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15/11/2024 | FRANCE | N°23NC02693

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 15 novembre 2024, 23NC02693


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 31 mars 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans lui accorder de délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.



Par un jugement n° 2302395 du 5 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal a

dministratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 31 mars 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans lui accorder de délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par un jugement n° 2302395 du 5 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 août 2023, Mme B..., représentée par Me Berry, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement de réexaminer sa situation dans le même délai et de lui délivrer durant cet examen une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) d'ordonner l'effacement du signalement aux fins de non admission au système d'information Schengen ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur de droit, dès lors qu'elle avait droit à un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

S'agissant de la décision lui refusant un délai de départ volontaire :

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français et de la décision lui refusant un délai de départ volontaire ;

- elle est entachée d'erreur de droit ;

S'agissant de la légalité de la décision fixant le pays de destination :

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

La procédure a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision de la présidente du bureau d'aide juridictionnelle du 10 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport C... Brodier a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante géorgienne née en 1986, est entrée régulièrement le 27 avril 2019 sous couvert d'un passeport biométrique. A l'issue du rejet de sa demande d'asile par une décision de la CNDA du 18 décembre 2019, elle a fait l'objet, par un arrêté du 8 janvier 2020, d'une mesure d'éloignement. Elle a été invitée, par un courrier du 8 février 2023, à présenter ses observations sur sa présence sur le territoire français. Elle a présenté des pièces le 21 février 2023. Par un arrêté du 31 mars 2023, la préfète du Bas-Rhin a décidé de lui faire obligation de quitter le territoire français, sans lui accorder de délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pendant une durée d'un an. Mme B... relève appel du jugement du 5 juin 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Mme B... résidait sur le territoire français depuis quatre ans à la date de la décision en litige. Son compagnon, et père de son enfant né en France en février 2020, se trouve également en situation irrégulière. La scolarisation de ses deux enfants aînés, respectivement en CM2 et en première générale, même suivie avec sérieux, ne suffit pas à lui conférer un droit à être régularisée. Par ailleurs, la requérante ne justifie pas d'une intégration personnelle dans la société française. Ainsi, elle n'établit pas avoir désormais ancré en France l'essentiel de sa vie privée et familiale. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".

5. Lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'éloignement.

6. Pour les mêmes motifs qu'énoncés au point 3 ci-dessus, Mme B... n'établit pas qu'elle remplissait les conditions pour se voir délivrer de plein droit le titre de séjour prévu par les dispositions précitées de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige serait entachée d'erreur de droit.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

8. D'une part, les deux enfants aînés C... Mme B... ayant vocation à demeurer avec leur mère, la décision en litige n'emporte aucune séparation de leur cellule familiale. Par ailleurs, la circonstance qu'ils ont été scolarisés pendant quatre années en France ne fait pas obstacle à ce qu'ils puissent poursuivre leur scolarité en Géorgie, où ils étaient déjà scolarisés avant leur entrée sur le territoire français. D'autre part, le père du dernier enfant C... B... n'ayant pas vocation à demeurer en France, tandis qu'il n'est pas établi que la vie familiale ne pourrait pas se poursuivre dans leur pays d'origine, la décision en litige n'emporte pas de séparation entre cet enfant et l'un de ses parents. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la mesure d'éloignement prise à son encontre méconnaîtrait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

9. En dernier lieu, pour les mêmes motifs qu'énoncés aux points 3 et 8 ci-dessus, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Sur la légalité de la décision de refus de délai de départ volontaire :

10. Il ressort de la décision en litige que, pour refuser d'accorder un délai de départ volontaire, la préfète du Bas-Rhin a retenu qu'il existait un risque que Mme B... se soustraie à la mesure d'éloignement prononcée contre elle, dès lors qu'elle n'avait pas exécuté l'obligation de quitter le territoire français du 8 janvier 2020 et n'avait pas sollicité de titre de séjour. La requérante, qui se prévaut de la scolarité de ses enfants, justifie qu'à la date de la décision du 5 mai 2023, sa fille aînée terminait son année de première générale et allait présenter les épreuves du bac de français tandis que son fils achevait son année de CM2. Dans ces conditions, elle est fondée à soutenir qu'en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, la préfète du Bas-Rhin a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

11. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme B... est fondée à demander l'annulation de la décision du 5 mai 2023 lui refusant un délai de départ volontaire ainsi que, par voie de conséquence, de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français qui se trouve privée de base légale.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

12. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

14. Si Mme B... se prévaut de la libération de son ex-mari en 2022 et du risque qu'il s'en prenne à elle. Toutefois, elle ne produit aucun élément permettant de considérer qu'elle serait exposée à un risque réel et actuel de subir des traitements contraires à ceux proscrits par l'article 3 de la convention précitée. L'OFPRA a d'ailleurs rejeté sa demande d'asile. La circonstance que la décision de l'OFPRA aurait été rendue sans qu'elle soit entendue est sans incidence sur l'appréciation des risques qu'elle soutient courir en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions et stipulations précitées doit être écarté.

15. En dernier lieu, si Mme B... soutient que ses deux enfants aînés sont des " réfugiés " d'Abkhazie, elle ne fait état d'aucun élément permettant de considérer qu'ils ne pourraient pas poursuivre leur vie dans leur pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 31 mars 2023 en tant qu'il portait refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

17. D'une part, l'annulation des décisions portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français n'implique pas que la préfète du Bas-Rhin délivre un titre de séjour à Mme B... ni qu'elle réexamine sa situation.

18. D'autre part, en revanche, l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français implique l'effacement sans délai du signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen résultant de cette décision. Il est par suite enjoint à la préfète du Bas-Rhin de prendre toute mesure pour initier la procédure d'effacement du signalement C... B... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. Il y a lieu de lui accorder un délai d'un mois pour y procéder.

Sur les frais de l'instance :

19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme au conseil C... B... en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2302395 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 5 juin 2023 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions C... B... tendant à l'annulation des décisions du 31 mars 2023 refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français.

Article 2 : L'arrêté du 31 mars 2023 est annulé en tant qu'il porte refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de prendre toute mesure, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, pour initier la procédure d'effacement du signalement C... B... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête C... B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Berry et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2024.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

No 23NC02693


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02693
Date de la décision : 15/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : BERRY

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-15;23nc02693 ?
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