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21/11/2024 | FRANCE | N°23NC03151

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 21 novembre 2024, 23NC03151


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés des 12 juin et 11 septembre 2023 par lesquels le préfet du Doubs, d'une part, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et, d'autre part, a prononcé son assignation à résidence dans le département du Doubs pour

une durée de quarante-cinq jours.



Par un jugement n° 2301743 du 20 septembre 202...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés des 12 juin et 11 septembre 2023 par lesquels le préfet du Doubs, d'une part, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et, d'autre part, a prononcé son assignation à résidence dans le département du Doubs pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2301743 du 20 septembre 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Besançon, d'une part, a annulé les décisions du 12 juin 2023 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination, ainsi que la décision du 11 septembre 2023 portant assignation à résidence, d'autre part, a renvoyé à la formation collégiale compétente pour en connaître les conclusions de la demande dirigées contre la décision du 12 juin 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour et les conclusions accessoires.

Par un jugement n° 2301378 du 20 octobre 2023, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision du 12 juin 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour et a enjoint au préfet du Doubs, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit et de fait affectant sa situation, de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour avec droit au travail dans les délais respectifs de deux mois et de huit jours suivant la date de notification de ce jugement.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 20 octobre 2023, sous le n° 23NC03151, le préfet de Doubs doit être regardé comme demandant à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2301743 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Besançon du 20 septembre 2023 ;

2°) de rejeter les demandes de M. B... en tant qu'elles sont dirigées contre les décisions du 12 juin 2023 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination, ainsi que contre la décision du 11 septembre 2023 portant assignation à résidence.

Il soutient que :

- M. B... ayant contesté successivement les arrêtés des 12 juin et 11 septembre 2023, le jugement contesté est entaché d'un vice de procédure et d'une méconnaissance du principe du contradictoire, dès lors que les deux instances n'ont pas été audiencées conjointement et qu'il n'a pas été tenu compte des mémoires produits dans ces deux instances ;

- en se prononçant sur la légalité de la décision du 12 juin 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour, la magistrate désignée a excédé l'objet du litige dont elle était saisie ;

- il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni porté atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2024, M. A... B..., représenté par Me Güner, conclut, d'une part, au rejet de la requête, d'autre part, à titre subsidiaire, en cas d'annulation du jugement de première instance, à l'annulation des arrêtés des 12 juin et 11 septembre 2023 et à ce qu'il soit enjoint au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de deux cents euros par jour de retard, enfin, en toute hypothèse, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués par le préfet du Doubs ne sont pas fondés.

II. Par une requête, enregistrée le 16 novembre 2023, sous le n° 23NC03355, le préfet du Doubs doit être regardé comme demandant à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2301378 du tribunal administratif de Besançon du 20 octobre 2023 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... en tant qu'elle est dirigée contre la décision du 12 juin 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour.

Il soutient que :

- le jugement contesté a été pris en méconnaissance des principes du contradictoire et d'impartialité, dès lors que, par son jugement n° 2301743 du 20 septembre 2023, la magistrate désignée avait déjà " pré-jugé " la question de la légalité la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;

- il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni porté atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2024, M. A... B..., représenté par Me Güner, conclut, d'une part, au rejet de la requête, d'autre part, à titre subsidiaire, en cas d'annulation du jugement de première instance, à l'annulation des arrêtés des 12 juin et 11 septembre 2023 et à ce qu'il soit enjoint au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de deux cents euros par jour de retard, enfin, en toute hypothèse, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués par le préfet du Doubs ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Meisse,

- les conclusions de M. Marchal, rapporteur public,

- et les observations de Me Guner pour M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 23NC03151 et 23NC03355, présentées par le préfet du Doubs, concernent la situation d'un même étranger au regard de son droit au séjour en France. Elles soulèvent des questions analogues et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. M. A... B... est un ressortissant turc, né le 7 octobre 1989. Il a déclaré être entré en France le 13 mars 2020. Le 4 juin 2020, il a présenté une demande d'asile, qui a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 4 juin 2021, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 27 octobre 2022. Par un courrier du 30 décembre 2022, reçu le 3 janvier 2023, le requérant a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, par un arrêté du 12 juin 2023, le préfet du Doubs a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. M. B... a saisi le tribunal administratif de Besançon d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 juin 2023. Par un jugement n° 2301743 du 20 septembre 2023, la magistrate désignée a annulé les décisions du 12 juin 2023 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination, ainsi que la décision du 11 septembre 2023 portant assignation à résidence, et a renvoyé à la formation collégiale compétente pour en connaître les conclusions de la demande dirigées contre la décision du 12 juin 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour et les conclusions accessoires. Par un jugement n° 2301378 du 20 octobre 2023, le tribunal administratif de Besançon a annulé cette dernière décision et a enjoint au préfet du Doubs, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit et de fait affectant sa situation, de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour avec droit au travail dans les délais respectifs de deux mois et de huit jours suivant la date de notification de ce jugement. Le préfet du Doubs relève appel des jugements n° 2301743 du 20 septembre 2023 et n° 2301378 du 20 octobre 2023.

Sur la régularité des jugements :

En ce qui concerne le jugement n° 2301743 :

3. D'une part, la magistrate désignée n'était en tout état de cause pas tenue de tenir compte, dans la procédure liée à cette affaire, des mémoires produits dans l'affaire n° 2301378. Par suite, les moyens tirés respectivement du vice de procédure et de la méconnaissance du principe du contradictoire ne peuvent qu'être écartés.

4. D'autre part, la magistrate désignée, qui avait à se prononcer sur le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français était illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour, n'a pas méconnu son office en statuant, par la voie de l'exception, sur la légalité du refus de titre de séjour et, après avoir constaté l'illégalité de cette décision, en annulant, pour défaut de base légale, la décision portant obligation de quitter le territoire français, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant fixation du pays de destination et assignation à résidence. Par suite, le préfet du Doubs n'est pas fondé à soutenir que le jugement contesté serait entaché d'irrégularité au motif que la première juge aurait excédé l'objet du litige dont elle était saisie.

En ce qui concerne le jugement n° 2301378 :

5. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la formation collégiale compétente du tribunal administratif de Besançon, qui avait à se prononcer sur la légalité de la décision du 12 juin 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour, se serait crue liée par le jugement n° 2301743 du 20 septembre 2023 rendu par la magistrate désignée. Dans ces conditions, la circonstance que cette dernière ait statué, par la voie de l'exception, sur la légalité du refus de titre de séjour ne saurait être regardée comme un " pré-jugement " constitutif d'une atteinte aux principes du contradictoire et d'impartialité. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement contesté serait entaché d'irrégularité pour ce motif doit être écarté.

Sur le bien-fondé des jugements :

6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré en France le 13 mars 2020 et qu'il justifiait, à la date des décisions en litige du 12 juin 2023, d'une durée de présence sur le territoire français de plus de trois années. Il est constant que l'intéressé a épousé, le 27 août 2020 à Montbéliard, une compatriote, titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 21 mars 2026, et que le couple réside dans le même logement depuis le 12 juin 2020. Les intéressés, dont la communauté de vie n'a pas cessé depuis cette dernière date, ont donné naissance à un garçon le 14 mai 2022. Il n'est pas contesté que l'épouse de M. B..., qui se prévaut de la présence régulière sur le territoire français de sa mère, de son frère et de sa sœur de nationalité française, est arrivée en France à l'âge de sept ans, qu'elle y réside régulièrement depuis vingt ans et qu'elle y travaille à temps complet comme employée polyvalente de restauration depuis le 14 octobre 2021 sur la base d'un contrat à durée indéterminé. Le requérant, qui entretient des relations régulières avec son frère, titulaire d'une carte de résident en qualité de réfugié, verse aux débats des photographies et de nombreuses attestations, qui mettent en exergue ses qualités humaines, ses efforts d'intégration, ses relations étroites avec sa belle-famille, la stabilité et l'intensité de la communauté de vie avec son épouse et sa contribution à l'entretien et à l'éducation de son fils, dont il s'occupe lorsque la mère de l'enfant est au travail et qu'il accompagne à tous ses rendez-vous médicaux. Il produit en outre une promesse d'embauche, datée du 12 juillet 2023, en vue de l'occupation d'un poste de manœuvre-façadier. Dans ces conditions et nonobstant les circonstances que le requérant n'est pas isolé dans son pays d'origine, où vivent notamment ses parents, et qu'il pourrait prétendre, le cas échéant, au bénéfice d'une mesure de regroupement familial, les décisions en litige du 12 juin 2023 ont méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant. Il en résulte que l'arrêté du 20 septembre 2023 portant assignation à résidence est privé de base légale et qu'il est par suite également entaché d'illégalité.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Doubs n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif a annulé les arrêtés du 12 juin 2023 et du 20 septembre 2023.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Le présent arrêt, qui rejette les requêtes du préfet du Doubs, ne nécessite aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. B... doivent être rejetées.

Sur les frais de justice :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme totale de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes du préfet du Doubs sont rejetées.

Article 2 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. B... sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 24 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Bauer, présidente-assesseure,

- M. Meisse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.

Le rapporteur,

Signé : E. MEISSE

Le président,

Signé : Ch. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 23NC03151 et 23NC03355 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03151
Date de la décision : 21/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : GUNER VALENTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-21;23nc03151 ?
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