Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 9 mars 2020 par lequel le préfet de la Moselle a prononcé le dessaisissement de l'arme en sa possession dans un délai de trois mois, et lui a interdit d'acquérir ou de détenir des armes de toute catégorie, ainsi que la décision du 21 juillet 2021 par laquelle le préfet a rejeté la demande d'abrogation de cet arrêté.
Par un jugement n° 2105462 du 17 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 juillet 2022 et le 30 mai 2024, M. C..., représenté par Me Herhard, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2105462 du tribunal administratif de Strasbourg du 17 mai 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 mars 2020 par lequel le préfet de la Moselle a prononcé le dessaisissement de l'arme en sa possession dans un délai de trois mois, et lui a interdit d'acquérir ou de détenir des armes de toute catégorie ;
3°) d'annuler la décision du 21 juillet 2021 par laquelle le préfet de la Moselle a rejeté la demande d'abrogation de l'arrêté du 9 mars 2020 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le préfet de la Moselle ne pouvait se fonder sur une condamnation qui a été effacée de du bulletin n° 2 de son casier judiciaire ;
- les décisions sont entachées d'erreur d'appréciation eu égard au caractère ancien des faits pour lesquels il a été condamné ou mis en cause, à la circonstance qu'il ne consomme plus de produits stupéfiants, qu'il n'a pas récidivé depuis ces faits, et que son comportement ne présente aucun risque pour l'ordre public ou la sécurité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2022, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions dirigées contre l'arrêté du 9 mars 2020 sont tardives et, par suite, irrecevables ;
- les moyens soulevés par M. C... à l'encontre de la décision du 21 juillet 2021 ne sont pas fondés.
Par un courrier du 23 octobre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le juge d'appel est susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité des conclusions de première instance de M. C... dirigées contre l'arrêté du 9 mars 2020 du préfet de la Moselle, qui sont tardives car introduites au-delà du délai raisonnable d'un an (CE, 13 juillet 2016, M. B..., n° 387763; CE, 12 juillet 2023, M. D..., n° 474865).
Des observations en réponse au courrier du 23 octobre 2024, présentées par M. C..., ont été reçues le 25 octobre 2024 et communiquées le même jour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lusset, rapporteur,
- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a, le 21 novembre 2019, déclaré détenir une carabine de marque Winchester relevant de la catégorie C, contre récépissé du préfet de la Moselle du 13 janvier 2020. À cette occasion, les services préfectoraux ont constaté qu'il avait fait l'objet d'une condamnation en 2011 et qu'il était présent dans plusieurs procédures figurant au fichier de traitement d'antécédents judiciaires. Par un arrêté du 9 mars 2020, le préfet de la Moselle a ordonné à M. C... de se dessaisir de cette carabine dans un délai de trois mois et lui a interdit d'acquérir ou de détenir des armes de toute catégorie. Par des courriers du 16 avril 2020 et du 19 juin 2020, M. C... a, respectivement, formé un recours gracieux, puis un recours hiérarchique, à l'encontre de cet arrêté. Par des décisions du 28 avril 2020 et du 15 juillet 2020, le préfet de la Moselle et le ministre de l'intérieur ont chacun rejeté le recours qui leur était adressé. Par un courrier du 28 avril 2021, l'intéressé a sollicité du préfet de la Moselle, par l'intermédiaire de son conseil, l'abrogation de l'arrêté du 9 mars 2020 en application des dispositions de l'article L. 312-13 du code de la sécurité intérieure. Cette demande a été rejetée par une décision du 21 juillet 2021. M. C... relève appel du jugement n° 2105462 du 17 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes d'annulation des décisions du 9 mars 2020 et du 21 juillet 2021.
Sur la recevabilité des conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 9 mars 2020 :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 411-2 du code de justice administrative : " Toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai. Lorsque dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l'encontre de la décision, sont exercés contre cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique, le délai du recours contentieux, prorogé par l'exercice de ces recours administratifs, ne recommence à courir à l'égard de la décision initiale que lorsqu'ils ont été l'un et l'autre rejetés ".
3. D'autre part, l'article R. 421-5 du code de justice administrative prévoit : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Aux termes de l'article L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai (...) ".
4. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières, dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
5. La présentation, dans le délai imparti pour introduire un recours contentieux contre une décision administrative, d'un recours administratif, gracieux ou hiérarchique contre cette décision a pour effet d'interrompre ce délai. Il en va notamment ainsi lorsque, faute de respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, le délai dont dispose le destinataire de la décision pour exercer le recours juridictionnel est le délai raisonnable découlant de la règle énoncée ci-dessus. Lorsque le recours administratif fait l'objet d'une décision explicite de rejet, un nouveau délai de recours commence à courir à compter de la date de notification de cette décision. Si la notification de la décision de rejet du recours administratif n'est pas elle-même assortie d'une information sur les voies et délais de recours, l'intéressé dispose de nouveau, à compter de cette notification, du délai raisonnable découlant de la règle énoncée plus haut pour saisir le juge.
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que par un courrier du 16 avril 2020, M. C... a formé un recours gracieux à l'encontre de l'arrêté du 9 mars 2020, et que ce recours a eu pour effet d'interrompre le délai de recours contentieux. Si l'intéressé, dont il est donc établi qu'il a eu connaissance au plus tard de l'arrêté litigieux le 16 avril 2020, a ensuite présenté le 19 juin 2020 un recours hiérarchique, ce dernier n'a toutefois pas été exercé dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l'encontre de l'arrêté. Par suite, ce second recours administratif n'a pas conservé le délai de recours contentieux.
7. D'autre part, si l'arrêté du 9 mars 2020 indique les voies et délais de recours contentieux, il est constant que ces informations n'ont pas été à nouveau mentionnées dans le rejet express du recours gracieux de M. C... en date du 28 avril 2020. Dans ces conditions, en application des principes rappelés aux point 4 et 5 du présent arrêt, le délai de recours contentieux de deux mois n'était pas opposable à M C.... En revanche, M. C... a eu connaissance du rejet de son recours gracieux au plus tard le 19 juin 2020, date à laquelle il a formé un recours hiérarchique devant le ministre dans lequel il évoque explicitement la décision de rejet de son recours gracieux. Aussi, et en application des principes susmentionnés, le requérant disposait, à compter du 19 juin 2020, d'un délai raisonnable d'un an pour exercer un recours juridictionnel. Or, sa demande de première instance n'a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Strasbourg que le 5 août 2021, soit au-delà de ce délai raisonnable.
8. Il s'ensuit que les conclusions dirigées contre l'arrêté du 9 mars 2020 sont tardives et, par suite, irrecevables.
Sur la légalité de la décision du préfet de la Moselle du 21 juillet 2021 :
9. Aux termes de l'article L. 312-11 du code de la sécurité intérieure : " Sans préjudice des dispositions de la sous-section 1, le représentant de l'Etat dans le département peut, pour des raisons d'ordre public ou de sécurité des personnes, ordonner à tout détenteur d'une arme, de munitions et de leurs éléments de toute catégorie de s'en dessaisir (...). ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 312-67 du même code : " Le préfet ordonne la remise ou le dessaisissement de l'arme ou de ses éléments dans les conditions prévues aux articles L. 312-7 ou L. 312-11 lorsque : / (...) / 3° Il résulte de l'enquête diligentée par le préfet que le comportement du demandeur ou du déclarant est incompatible avec la détention d'une arme ; cette enquête peut donner lieu à la consultation des traitements automatisés de données personnelles mentionnés à l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ; (...). ". Enfin, aux termes de l'article L. 312-13 de ce code, dans sa version en vigueur à la date des décisions en litige : " Il est interdit aux personnes ayant fait l'objet de la procédure prévue à la présente sous-section d'acquérir ou de détenir des armes, munitions et leurs éléments de toute catégorie. / Le représentant de l'Etat dans le département peut cependant décider de limiter cette interdiction à certaines catégories ou à certains types d'armes, de munitions et de leurs éléments. / Cette interdiction est levée par le représentant de l'Etat dans le département s'il apparaît que l'acquisition ou la détention d'armes, de munitions et de leurs éléments par la personne concernée n'est plus de nature à porter atteinte à l'ordre public ou à la sécurité des personnes ".
10. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a été condamné par le tribunal correctionnel de Thionville, le 6 juin 2013, à une peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de conduite d'un véhicule en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants, commis le 16 septembre 2009. Il ressort également des pièces produites en défense que l'intéressé a fait l'objet d'un premier rappel à la loi pour usage de stupéfiants entre le 1er novembre 2005 et le 19 décembre 2008, qu'il a fait l'objet d'une composition pénale pour des appels malveillants réitérés passés entre le 9 et le 21 février 2009, qu'il a fait l'objet d'un deuxième rappel à la loi pour usage de stupéfiants et port prohibé d'arme de 7ème catégorie entre le 21 juillet 2007 et le 21 juillet 2010, qu'il a fait l'objet d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour usage de produits stupéfiants et offre ou cession de produits stupéfiants en vue de sa consommation personnelle le 12 octobre 2011, et qu'il a enfin fait l'objet d'un troisième rappel à la loi pour des faits de violences volontaires avec incapacité temporaire de travail n'excédant pas huit jours commis le 13 novembre 2011.
11. Pour refuser de lever, sur le fondement du dernier alinéa de l'article L. 312-13 du code de la sécurité intérieure, l'interdiction d'acquérir ou de détenir des armes prononcée à l'encontre de M. C... le 9 mars 2020, le préfet de la Moselle a estimé que la multiplicité des faits reprochés à l'intéressé, commis sur une longue période allant de 2002 à 2011, témoignaient d'un comportement incompatible avec la détention d'armes. Toutefois, eu égard à l'ancienneté de ces faits, commis pour les plus récents neuf ans avant la décision attaquée, et alors que M. C... ne s'est depuis lors pas fait connaitre défavorablement pour d'autres faits répréhensibles ou délictueux, le comportement de l'intéressé ne pouvait être regardé, à la date de la décision attaquée, comme révélant une dangerosité particulière laissant craindre une utilisation des armes à feu dangereuse pour lui ou pour autrui. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que le préfet de la Moselle a commis une erreur d'appréciation en jugeant prématurée sa demande de levée d'interdiction. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, le requérant est fondé à demander l'annulation de la décision attaquée.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 juillet 2021.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 2105462 du 17 mai 2022 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande d'annulation de la décision du préfet de la Moselle du 21 juillet 2021.
Article 2 : La décision du préfet de la Moselle du 21 juillet 2021 est annulée.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- M. Lusset, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : A. Lusset
La présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
N° 22NC01767 2