Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A... ont chacun demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 2 mars 2023 par lesquels le préfet de la Moselle a refusé de renouveler leur attestation de demande d'asile, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel ils pourront être éloignés d'office et a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement nos 2302257, 2302258 du 2 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2023, M. et Mme A..., représentés par Me Merll de la SELARL Axio Avocats, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 2 mai 2023 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 2 mars 2023 par lesquels le préfet de la Moselle a refusé de renouveler leur attestation de demande d'asile, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel ils pourraient être éloignés d'office et a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 700 euros, à verser à leur conseil, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
en ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :
- le préfet aurait dû examiner la demande de titre de séjour du 16 juin 2022, complétée à la suite d'une demande de la préfecture, avant de prononcer des mesures d'éloignement dès lors qu'il a commis une erreur de fait en estimant que leur demande de titre était incomplète ;
- les obligations de quitter le territoire français ont été prises en méconnaissance de leur droit d'être entendu, principe général du droit de l'Union européenne ;
- elles ne sont pas motivées ;
- elles sont entachées d'un défaut d'examen particulier de leur situation ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;
en ce qui concerne les décisions fixant le délai de départ volontaire :
- elles sont entachées d'une erreur de droit ;
- elles ne comportent aucune motivation ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, le préfet devant fixer le délai en fonction des circonstances propres à chaque cas telles que la durée du séjour, l'existence d'enfants scolarisés et d'autres liens familiaux et sociaux comme le mentionnent les articles 5 et 7 de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008 ;
en ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination :
- elles ne sont pas motivées ;
en ce qui concerne les décisions portant interdictions de retour :
- elles ne sont pas motivées en méconnaissance de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation concernant la durée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2023, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. et Mme A... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 30 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Barteaux a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A..., ressortissants albanais, nés respectivement en 1984 et 1988, sont entrés irrégulièrement en France, selon leurs déclarations, le 16 octobre 2021, accompagnés de leurs enfants. Leurs demandes d'asile, examinées en procédure accélérées, ont été rejetées par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 26 janvier 2022, confirmées par des décisions de la Cour nationale du droit d'asile du 26 septembre 2022. Par des arrêtés du 2 mars 2023, pris sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Moselle a refusé de renouveler leurs attestations de demande d'asile, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel ils pourront être éloignés et a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Les requérants font appel du jugement nos 2302257, 2302258 du 2 mai 2023, par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les requérants n'avaient soulevé en première instance que des moyens de légalité interne à l'appui de leurs conclusions tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français. Il s'ensuit, comme l'oppose le préfet de la Moselle, que les moyens de légalité externe, invoqués pour la première fois en appel et qui ne sont pas d'ordre public, tirés de la méconnaissance de leur droit d'être entendu et de l'insuffisante motivation de ces décisions, se rattachent à une cause juridique nouvelle en appel et sont irrecevables.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...)/ 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ".
4. M. et Mme A... soutiennent en appel que le préfet de la Moselle ne pouvait pas prononcer à leur encontre une obligation de quitter le territoire français dès lors qu'ils lui ont adressé le 16 juin 2022 une demande de titre de séjour complète sur laquelle il aurait dû préalablement statuer. Toutefois, à supposer même que la demande de titre de séjour des intéressés aurait bien été complétée le 16 juin 2022, contrairement à ce que mentionnent les arrêtés en litige, le seul dépôt d'une demande de titre de séjour ne saurait faire obstacle à ce que l'autorité administrative décide de prendre une mesure d'éloignement d'un étranger. Il ressort des visas mêmes de l'arrêté en litige que la mesure d'éloignement en litige a été prise sur le fondement du 4° de l'article L. 611 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à la suite du rejet des demandes d'asile de M. et Mme A... par la Cour nationale du droit d'asile. Ces derniers n'établissent pas qu'un titre de séjour de plein droit aurait dû leur être attribué, notamment en raison de l'état de santé de leur enfant, ce qui aurait pu faire obstacle à l'édiction des mesures d'éloignement. Par suite, le préfet de la Moselle n'a ni commis une erreur de fait, ni entaché d'illégalité ses décisions en édictant à l'encontre des requérants une obligation de quitter le territoire français sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 alors même qu'ils avaient déposé une demande de titre de séjour.
5. En troisième lieu, il ressort des motifs mêmes des arrêtés en litige que le préfet de la Moselle, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme A..., a procédé à un examen particulier de leur situation. Par suite, ce moyen doit être écarté.
6. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Il ressort des pièces du dossier que les requérants étaient présents en France depuis moins de deux ans à la date des décisions contestées et n'établissent pas y avoir tissé des liens intenses. En outre, ni l'apprentissage du français par Mme A..., ni son engagement dans le tissu associatif ne suffisent à justifier d'une intégration sociale particulière des intéressés. M. et Mme A... ne démontrent pas être dépourvus d'attaches familiales dans leur pays d'origine où ils ont vécu respectivement jusqu'à l'âge de trente-trois et trente-sept ans. Ils n'établissent pas davantage que leurs deux enfants, qui ont quitté récemment le système éducatif albanais, ne pourraient pas y reprendre une scolarité normale. Dans ces conditions, les décisions portant obligation de quitter le territoire français n'ont pas porté au droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elles ont été prises. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de leur situation personnelle doit également être écarté.
En ce qui concerne les décisions fixant le délai de départ volontaire de trente jours :
8. En premier lieu, les requérants n'avaient soulevé en première instance aucun moyen de légalité externe à l'encontre de la décision fixant le délai de départ volontaire. Il s'ensuit, comme l'oppose le préfet de la Moselle, que le moyen de légalité externe, invoqué pour la première fois en appel et qui n'est pas d'ordre public, tiré de l'insuffisante motivation de ces décisions, se rattache à une cause juridique nouvelle en appel et est irrecevable.
9. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation ".
10. En se bornant à se prévaloir de leur entrée en France en 2021, de la demande d'asile qu'ils avaient déposée, de la scolarisation, récente, de leurs enfants et des efforts d'intégration de Mme A..., notamment par l'apprentissage du français, les requérants ne justifient pas qu'un délai de départ supérieur à trente jours aurait dû leur être accordé par le préfet de la Moselle. Par suite, en retenant, eu égard à leur situation personnelle et familiale, le délai légal, le préfet n'a entaché sa décision ni d'une erreur de droit, ni d'une erreur d'appréciation. Pour les mêmes motifs, le préfet de la Moselle n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de ses décisions sur la situation de M. et Mme A....
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination :
11. Les requérants n'avaient soulevé en première instance aucun moyen de légalité externe à l'encontre de la décision fixant le pays de destination. Il s'ensuit, comme l'oppose le préfet de la Moselle, que le moyen de légalité externe, invoqué pour la première fois en appel et qui n'est pas d'ordre public, tiré de l'insuffisante motivation de ces décisions, se rattache à une cause juridique nouvelle en appel et est irrecevable.
En ce qui concerne les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :
12. En premier lieu, les requérants n'avaient soulevé en première instance aucun moyen de légalité externe à l'encontre de la décision portant interdiction de retour. Il s'ensuit, comme l'oppose le préfet de la Moselle, que le moyen de légalité externe, invoqué pour la première fois en appel et qui n'est pas d'ordre public, tiré de l'insuffisante motivation de ces décisions, se rattache à une cause juridique nouvelle en appel et est irrecevable.
13. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".
14. M. et Mme A... ont vécu la majeure partie de leur vie en Albanie. Ils n'ont justifié d'aucun lien intense et stable en France, ni être dépourvus d'attache familiale dans leur pays d'origine. Ainsi, et alors même que leur présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, le préfet de la Moselle n'a pas entaché ses décisions d'une erreur d'appréciation en prononçant, à l'encontre de M. et Mme A..., une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes. Il s'ensuit que leurs conclusions présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie de l'arrêt sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- Mme Roussaux, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : S. Barteaux
La présidente,
Signé : V. Ghisu-DeparisLa greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
N° 23NC02505 2