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05/11/2024 | FRANCE | N°22NC01148

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 05 novembre 2024, 22NC01148


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, pour excès de pouvoir, la délibération n° 2020/19 adoptée le 16 novembre 2020 par laquelle le conseil municipal de la commune de Létanne a refusé que la voie verte envisagée par la communauté de communes des Portes du Luxembourg emprunte le chemin rural de Vincy.



Par un jugement n° 2100120 du 28 février 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Cham

pagne a rejeté leur demande.







Procédure devant la cour :



Par une requête et d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, pour excès de pouvoir, la délibération n° 2020/19 adoptée le 16 novembre 2020 par laquelle le conseil municipal de la commune de Létanne a refusé que la voie verte envisagée par la communauté de communes des Portes du Luxembourg emprunte le chemin rural de Vincy.

Par un jugement n° 2100120 du 28 février 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 4 mai 2022, 29 juillet 2022 et 18 novembre 2022, M. et Mme D..., représentés par Me Tulpin, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2100120 du 28 février 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) d'annuler la délibération n° 2020/19 du 16 novembre 2020 ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Létanne la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la commission " agriculture et chemins " n'a pas été préalablement consultée et n'a, en tout état de cause jamais émis un avis, ce qui a empêché le conseil municipal de la commune de Létanne de rendre une décision éclairée sur le tracé de la voie verte ;

- la délibération attaquée est insuffisamment motivée, notamment au regard de l'article L. 211-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle repose sur des faits inexacts et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation :

. le chemin rural et le terrain d'exploitation de Vincy sont peu utilisés de sorte que le contournement ne poserait pas de difficultés entre les engins agricoles et les usagers de la voie verte ;

. il n'existe aucune impossibilité matérielle quant à la solution technique proposée pour le contournement, lequel n'est pas de nature à mettre en péril les usagers de la voie verte ;

. les articles R. 411-3-2 et R. 412-7 du code de la route permettent à l'autorité détentrice du pouvoir de police d'autoriser l'accès aux voies vertes à certains véhicules motorisés ;

- le tracé envisagé de la voie verte est entaché d'illégalité dès lors que l'emprise ferroviaire sur laquelle il est prévu d'aménager la voie verte n'a pas été déclassée ou qu'une convention d'occupation domaniale n'a pas été signée entre la communauté de communes Portes du Luxembourg et la société nationale des chemins de fer français.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 mai 2022, 6 et 7 septembre 2022, la commune de Létanne, représentée par Me Jacquemet-Pommeron conclut au rejet de la requête et à ce que M. et Mme D... soient condamnés à lui verser la somme de 3 000 euros au titre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que le conseil municipal soit tenu de consulter pour avis la commission " agriculture et chemins " :

. l'avis de la commission n'est que facultatif ;

. le conseil municipal pouvait prendre la délibération litigieuse sans consultation impérative de la commission conformément à l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales ;

. la commune qui comprend moins de 1 000 habitants, ne dispose d'aucun règlement intérieur ;

. le défaut de consultation de la commission ne constitue pas un vice substantiel car la commission a uniquement en charge l'élaboration d'un rapport dont l'utilité est seulement d'éclairer le conseil municipal ;

. en tout état de cause, la commission a été consultée ;

- la délibération est suffisamment motivée ; elle évoque un motif de sécurité publique et les nuisances diverses et variées ;

- la circulation des voies vertes est régie par les articles R. 110-2 et R. 412-7 du code de la route, qui y réservent la circulation aux véhicules non-motorisés ; si l'article R. 411-3-2 de ce code cité par les requérants prévoit une " cohabitation " entre les utilisateurs de la voie verte et les engins motorisés, cet article n'est entré en vigueur que le 25 avril 2022 soit postérieurement à la délibération litigieuse et ne saurait donc être pris en considération ;

- le tracé de la voie verte sur l'emprise ferroviaire n'est pas illégal car la communauté de communes des portes du Luxembourg réalisera les travaux sur l'emprise de la société nationale des chemins de fer français via une convention de transfert de gestion.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la route ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,

- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public,

- et les observations de Me Tulpin, représentant M. et Mme D.... .

Considérant ce qui suit :

1. Les époux D..., par un acte authentique du 29 janvier 2011, ont acquis auprès de Réseau ferré de France une ancienne maison de garde-barrière et plusieurs parcelles attenantes, respectivement inscrites au cadastre de la commune de Létanne section ZB n°65, n°66, n° 84, n° 86 et n° 87. Cet ensemble foncier est réparti de part et d'autre de l'ancienne voie ferrée, actuellement désaffectée et dont la société nationale des chemins de fer (SNCF ) Réseau est propriétaire. Dans le cadre de l'aménagement d'une voie verte destinée à relier Mouzon à Stenay par la voie ferrée précitée, la communauté de communes des Portes du Luxembourg a soumis au conseil municipal de la commune de Létanne un projet tendant à détourner le tracé de la voie verte en empruntant le chemin rural de Vincy, situé derrière la propriété des requérants, évitant ainsi sa traversée. Par une délibération adoptée le 16 novembre 2020, le conseil municipal de la commune de Létanne a refusé ce projet. Les requérants ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'annulation de cette délibération. M. et Mme D... relèvent appel du jugement n° 2100120 du 28 février 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui a rejeté leur demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales :" Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération ". Aux termes de l'article L. 2121-22 du code précité, modifié par l'article 29 de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 : " "Le conseil municipal peut former, au cours de chaque séance, des commissions chargées d'étudier les questions soumises au conseil soit par l'administration, soit à l'initiative d'un de ses membres. Elles sont convoquées par le maire, qui en est le président de droit, dans les huit jours qui suivent leur nomination, ou à plus bref délai sur la demande de la majorité des membres qui les composent. Dans cette première réunion, les commissions désignent un vice-président qui peut les convoquer et les présider si le maire est absent ou empêché. Dans les communes de plus de 1 000 habitants, la composition des différentes commissions, y compris les commissions d'appel d'offres et les bureaux d'adjudications, doit respecter le principe de la représentation proportionnelle pour permettre l'expression pluraliste des élus au sein de l'assemblée communale." ". Aux termes de l'article L. 2121-8 du code précité :" Dans les communes de 1 000 habitants et plus, le conseil municipal établit son règlement intérieur dans les six mois qui suivent son installation. Le règlement intérieur précédemment adopté continue à s'appliquer jusqu'à l'établissement du nouveau règlement".

3. Si le conseil municipal de la commune de Létanne a bien institué des commissions dont celle dédiée à l'agriculture et aux chemins, les modalités de sa saisine n'ont pas été définies par un règlement intérieur dont il est constant que la commune, qui compte moins de 1 000 habitants, ne dispose pas. Par suite, il ne résulte d'aucune disposition que la délibération en litige aurait dû être précédée de la saisine de la commission " agriculture et chemins ". Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la délibération litigieuse serait irrégulière au motif que la commission n'aurait pas été consultée dans des conditions régulières avant la tenue du conseil municipal privant ainsi les membres du conseil municipal d'information sur le projet de la voie verte.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; 2° Infligent une sanction ; 3° Subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; 5° Opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ; 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ".

5. La délibération litigieuse par laquelle le conseil municipal de la commune de Létanne a refusé que la voie verte emprunte le chemin rural de Vincy, qui relève de la gestion de son domaine privé, n'est pas au nombre des décisions devant être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration précité. Par suite le moyen tiré de l'absence de motivation de cette décision doit en tout état de cause être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 110-2 du code de la route, dans sa version applicable au litige, la voie verte est une " route exclusivement réservée à la circulation des véhicules non motorisés à l'exception des engins de déplacement personnel motorisés, des piétons et des cavaliers ". Aux termes de l'article R. 412-7 du même code : " Les conducteurs de véhicules motorisés ne doivent pas circuler sur une voie verte, ni dans une aire piétonne à l'exception des cas prévus par les règles de circulation mentionnées à l'article R. 411-3 ". Aux termes de l'article R. 411-3 du même code : " L'autorité détentrice du pouvoir de police de la circulation détermine le périmètre des aires piétonnes et fixe les règles de circulation à l'intérieur de ce périmètre ".

7. Il ressort des termes de la délibération litigieuse et des pièces du dossier que le refus du conseil municipal est motivé par le passage d'engins agricoles sur le chemin rural de Vincy et par suite par l'impossible cohabitation, compte tenu de l'étroitesse de la voie, entre ces engins et les utilisateurs de la voie verte dont il résulte des dispositions précitées qu'elle aurait dû être interdite aux véhicules motorisés, ce qui aurait empêché les agriculteurs de l'emprunter. Ce motif, dont la matérialité n'est pas sérieusement contestée, n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

8. Enfin, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale.

9. La délibération du conseil municipal de Létanne en litige n'a pas été prise pour l'application d'une décision de la communauté de communes des Portes du Luxembourg portant création de la voie verte sur l'emprise de la voie de chemin de fer traversant la propriété des requérants. Elle n'en constitue pas davantage la base légale. Par suite, les requérants ne peuvent utilement exciper de l'illégalité de cette décision au motif que l'emprise de la voie ferrée n'aurait pas été déclassée ou du défaut d'autorisation du propriétaire de cette voie, à l'appui de leurs conclusions dirigées contre la délibération du conseil municipal de la commune de Létanne portant refus du passage de la voie verte sur le chemin rural de Vincy.

10. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, a rejeté leur demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Létanne, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. et Mme D..., au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme D... la somme demandée par la commune de Létanne, au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Létanne présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme D... et à la commune de Létanne.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- M. Barteaux, président assesseur,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.

La rapporteure,

Signé : S. Roussaux La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au préfet des Ardennes ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy.

2

N° 22NC01148


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01148
Date de la décision : 05/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : JURILAW AVOCATS CONSEILS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-05;22nc01148 ?
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