Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) du Nouroy a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 4 février 2020 par laquelle la préfète de la Haute-Marne a fixé le taux de réduction au titre de la conditionnalité des aides communautaires qu'il a perçues au titre de l'année 2018 à 20 %.
Par un jugement n° 2000952 du 16 décembre 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 février 2022 et le 18 octobre 2023, le GAEC du Nouroy, représenté par la SELARL Charlot et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2000952 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 16 décembre 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 4 février 2020 par laquelle la préfète de la Haute-Marne a fixé le taux de réduction au titre de la conditionnalité des aides communautaires qu'il a perçues au titre de l'année 2018 à 20 % ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Haute-Marne de lui restituer toutes les aides supprimées ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision en litige n'est pas motivée en fait et en droit ;
- la compétence du signataire de l'arrêté n'est pas établie, l'article D. 615-61 du code rural et de la pêche maritime ne permet pas au directeur départemental de l'agriculture et de la forêt de prendre une décision de réduction du taux des aides versées dans le cadre de la politique agricole commune ; l'arrêté donnant délégation au directeur départemental des territoires de la Haute-Marne ne concerne pas les décisions relatives aux contrôles sur place du respect de la conditionnalité des aides ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où elle ne précise pas la parcelle concernée par la destruction du bosquet ne permettant pas de vérifier l'existence d'un bosquet, sa surface comprise entre 10 et 50 ares, ni sa destruction ; la destruction des bosquets a été réalisée par le propriétaire des parcelles en octobre 2016 et, n'étant pas à l'origine de cette destruction, il ne peut lui être reproché une faute intentionnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 septembre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n°2004-374 du 29 avril 2004 ;
- l'arrêté du 24 avril 2015 relatif aux règles de bonnes conditions agricoles et environnementales ;
- l'arrêté du 14 mars 2018 relatif à la mise en œuvre de la conditionnalité au titre de 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lusset, rapporteur,
- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A l'occasion d'un contrôle réalisé le 19 septembre 2018 sur les parcelles exploitées par le GAEC du Nouroy, la délégation régionale de l'agence de services et de paiement a constaté le non-respect de l'obligation de maintien d'un bosquet. Par courrier du 18 novembre 2019, la direction départementale des territoires de la Haute-Marne a informé le GAEC du Nouroy de son intention de réduire de 20% le montant des aides soumises à la conditionnalité au titre de la campagne 2018. Par un arrêté du 4 février 2020, la préfète de la Haute-Marne a fixé à 20% le taux de réduction des aides communautaires soumises à la conditionnalité au titre de la campagne 2018. Par un jugement n° 2000952 du 16 décembre 2021, dont le GAEC du Nouroy relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article D. 615-45 du code rural et de la pêche maritime : " Les normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales des terres prévues au titre de la conditionnalité des aides de la politique agricole commune sont définies aux articles D. 615-46 à D. 615-51. / Le respect des exigences réglementaires en matière de gestion et des normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales des terres est contrôlé dans les conditions prévues aux articles D. 615-52 à D. 615-56. /Le non-respect des exigences réglementaires en matière de gestion ou des normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales des terres est sanctionné par une réduction des paiements soumis aux règles de conditionnalité prévues par la politique agricole commune dans les conditions prévues aux articles D. 615-57 à D. 615-61 ". Aux termes de l'article D. 615-59 du même code : " Le taux de réduction des paiements directs au titre de la conditionnalité, au sens du règlement (UE) n° 1306/2013, équivaut à la somme des pourcentages de réduction par domaine, déterminés en application des dispositions du V de l'article D. 615-58 et de l'article D. 615-58-1, dans la limite de 5 %, sauf en cas de non-conformité répétée ou intentionnelle. / Lorsqu'une première répétition de non-conformité au sens du 1 de l'article 38 du règlement (UE) n° 640/2014 est constatée, le pourcentage de réduction affecté à ce cas est obtenu en triplant le pourcentage fixé conformément au V de l'article D. 615-57. En cas de répétitions ultérieures, le pourcentage de réduction résultant de la répétition précédente est multiplié par trois à chaque fois. Ce pourcentage de réduction est plafonné à 15 %, sauf en cas d'anomalie intentionnelle. / Lorsqu'une non-conformité répétée au sens du 1 de l'article 38 du règlement (UE) n° 640/2014 est établie parallèlement à une autre non-conformité ou une autre non-conformité répétée, les pourcentages de réduction sont additionnés dans la limite de 15 %. / Lorsqu'une non-conformité présumée intentionnelle dans l'arrêté mentionné au I de l'article D. 615-57 est constatée, le pourcentage de réduction est fixé de manière générale à 20 %. Par décision motivée au regard de la gravité, de l'étendue et de la persistance de la non-conformité, ce pourcentage peut être porté jusqu'à 100 %. / Lorsqu'une non-conformité non présumée intentionnelle et qui ne peut être considérée comme une négligence est constatée, le pourcentage de réduction est fixé de manière générale à 20 %. Par décision motivée au regard de la gravité, de l'étendue et de la persistance de la non-conformité, ce pourcentage peut être ramené jusqu'à 15 % au minimum ou porté jusqu'à 100 % ".
3. Aux termes de l'article D. 615-50-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les agriculteurs qui demandent les aides soumises aux règles de conditionnalité prévues par la politique agricole commune maintiennent les particularités topographiques des surfaces agricoles de leur exploitation qui sont à leur disposition. / Un arrêté du ministre chargé de l'agriculture fixe la liste de ces particularités topographiques, leurs caractéristiques ainsi que, le cas échéant, les conditions dans lesquelles leur maintien est assuré en cas de déplacement, de destruction ou de remplacement. / Il fixe également la période d'interdiction de tailler les haies et les arbres ". L'article 4 de l'arrêté du 24 avril 2015 relatif aux règles de bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE), dans sa version applicable au litige, fixe parmi les particularités topographiques à maintenir en application du deuxième alinéa de l'article D. 615 50-1 du code rural et de la pêche maritime précité : " (...) - les bosquets d'une surface strictement supérieure à 10 ares et inférieure ou égale à 50 ares ; - les haies d'une largeur inférieure ou égale à 10 mètres. Cette largeur s'apprécie sur la totalité de la haie, qu'elle soit mitoyenne ou non. (...) ". Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 14 mars 2018 relatif à la mise en œuvre de la conditionnalité au titre de 2018 : " Pour l'application du quatrième alinéa de l'article D. 615-59 du code rural et de la pêche maritime, sont présumés intentionnels les cas de non-conformité mentionnés ci-après : 1° Au titre du domaine " environnement, changement climatique et bonnes conditions agricoles des terres " : / a) Pour le sous-domaine " bonnes conditions agricoles et environnementales " : (...) / - le non-respect de l'obligation de maintien d'un élément surfacique (mare ou bosquet) pour plus de 20 % de la surface (et plus de 10 ares) pour au moins une catégorie ; (...) ".
4. Enfin, l'article 97 du règlement (UE) n° 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 prévoit que : " La sanction administrative prévue à l'article 91 est appliquée lorsque les règles de conditionnalité ne sont pas respectées à tout moment d'une année civile donnée ("l'année civile concernée"), et que le non-respect est directement imputable au bénéficiaire ayant introduit la demande d'aide ou de paiement durant l'année civile concernée (...). "
5. Il ressort des pièces du dossier que l'îlot n°8, exploité par le GAEC du Nouroy, comportait des bosquets, qui, eu égard à leur superficie, devaient être maintenus, comme l'exige l'article D 615-50-1 du code rural et de la pêche maritime. Il est constant qu'à la suite d'un contrôle sur place, réalisé le 19 septembre 2018, un agent de l'agence de services et de paiement a constaté la suppression d'un bosquet pour une surface de 0,119 hectares, représentant plus de 20 % de la surface, et constitutif d'un manquement présumé intentionnel, selon les dispositions précitées.
6. Toutefois, le requérant fait valoir que c'est l'ancien propriétaire et exploitant qui a procédé à la destruction de ce bosquet avant que le GAEC n'exploite les parcelles en litige à compter du 1er janvier 2017, et que, partant, l'administration ne saurait lui imputer un quelconque manquement intentionnel de sa part. A l'appui de cette affirmation, le GAEC du Nouroy produit le témoignage de l'ancien propriétaire qui atteste avoir défriché lui-même le bosquet en cause en octobre 2016. Il ressort en outre des pièces du dossier que le requérant avait indiqué le jour même du contrôle qu'il n'y avait aucun bosquet sur l'ilot n° 8 lorsqu'il a commencé à exploiter les parcelles en janvier 2017. Si la préfète de la Haute-Marne, qui n'apporte aucun élément de nature à démentir ces allégations sérieuses, se prévaut en défense d'une capture d'écran du registre parcellaire de 2018 sur laquelle le bosquet apparaît encore, le requérant fait toutefois valoir, sans être ultérieurement contredit, que ce registre parcellaire n'est pas tenu à jour dès lors que le bosquet, bien que détruit, figurait toujours en 2020 sur le registre parcellaire, ainsi qu'en atteste une autre capture d'écran qu'il verse à l'instance. Dans ces conditions, eu égard aux éléments produits et aux échanges contradictoires, il y a lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de tenir pour établie l'affirmation du GAEC du Nouroy selon laquelle le bosquet dont il s'agit avait déjà été détruit par un tiers lorsqu'il a commencé à exploiter les parcelles en cause en janvier 2017. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que la préfète de la Haute-Marne a commis une erreur d'appréciation en lui imputant le manquement lié au non maintien de cette particularité topographique. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, il est fondé à demander l'annulation de la décision attaquée.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le GAEC du Nouroy est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande de première instance.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu d'enjoindre à la préfète de la Haute-Marne de restituer au GAEC du Nouroy les aides supprimées au titre de l'année 2018.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser au GAEC du Nouroy sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2000952 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 16 décembre 2021 est annulé.
Article 2 : La décision du 4 février 2020 de la préfète de la Haute-Marne est annulée.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Haute-Marne de restituer au GAEC du Nouroy les aides supprimées au titre de l'année 2018.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros au GAEC du Norroy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au GAEC du Nouroy et à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Copie en sera adressée à la préfète de la Haute-Marne.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- M. Lusset, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : A. Lusset
La présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
N° 22NC00323 2