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05/11/2024 | FRANCE | N°24NC00312

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 05 novembre 2024, 24NC00312


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel le préfet du Haut-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2306546 du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg, après l'avoir admis à l'aide juridictionnelle provisoire, a rejet

é sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire enregis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel le préfet du Haut-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2306546 du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg, après l'avoir admis à l'aide juridictionnelle provisoire, a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 12 février 2024 et 27 mars 2024, Mme B..., représentée par Me Chebbale, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 8 décembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel le préfet du Haut-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer un titre de séjour ou à défaut de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- les premiers juge ont omis de statuer sur l'ensemble des moyens développés sur la violation des dispositions de l'article L.423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

sur la décision portant refus de titre de séjour :

- elle n'est pas suffisamment motivée ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : en application des dispositions de l'article L.312-1 A du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle ne pourra obtenir de visa pendant une période loin d'être limitée à la seule instruction d'une demande de regroupement familial ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle sera annulée par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation et d'examen de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle pouvait prétendre de plein droit à un titre de séjour en application des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

sur la décision fixant le pays de destination :

- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2024, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requérante n'établit pas une présence habituelle en France entre 2019 et 2023, ni la reprise d'une vie commune avec son mari ;

- elle ne peut se prévaloir de liens intenses avec ses enfants car elle a vécu sans eux pendant six ans ;

- en tout état de cause, les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,

- et les observations de Me Carraud, substituant Me Chebbale et représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante congolaise, née le 16 septembre 1983 à Kinshasa, a déclaré être entrée pour la dernière fois en France le 22 août 2016. Elle a sollicité l'asile sous une autre identité et sa demande a fait l'objet d'un rejet tant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que par la Cour nationale du droit d'asile. Le préfet du Haut-Rhin a alors pris à son encontre le 15 mai 2018 un arrêté préfectoral portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Mme B... est restée irrégulièrement sur le territoire français et a sollicité le 20 mars 2023 un titre de séjour, sous sa véritable identité, au regard de ses attaches privées et familiales en France. Par un arrêté du 5 juin 2023, le préfet du Haut-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 8 décembre 2023 du tribunal administratif de Strasbourg qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté préfectoral du 5 juin 2023.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté préfectoral du 5 juin 2023 :

2. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... réside en France avec son époux, un compatriote en situation régulière qu'elle a épousé en 2005 et leurs quatre enfants nés en 2003, 2005, 2008 et 2010. Le couple s'est séparé en 2012 afin de fuir, chacun de leur côté, leur pays d'origine et se serait retrouvé en France en 2016 selon le courrier de son époux du 12 novembre 2019 sollicitant le regroupement familial pour leurs quatre enfants. Ces derniers sont finalement arrivés sous couvert d'un visa long séjour " regroupement familial " sur le territoire français en 2022. La requérante produit des pièces, telles que des attestations de la caisse d'allocations familiales, de la caisse primaire d'assurance maladie et du secours populaire qui démontrent qu'elle vit avec son époux depuis au moins 2019. Si la requérante, tout comme son époux, ont vécu séparé de leurs enfants de 2016 à 2022, il est établi au regard des pièces du dossier que la requérante vit désormais avec son mari et leurs quatre enfants en France où la famille s'est reconstituée dans son intégralité. Par ailleurs, la requérante se prévaut une promesse d'embauche à temps partiel en qualité de porteur de presse datée du 29 juin 2023, ainsi que de son activité bénévole auprès du secours populaire. Ainsi et quand bien même, la requérante est éligible au regroupement familial de sorte que la séparation avec sa famille a vocation en principe à être temporaire, la décision portant refus de séjour, qui emportera nécessairement séparation de la famille pour une durée indéterminée, a porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée.

4. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 5 juin 2023 du préfet du Haut-Rhin portant refus de titre de séjour et par voie de conséquence celles portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

5. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".

6. Eu égard au motif d'annulation ci-dessus retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à Mme B... d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de délivrer ce titre à Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de l'instance :

7. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Chebbale, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Chebbale de la somme de 1000 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2306546 du 8 décembre 2023 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé en tant qu'il a rejeté la demande d'annulation de Mme B... de l'arrêté préfectoral du 5 juin 2023.

Article 2 : L'arrêté préfectoral du 5 juin 2023 du préfet du Haut-Rhin pris à l'encontre de Mme B... portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Haut-Rhin de délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à Me Chebbale, avocate de Mme B..., la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6: Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Chebbale.

Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- M. Barteaux, président assesseur,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

N° 24NC00312


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC00312
Date de la décision : 05/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : CHEBBALE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-05;24nc00312 ?
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