Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.
Par un jugement n° 2306851 du 9 octobre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 novembre 2023, M. A..., représenté par Me Airiau, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 9 octobre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, l'a signalé dans le système d'information Schengen et l'arrêté du même jour l'assignant à résidence ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, subsidiairement de réexaminer sa situation, sous la même condition d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
sur la décision fixant le pays de destination :
- elle doit être annulée en conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle doit être annulée en conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La procédure a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle de 25% par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 16 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Barteaux a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant algérien, né en 1985, est entré en France irrégulièrement, selon ses déclarations, en 2019. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 15 janvier 2021, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 17 août 2021. A la suite de l'interpellation de l'intéressé dans le cadre d'un contrôle routier, par un arrêté du 26 septembre 2023, la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et, par un second arrêté du même jour, l'a assigné à résidence. Par un jugement n° 2306851 du 9 octobre 2023, dont M. A... fait appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. M. A... fait valoir qu'il est présent sur le territoire français depuis octobre 2019 où résident plusieurs membres de sa famille, dont deux oncles et une tante par alliance, qui sont de nationalité française, et deux autres oncles titulaires d'un certificat de résidence. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté en litige, la présence de l'intéressé sur le territoire français, d'environ quatre ans, était très récente. Il est célibataire et sans enfant. En dehors des relations qu'il entretient avec des membres de sa famille, notamment avec l'oncle qui l'héberge, il ne justifie pas avoir noué en France des liens intenses. Il n'établit pas, en outre, être dépourvu d'attaches familiales en Algérie où il a vécu jusqu'à l'âge de trente-quatre ans. S'il bénéficie d'un contrat à durée indéterminée depuis janvier 2023 en qualité de technicien en fibre optique, cette insertion professionnelle était récente. Dans ces conditions, compte tenu de la durée de la présence en France de M. A... et de l'occupation récente d'un emploi, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au regard des buts qu'elle poursuit une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur la décision fixant le pays de destination :
4. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé à l'encontre de la décision fixant le pays de destination et tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
5. En second lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut, dans les circonstances de l'espèce, être utilement invoqué à l'encontre de la décision fixant le pays de destination et doit, par conséquent, être écarté.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
6. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour fixer la durée d'une interdiction de retour prise à l'encontre d'un ressortissant étranger soumis à une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
8. Pour fixer à un an la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à l'encontre de M. A... sur le fondement de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète du Bas-Rhin a mentionné qu'il est irrégulièrement entré en France, s'y est maintenu sans avoir cherché à régulariser sa situation, que son comportement constitue une menace pour l'ordre public tenant au non-respect des lois de la République, qu'il n'a pas démontré l'intensité de ses liens avec la France et n'a fait valoir aucune circonstance humanitaire s'opposant au prononcé d'une interdiction de retour d'une durée d'un an, sans mentionner la durée de sa présence, ni la précédente obligation de quitter le territoire français prononcée à son encontre le 9 novembre 2021. Eu égard à cette motivation, le requérant est fondé à soutenir que la préfète n'ayant pas pris en compte l'ensemble des critères énoncés par les dispositions précitées, a entaché sa décision d'une erreur de droit et à en demander, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, son annulation pour ce motif.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la préfète du Bas-Rhin du 26 septembre 2023 portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
10. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. A... doivent être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
11. Les dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, la somme que demande M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2306851 du tribunal administratif de Strasbourg du 9 octobre 2023, est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de la décision de la préfète du Bas-Rhin du 26 septembre 2023 portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Article 2 : La décision de la préfète du Bas-Rhin du 26 septembre 2023 portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie de l'arrêt sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- M. Lusset, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : S. Barteaux
La présidente,
Signé : V. Ghisu-DeparisLa greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
N° 23NC03318 2