission de la formation et de la vie universitaire ne serait pas établie, dès lors que ces commissions n'ont vocation à exister que lorsqu'un conseil académique a été créé au sein de l'établissement.

13. Deuxièmement, à supposer établie la circonstance que la personne mentionnée dans le procès-verbal de composition de la commission de discipline du 4 décembre 2020 n'aurait pas été élue est sans incidence dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que les quatre membres qui ont effectivement siégé à la séance de la commission qui a examiné la situation de M. B... A... figuraient bien au nombre des membres élus aux élections de 2018 s'agissant des membres représentant les personnels enseignants et de 2020 pour les membres représentants des usagers.

14. Troisièmement, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions de la suppléance exercée par Mme D..., et notamment l'absence du membre titulaire, n'étaient pas satisfaites le 6 décembre 2021.

15. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision a été prise au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté en toutes ses branches.

En ce qui concerne la légalité interne :

16. En premier lieu, la sanction d'exclusion définitive d'un établissement public d'enseignement supérieur prise en application des dispositions du 5° de l'article R. 811-36 du code de l'éducation assortie de l'interdiction de se réinscrire dans ce seul établissement public et d'y subir des examens conduisant à un diplôme national ne constitue pas le cumul de deux sanctions distinctes mais une sanction unique. La portée d'une telle sanction ne s'étend pas à l'ensemble des établissements publics d'enseignement supérieur dispensant des formations post-baccalauréat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe général du droit selon lequel une personne ne peut être sanctionnée deux fois à raison des mêmes faits ne peut qu'être écarté.

17. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, (...) ". Le principe ainsi énoncé ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

18. L'exclusion définitive d'un établissement public d'enseignement supérieur prise en application des dispositions du 5° de l'article R. 811-36 du code de l'éducation sanctionne le fait, pour un usager d'une université, d'être auteur ou complice, notamment, d'un fait de nature à porter atteinte à l'ordre, au bon fonctionnement ou à la réputation de l'université ou d'une fraude ou d'une tentative de fraude commise en vue d'une inscription ou lors des études. Elle s'applique au seul établissement public considéré et n'interdit pas à l'étudiant sanctionné de s'inscrire dans un autre établissement d'enseignement supérieur afin d'y poursuivre une formation post-baccalauréat et de passer des examens conduisant à un diplôme national. Cette sanction s'insère dans un éventail de sanctions de nature et de portée différente dont certaines sont plus lourdes, comme l'exclusion définitive de tout établissement public d'enseignement supérieur. Les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne sauraient interdire à l'autorité administrative de fixer des règles assurant une répression effective des infractions. En se bornant à soutenir que certaines sanctions prévues par l'article R. 811-36 du code de l'éduction sont par elles-mêmes excessives, alors qu'une sanction administrative ayant le caractère d'une punition ne peut être appliquée que si l'autorité compétente la prononce expressément en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce et au terme d'une procédure contradictoire, M. B... A... ne soutient pas utilement que les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen auraient été méconnues. En tout état de cause, eu égard à l'objectif d'intérêt général de préservation de l'ordre et de la sécurité des universités, la sanction prévue par les dispositions du 5° de l'article R. 811-36 du code de l'éducation ne présente pas un caractère manifestement disproportionné par rapport aux manquements réprimés. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions du 5° de l'article R. 811-36 du code de l'éducation méconnaîtraient le principe de nécessité et de proportionnalité de la sanction qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 doit être écarté.

19. En troisième lieu, Il ressort des pièces du dossier qu'en février 2017, une relation sentimentale s'est nouée entre Mme E... et M. B... A... alors tous deux étudiants à .... Au cours d'un rapport sexuel M. B... A... a contraint Mme E... à une pratique sexuelle, alors qu'elle avait expressément et préalablement formulé son désaccord. Alors qu'elle a voulu quitter l'appartement, elle s'est avisée qu'elle ne pouvait plus sortir, la porte étant fermée à clef et a alors tenté de s'enfuir par la fenêtre. Les jours suivants, Mme E..., fortement choquée par ces faits, s'en est ouvert à une amie, puis en mai 2017 à d'autres étudiants de .... Au printemps 2017, M. B... A... l'a de nouveau forcée à avoir un rapport non consenti pendant son sommeil. A partir de septembre 2018, Mme E... a consulté le médecin et l'infirmière de ... afin de bénéficier d'un accompagnement à l'université à raison de faits d'agression sexuelle commis par M. B... A.... A l'automne 2018, alors qu'elle était séparée du requérant et avait noué une relation avec un autre étudiant de ..., M. B... A... à ... a de nouveau contraint Mme E... à avoir un rapport sexuel. A compter de novembre 2018, Mme E... a fait l'objet de harcèlement et a subi une emprise psychologique de la part de M. B... A... consistant en des appels téléphoniques répétés, un chantage affectif au suicide et des filatures dans la ville de .... Ces circonstances ont notamment justifié que des étudiants s'interposent en mai 2019 lors de l'événement ... " crunch and connect ", séminaire de travail d'élèves-ingénieurs, pour empêcher M. B... A... de l'aborder. Craignant pour sa sécurité et son intégrité physique notamment au sein de ..., Mme E... a consulté régulièrement l'infirmière de ... ainsi que la psychologue du planning familial de ... à compter de janvier 2019 et a entamé un suivi psychologique. De plus, à raison de ces agissements, ses résultats universitaires ont chuté de telle sorte qu'elle a fait l'objet d'un avertissement avant exclusion et a été victime d'une dépression et de perte de poids. Les témoignages produits évoquent un état de sidération psychique. Il résulte de ce qui précède que ces faits, pour lesquels Mme E... a porté plainte le 14 septembre 2021, sont suffisamment établis. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la sanction contestée aurait été prononcée sur le fondement de faits matériellement inexacts.

20. Ces faits commis durant la scolarité à ... des intéressés et à l'encontre d'une autre étudiante de l'université, sont constitutifs de nature à porter notamment atteinte au bon ordre de la communauté universitaire, à la santé, à la sécurité physique et psychique et à la scolarité d'une usagère de l'université. Ayant donné lieu à une plainte pénale, ils sont également de nature à porter atteinte à la réputation de l'établissement. Par suite, ils constituent une faute disciplinaire au sens et pour l'application de l'article R. 811-11 du code de l'éducation.

21. En quatrième lieu, eu égard à la nature des faits, pénalement répréhensibles et réitérés, à la méconnaissance des obligations des usagers de l'université qu'ils traduisent, au trouble à la communauté universitaire et à la sécurité de ses usagers causé par ces agissements, la sanction, qui ne constitue pas la plus lourde de l'échelle applicable, n'apparait pas disproportionnée par rapport à l'extrême gravité des faits reprochés à M. B... A....

22. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... A... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du 24 janvier 2022, par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du 6 décembre 2021 par laquelle la section disciplinaire du conseil d'administration compétente à l'égard des usagers, siégeant en commission de discipline, l'a définitivement exclu de l'université de ....

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de ..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. B... A... au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. B... A... une somme de 1 500 euros à verser à l'université de ... sur le fondement de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : Le requête de M. B... A... est rejetée.

Article 2 : M. B... A... versera une somme de 1 500 euros à l'université de ... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... B... A... et à l'Université de ....

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- M. Michel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 novembre 2024.

La rapporteure,

Signé : L. GuidiLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

E. Delors

2

N° 22NC01512


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01512
Date de la décision : 28/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Laurie GUIDI
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : D4 AVOCATS ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-28;22nc01512 ?
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