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26/11/2024 | FRANCE | N°23NC02369

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 26 novembre 2024, 23NC02369


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 18 janvier 2023 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé son pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de circuler sur le territoire français d'une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2300304 du 1er février 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administrati

f de Nancy a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête enreg...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 18 janvier 2023 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé son pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de circuler sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2300304 du 1er février 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 juillet 2023, M. B..., représenté par Me Gharzouli, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2300304 du 1er février 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle du 18 janvier 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à rester sur le territoire français dans les délais de, respectivement, un mois et quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les décisions contestées sont insuffisamment motivées ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que son comportement ne constitue pas une menace à l'ordre public ;

- elle méconnaît les articles L. 233-1 et L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il dispose d'un droit au séjour permanent sur le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant interdiction de circulation sur le territoire est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les articles L. 233-1 et L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il dispose d'un droit au séjour permanent sur le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2023, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Lusset, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant polonais né le 19 juin 1974, serait entré en France au cours de l'année 2016, selon ses déclarations. Par un arrêté du 18 janvier 2023, le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé son pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de circuler sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement n° 2300304 du 1er février 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la motivation des décisions attaquées :

2. Il y a lieu d'adopter les motifs retenus par les premiers juges aux points 6, 15 et 20 du jugement contesté pour écarter le moyen, repris en appel dans des termes similaires, tiré de l'insuffisance de motivation des décisions attaquées.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : (...) 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; (...) ".

4. Il appartient à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été condamné le 25 octobre 2021 à une peine de quatre mois d'emprisonnement pour des faits de violences par une personne étant ou ayant été conjoint et a été à nouveau condamné le 2 septembre 2022, par le tribunal correctionnel de Metz, à une peine de seize mois d'emprisonnement dont huit mois avec sursis, pour des faits de violences avec usage ou menace d'une arme, n'ayant pas entraîné d'incapacité, commis le 31 août 2022. Ces faits présentent un caractère récent et ont été commis en état de récidive légale. En outre, si l'intéressé était présent en France depuis six ans et établit avoir exercé ponctuellement une activité professionnelle, il ne démontre pas disposer d'attaches familiales suffisamment stables sur le territoire français en l'absence d'éléments probants de nature à établir la réalité et l'intensité de ses liens avec son enfant, dont il n'est pas davantage démontré qu'il participerait à l'entretien et à l'éducation. Enfin, M. B..., qui malgré la durée de sa présence en France a eu besoin d'un interprète lors de la procédure, ne fait état d'aucun élément susceptible de témoigner d'une intégration au sein de la société française. Dans ces conditions, eu égard à la nature des faits reprochés, à leur gravité croissante et à leur caractère récent, le préfet n'a pas inexactement apprécié les dispositions de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en obligeant le requérant à quitter le territoire français au motif que son comportement constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société.

6. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. B... était présent en France, ainsi qu'il a été dit, depuis six ans à la date de la décision attaquée et qu'il a travaillé pendant plusieurs mois auprès de la société Alfagaine. S'il ressort également des pièces du dossier que la fille du requérant, âgée de six ans, vit sur le territoire français avec sa mère, le jugement du juge aux affaires familiales, réglant la garde de l'enfant, et les photos produites ne sont pas suffisants pour établir les liens qu'il entretiendrait avec cette enfant. Le requérant n'établit par ailleurs pas que la mère de l'enfant, de nationalité polonaise, disposerait d'un droit au séjour sur le territoire français, au sens des dispositions de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. B... n'établit ni même n'allègue disposer d'autres attaches familiales sur le territoire français alors qu'il ne soutient pas en être dépourvu dans son pays d'origine. En outre, ainsi qu'il a été dit au point 5 ci-dessus, le comportement du requérant constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à un intérêt fondamental de la société. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise notamment celui de la préservation de l'ordre public.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 251-1 les citoyens de l'Union européenne ainsi que les membres de leur famille qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 234-1 ". Aux termes de cet article : " Les citoyens de l'Union européenne mentionnés à l'article L. 233-1 qui ont résidé de manière légale et ininterrompue en France pendant les cinq années précédentes acquièrent un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français. (...) ". Aux termes de l'article L. 233-1 du même code : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes :

1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour disposer d'un droit au séjour permanent, les citoyens de l'Union européenne doivent avoir résidé de manière légale et ininterrompue pendant les cinq dernières années et remplir une des conditions fixées à l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Lorsqu'un ressortissant de l'Union européenne entend se prévaloir des dispositions du 1° de cet article, il doit démontrer avoir exercé de manière continue une activité professionnelle sur le territoire français ou entrer dans les exceptions prévues par les dispositions des articles R. 234-3 à R. 234-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. B... résidait de manière ininterrompue sur le territoire français depuis plus de cinq ans à la date de la décision attaquée. Toutefois, s'il ressort des pièces du dossier qu'il a commencé à travailler au sein de la société Alfagaine, le 22 août 2016, en contrat à durée déterminée, puis à durée indéterminée à compter du 1er avril 2017, il n'établit pas que son contrat aurait perduré jusqu'en 2022 alors qu'il a conclu, avec cette société, un nouveau contrat à durée déterminée le 28 septembre 2022. Dans ces conditions, dès lors que M. B... n'établit pas avoir exercé une activité professionnelle de façon continue durant ces cinq dernières années, et il ne disposait ainsi pas du droit au séjour permanent prévu par les dispositions de l'article L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 8 ci-dessus ne peut, par suite, qu'être écarté.

Sur la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :

10. En premier lieu, les moyens dirigés contre la décision portant obligation de quitter le territoire français ayant été écartés, le moyen tiré de ce que la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision d'éloignement ne peut qu'être écarté.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les étrangers dont la situation est régie par le présent livre disposent, pour satisfaire à l'obligation qui leur a été faite de quitter le territoire français, d'un délai de départ volontaire d'un mois à compter de la notification de la décision. L'autorité administrative ne peut réduire le délai prévu au premier alinéa qu'en cas d'urgence et ne peut l'allonger qu'à titre exceptionnel ".

12. Eu égard à la gravité des faits reprochés et à la circonstance qu'ils ont été commis en situation de récidive légale, la menace réelle, actuelle et suffisamment grave que M. B... représente, du point de vue de l'ordre public, à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société est de nature à caractériser l'urgence à l'éloigner du territoire français. En outre, le requérant n'invoque aucune circonstance personnelle ou familiale qui ferait obstacle à l'exécution sans délai de la mesure d'éloignement en litige. Il n'est par conséquent pas fondé à soutenir que le préfet de la Moselle a inexactement apprécié sa situation en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire. En outre, et pour les mêmes motifs, il n'est pas fondé à soutenir que cette décision serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Sur la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français :

13. En premier lieu, les moyens dirigés contre la décision portant obligation de quitter le territoire ayant été écartés, le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision d'éloignement ne peut qu'être écarté.

14. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français édictée sur le fondement des 2° ou 3° de l'article L. 251-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans ".

15. Ainsi qu'il a été dit, la présence de M. B... sur le territoire français représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, du point de vue de l'ordre public, à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société et il ne démontre pas, ainsi qu'il a été dit au point 7, l'intensité des liens personnels et familiaux dont il dispose en France. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en prononçant une interdiction de circulation sur le territoire français à l'encontre du requérant et en fixant sa durée à deux ans, le préfet ait inexactement apprécié la situation de M. B.... Dans ces conditions, le moyen ne peut qu'être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Moselle du 18 janvier 2023. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre des frais d'instance, doivent être également rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Gharzouli.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- M. Barteaux, président assesseur,

- M. Lusset, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.

Le rapporteur,

Signé : A. LussetLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 23NC02369


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02369
Date de la décision : 26/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: M. Arnaud LUSSET
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : GHARZOULI

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-26;23nc02369 ?
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