Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2022 par lequel le préfet du Jura a retiré son attestation de demande d'asile, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée en cas de non-respect de ce délai.
Par un jugement n° 2201683 du 18 novembre 2022, le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 28 février 2023 et 12 avril 2023, Mme B..., représentée par Me Tronche, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du président du tribunal administratif de Besançon du 18 novembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2022 par lequel le préfet du Jura ne l'a pas autorisée à résider en France au titre de l'asile, a retiré son attestation de demande d'asile, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée en cas de non-respect de ce délai ;
3°) d'enjoindre au préfet du Jura de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir et de lui délivrer, dans l'attente de cet examen, une autorisation provisoire de séjour dans le délai de cinq jours à compter de la même notification ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros HT à verser à son conseil en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
sur les décisions lui refusant le droit au séjour au titre de l'asile et portant retrait de l'attestation de la demande d'asile :
- elles sont entachées d'une erreur de droit en ce que le préfet s'est cru, à tort, en situation de compétence liée ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elles méconnaissent les dispositions de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : elle est exposée à un traitement inhumain en cas de retour en Côte-d'Ivoire ;
sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité des décisions lui refusant le droit au séjour au titre de l'asile et portant retrait de l'attestation de la demande d'asile ;
- elle est illégale en raison du défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
sur la décision fixant le délai de départ volontaire :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : un retour en Côte-d'Ivoire ou en Italie l'exposerait à des traitements dégradants.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2023, le préfet du Jura conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Par une dernière ordonnance du 12 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 mai 2023 à midi.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante ivoirienne, née le 20 janvier 1990, est entrée irrégulièrement sur le territoire français le 27 juin 2021 selon ses déclarations. Elle a déposé une demande d'asile qui a été déclarée irrecevable le 31 mars 2022 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) au motif qu'elle disposait d'un permis de séjour italien valable du 2 août 2019 au 27 novembre 2023. Par un arrêté du 1er juin 2022, le préfet du Jura a retiré l'attestation de demande d'asile délivrée à Mme B..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée en cas de non-respect de ce délai. Par une requête enregistrée sous le n° 2201096 au tribunal administratif de Besançon, Mme B... a demandé au tribunal l'annulation de ces décisions. Par un jugement du 11 juillet 2022, le tribunal a donné acte à Mme B... de son désistement de l'instance faisant suite au retrait par le préfet de son arrêté. Par un arrêté du 26 septembre 2022, le préfet du Jura, après que les autorités italiennes aient refusé de reprendre Mme B..., a fait obligation à cette dernière de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée en cas de non-respect de ce délai. Mme B... relève appel du jugement du 18 novembre 2022 du président du tribunal administratif de Besançon qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté préfectoral du 26 septembre 2022.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté préfectoral du 26 septembre 2022 :
En ce qui concerne les décisions portant refus de séjourner en France au titre de l'asile et retrait de son attestation de demande d'asile :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 424-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " 'L'étranger auquel la qualité de réfugié a été reconnue en application du livre V se voit délivrer une carte de résident d'une durée de dix ans ". Il ressort des pièces du dossier que la qualité de réfugié n'a pas été accordée à la requérante. Le préfet, qui ne dispose pas de la compétence pour reconnaître la qualité de réfugié, était par conséquent tenu de lui refuser le titre en cette qualité. Les moyens tirés de ce que le préfet en lui refusant le séjour aurait commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont par suite inopérants et doivent être pour ce motif écartés.
3. En second lieu, aux termes de l'article L 541-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'attestation délivrée en application de l'article L. 521-7, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile statuent ". Aux termes de l'article L. 542-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : 1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : a) une décision d'irrecevabilité prise en application des 1° ou 2° de l'article L. 531-32 (...) Les dispositions du présent article s'appliquent sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. ". Aux termes de l'article L. 531-32 du même code, dans sa version applicable au litige : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides peut prendre une décision d'irrecevabilité écrite et motivée, sans vérifier si les conditions d'octroi de l'asile sont réunies, dans les cas suivants :/ 1° Lorsque le demandeur bénéficie d'une protection effective au titre de l'asile dans un Etat membre de l'Union européenne ; (...) ". Aux termes de l'article L. 542-3 du même code : " Lorsque le droit au maintien sur le territoire français a pris fin dans les conditions prévues aux articles L. 542-1 ou L. 542-2, l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé. (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile de Mme B... a été déclarée irrecevable par une décision de l'OFPRA du 31 mars 2022, notifiée le 2 mai 2022, sur le fondement du 1° de l'article L. 531-32 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans la mesure où elle disposait d'un permis de séjour italien valable du 2 août 2019 au 27 novembre 2023. Dès lors, en application de l'article L. 542-2 du même code, le droit de Mme B... de se maintenir sur le territoire français a pris fin dès l'adoption par l'OFPRA de cette décision d'irrecevabilité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de cet article doit être écarté.
5. D'autre part, l'attestation de demande d'asile a uniquement pour vocation à permettre au demandeur d'asile de séjourner en France, le temps nécessaire pour l'instruction de sa demande d'asile. En application de l'article L. 542-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité, dans l'hypothèse où le droit au maintien a pris fin, le préfet ne peut que refuser la délivrance de l'attestation de demande d'asile, la retirer ou en refuser le renouvellement. Le droit au maintien de la requérante ayant pris fin, c'est sans erreur de droit que le préfet a prononcé l'abrogation de l'attestation de demande d'asile qui avait, au demeurant expiré, à la date de l'arrêté contesté. Le moyen de l'erreur de droit ne peut ainsi qu'être écarté. Par ailleurs, les moyens tirés de ce que l'abrogation de l'attestation de la demande d'asile de la requérante est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et prise en méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont inopérants.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, d'une part, il résulte de ce qui précède que le refus de titre de séjour au titre de l'asile n'est pas illégal. La requérante ne peut en conséquence en exciper l'illégalité. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 542-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précitées que l'abrogation de l'attestation de demande d'asile ne constitue pas la base légale de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision doit être écarté.
7. En deuxième lieu, s'il ressort effectivement des termes de l'arrêté attaqué que le préfet, après avoir retracé le parcours administratif et personnel de l'intéressée, a seulement relevé que, " compte tenu des circonstances ", la décision ne portait pas atteinte aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, Mme B... n'indique pas quelles circonstances tenant à sa vie privée et familiale auraient dû être prises en compte par le préfet. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation personnelle de la requérante ne peut être qu'écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. Comme il a été dit au point 7 du présent arrêt, la requérante ne se prévaut d'aucune situation familiale particulière et ne précise pas en quoi la mesure d'éloignement contestée porterait à son droit à une vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de cet article doit être écarté.
10. En quatrième lieu, si Mme B... soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce moyen est inopérant à l'encontre d'une telle décision.
En ce qui concerne la décision fixant un délai de départ volontaire à trente jours :
11. La requérante n'ayant pas établi que la décision portant obligation de quitter le territoire français était entachée d'illégalité, le moyen invoqué, par la voie de l'exception, à l'encontre de la décision fixant le délai de départ volontaire à trente jours doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
12. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ;/ 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ;/ 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible./ Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
13. En décidant que l'intéressée serait reconduite à destination de " tout pays non membre de l'Union européenne ou avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen où elle est légalement admissible ", le préfet du Jura doit être regardé comme n'excluant pas que la requérante puisse être reconduite dans le pays dont elle a la nationalité alors que la requérante, qui a obtenu le bénéfice de la protection internationale en Italie et bénéficie d'un titre de séjour italien valable du 2 août 2019 au 27 novembre 2023, apporte des éléments de nature à démontrer un risque encouru en cas de retour en Côte-d'Ivoire. Si la requérante fait également valoir qu'elle encourt un risque de traitement inhumain en cas de retour en Italie, la décision en litige exclut qu'elle puisse y être éloignée. Par suite la décision fixant le pays de destination duquel Mme B... pourra être éloignée d'office est illégale en tant uniquement qu'elle n'exclut pas la Côte-d'Ivoire comme pays de renvoi.
14. Il résulte de ce qui précède que la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 septembre 2022 fixant le pays de destination en tant qu'elle n'exclut pas la Côte-d'Ivoire.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
15. L'annulation de la décision fixant le pays de destination en tant qu'elle n'exclut pas la Côte-d'Ivoire n'implique aucune mesure d'injonction. Par suite, les conclusions de la requérante à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie essentiellement perdante, la somme que Mme B... demande, au bénéfice de son conseil, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2201683 du 18 novembre 2022 du président du tribunal administratif de Besançon est annulé en tant qu'il a rejeté la demande d'annulation de Mme B... de la décision fixant le pays de destination en tant qu'elle n'exclut pas la Côte-d'Ivoire.
Article 2 : La décision du 26 septembre 2022 du préfet du Jura prise à l'encontre de Mme B... et fixant le pays de destination est annulée en tant qu'elle n'exclut pas la Côte-d'Ivoire.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Tronche.
Copie en sera adressée au préfet du Jura.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 23NC00674